Aliénation | 2024

Une anthologie augmentée dirigée par Olivier Portejoie

Par | 17/10/2024 | Lu 481 fois


Un ensemble très hétéroclite de récits de SF et fantastique, doublés-triplés-quadruplés de supports visuels, musicaux et vidéos pour chaque nouvelle ! 👍



Aliénation @ 2024 Editions Portejoie | Illustration de couverture @ Julien Dejaeger
L'aliéné n'est pas celui que vous pensez et la raison vous échappe encore... 

Il n'y a pas de réponse mais peut-être, seul, un exact silence au consentement d'un contact.

Cherchez encore  ! Vous brûlez  !
 

Aliénation est une anthologie augmentée et interactive, un pont entre les langages de l'image, du son et de l'écrit où vingt-deux nouvelles, illustrations, compositions musicales et libres-courts cinématographiques vous amèneront / transporteront / conduiront / guideront vers l'autre rive à destination de l'Autre.
 
Créez votre culture en construisant votre imaginaire  ! Et surtout restez vivant(e) !

📜 Sommaire

Préface : Versus mon beau miroir (Olivier Portejoie)

1. Aliéné.e.s (Pierre Bordage)
2. Oberon (Noël Firmin)
3. Humanisation (Romain Gérard)
4. A la folie (Antoine Vanhel)
5. Couleur mandarine (Nelly Bonnet Kiint)
6. Au bureau des dotations (Jérémie Ferreira-Martins)
7. Bonsoir Rose (Pierre-Evan Gauthier)
8. Les autres (Fabien Bouvet)
9. Sortie scolaire (Pierre Viguié)
10. Musaraigne (Mina Jacobson)
11. Rouge sang (Simon Drillat)
12. Autopsie (Héloïse Carme)
13. Pandemonium (Camille Delaunay)
14. Un ticket pour Eutopia (Yvan Barbedette)
15. Soixante (Nora Lebbos)
16. Nous sommes les lionnes (Nicolas Petit-Jean)
17. La légende de Brid’ney (Nicolas de Torsiac)
18. Les murmurations des Djinns (Michelle Labeeu)
19. Poussin (Isabelle Froment)
20. Alter ego (Marc Gérard)
21. L’Ange et la Vierge (Grégoire Quevreux)
22. Voies de fées (David Turambar Kolacinski)

Fiche de lecture

« L’aliéné n’est pas celui que vous pensez et la raison vous échappe encore… »

Pour cette nouvelle saison, Olivier Portejoie a collecté 22 textes autour de l’idée d’aliénation. Comme à son habitude, il encourage la plus grande polysémie autour du terme, ce qui produit un ensemble très hétéroclite de récits de SF et fantastique, doublés-triplés-quadruplés de supports visuels, musicaux et vidéos pour chaque nouvelle : https://editions-portejoie.com/Alienation

À l’image du texte inaugural de l’éditeur, l’ensemble propose beaucoup, peut-être trop, et demande à celui qui ouvre ces pages de mobiliser tous ses sens. Dans une époque où le niveau de concentration s’émousse aussi vite qu’une batterie de smartphone, cet effort n’a rien d’aisé.

Dans Versus mon beau miroir, Olivier Portejoie relie habilement folie et raison, non dans une dialectique, mais un rapport ontologique fondamental, comme si le ciel des Idées platonicien ne s’acquérait qu’au prix de se reconnaître non propriétaire de soi. Plus loin, le propos s’enferme dans la sphère totalitaire et manque peut-être la cible de notre temps traversé par l’assouvissement des désirs.

Le titre laissait pourtant présager une analyse plus neuve du rapport à soi, le fameux black mirror pourvoyeur de solitude. Quand la Méchante Reine demande à son beau miroir à quoi elle ressemble, ce dernier n’est autre que son propre reflet, il ne peut pas lui renvoyer une image différente de celle qu’elle a déjà d’elle-même. La Méchante Reine est seule, et converse avec elle-même, sans contradiction. Pendant ce temps, Blanche Neige se trouve sous le regard croisé de sept paires d’yeux, sept nains aux caractères différents, donc sept points de vue différents, qui participent à construire celle qu’elle est. De même Gygès et son anneau dans le conte de Platon, on comprend alors que le regard de l’autre n’est pas seulement un garant de bonne conduite sociale, il est aussi et surtout le réel qui nous revient en autant de facettes. Les auteurs et aspirants-auteurs savent combien ce regard de l’autre est important pour progresser, ceux qui sont passés par l’auto-édition savent à quel point se parler à soi-même est un sur-place garanti.

Parmi les nombreux textes proposés, nous passerons rapidement sur celui de Pierre Bordage, qui ouvre le bal des fous. Il y est question aussi du regard de l’autre, et comment un écrivain renonce à ses principes pour se compromettre auprès des puissants. Qu’il est difficile de rester fidèle à soi-même. La démonstration est bien menée, sans véritable suspense, un peu alourdie d’un contexte spatio-politique supplétif, et qui n’aboutit à aucune réelle prise de position. Aucun des antagonistes ne semble meilleur que les autres. On aurait plié l’histoire en disant : il faut être deux pour s’engueuler.

D’autres nouvelles valent le détour, telles que Bonsoir Rose, de Pierre-Evan Gauthier. Tout se passe dans l’appartement de Vic, un lieu cosy et calme où elle s’occupe de son intérieur et de son enfant, tout en regardant la télévision. Cette dernière l’interpelle : « Bonsoir, Rose », et à partir de là, le cauchemar déroule ses tentacules de Barbie. On pense à La Terreur Rose, de Jean Ray, pour la couleur qui envahit tout, mais surtout à Nous et 1984, qui ne disent pas tant comment on s’aliène mais ce que donne à voir un individu qui ne s’appartient plus. Attention, gros twist à la fin.

Dans un registre plus fantastique, il faut s’arrêter sur Musaraigne, de Mina Jacobson, l’histoire d’un gars sans histoire qui se réveille un matin avec une muse dans son lit. La tuile ! Le type est comptable, il ne veut surtout pas cohabiter avec une divinité qui lui inspirera des poèmes ou des tableaux. Tout le récit alterne entre son point de vue et celui de Thalie, la muse, comment il cherche à se débarrasser d’elle, et surtout pourquoi. Certaines personnes résistent à l’idée même de sortir d’elles-mêmes, de se découvrir des ressources insoupçonnées. Ici, l’aliénation est un détour qui ramène le personnage à lui-même.

Un ticket pour Eutopia d’Yvan Barbedette est en revanche un voyage sans retour. La Terre n’est plus vivable pour l’humanité. Un plan de restauration est mis en place et exécuté par des IA, il doit s’étendre sur deux millénaires de nettoyage. En attendant, on téléporte l’humanité sur une lointaine planète. C’est le cas d’Ada, son mari et leur fils. Mais à la fin du compte à rebours, Ada n’a pas bougé, il y a eu un bug. Toutes les personnes présentes ont été téléportées, leurs données converties, leurs corps annihilés pour être recomposés de l’autre côté. Sauf elle. S’en suit un périple kafkaïen dans un complexe tenu uniquement par des machines de divers degrés d’intelligence. Ada n’existe plus puisqu’il y a bien une Ada arrivée de l’autre côté. Celle qui reste, est en trop. L’auteur expose avec force les questions éthiques posées par la téléportation, et l’on suit avec attention les épreuves de l’héroïne.

Nicolas Petit-Jean choisit d’aborder son histoire sous la forme d’un conte africain. Ainsi commence Nous sommes les Lionnes : « Ceci est une histoire des temps nouveaux. Les anciens dieux sont morts ou endormis, leurs tours désertées. Seules restent leurs gardiennes ». Quand et où se passe le récit de Tonbo Joden Ikali Olokeyn de la Forêt Profonde ? On ne sait pas. Peu importe. Chassé de son clan, il se lance dans une quête impossible : ravir une femme Lionne. Ce n’est pas un vain mot, car ce sont des êtres hybrides, adaptés à la chaleur des plaines, des fauves en apparence, mais au cœur d’une petite société fière et soudée. Le héros évolue entre plusieurs mondes, et par sa maîtrise des langues, tente de faire le lien entre tous ceux qui ont cessé de se parler. Un récit fraternel.

Il est aussi question d’hybridation dans La légende de Bryd’ney, de Nicolas de Torsiac. Dans un futur plus ou moins proche, des vaisseaux aliens sont venus se poster aux abords de la Terre. À la surface, la société est fracturée. D’un côté les humanos, de l’autre les chimères. Ces dernières sont des individus génétiquement modifiés, des animaux anthropomorphes comme Bryd’ney, la biche qui mène le groupe de rock Minority Resort. Elle chante et joue de l’ultrabasse aux côtés d’un chien, d’une poule et d’un morse. Ils sont tous doués de conscience, de deux bras et deux jambes. Ils se produisent devant des foules en délire, au bord de l’émeute. C’est le lieu où se confrontent les humains et les chimères, mais aussi les hybrides, fruits de relations entre les deux premiers, et encore les différents ordres du règne animal. Humains vs chimères, carnivores vs herbivores, Terriens vs Aliens. Dans cette poudrière, profitable à ceux qui s’accrochent au pouvoir et asservissent les masses, Bryd’ney s’époumone, sa chanson s’appelle : La Soumission. L’auteur développe tout un arrière-plan complexe, éruptif, et nous pousse à vouloir embrasser la cause des rebelles. On achève le récit le poing levé, index et auriculaire dressés.

L’injustice se prolonge dans Les murmurations des djinns, de Michelle Labeeu. Une petite fille naît une seconde fois au milieu des ruines. Sa mère vient de mourir, elle est recueillie par une femme en abaya, Alimama, à la tête du Gang des Quarante, « une sororité de cyber-fedayin ». L’autrice nous plonge sans délai dans une ambiance de cyberpunk oriental, avec des histoires enchâssées, une langue riche et poétique. Oui, on pense aux Mille et Une Nuits, aux Quarante Voleurs, c’est une nouvelle variation sur le thème de la mise en récit, l’histoire dans l’histoire, la genèse et comment une plongée profonde vous ramène aux origines : « l’histoire possède en fait des centaines de versions différentes. Et lorsqu’elle se fige en une seule version, cela ne mène qu’à la mort. Quand tu es prisonnière d’une seule histoire, elle te résume et te pétrifie ». Ça commence avec le multivers, on croit finir avec le chat de Schrödinger, mais le message ultime est de ne pas s’aliéner dans un schéma unique, souvent dessiner par les dominants. Il faut apprendre à sinuer.

Quelques illustrations intérieures

Nous sommes les lionnes, illustration @ Claire Xavier | Un ticket pour Eutopia, illustration @ Guillaume Albin | Aliénation (anthologie) @ 2024 Editions Portejoie

Les murmurations des Djinns, illustration @ Thierry Cardinet | Musaraigne, illustration @ Camille Shayaga | Aliénation (anthologie) @ 2024 Editions Portejoie

Bonsoir Rose, illustration @ Michelle Blessemaille | La légende de Brid'ney, illustration @ Mathieu Coudray | Aliénation (anthologie) @ 2024 Editions Portejoie

Copyright @ Bruno Blanzat pour Le Galion des Etoiles. Tous droits réservés. En savoir plus sur cet auteur