Aube épluche ses Horizons | Robert Yessouroun | 2021

Par | 21/07/2022 | Lu 687 fois




Illustration et quatrième de couverture

Aube épluche ses horizons @ 2021 Le Lys Bleu | Photo @ Koyolite Tseila
Fascinée par les créations du monde, Aube, doctorante en sciences des religions, occupe ses loisirs en suivant l’orchestre Les vieux Ringards, des amateurs de chansons pétulantes et de jazz joyeux. Cependant, un jour, elle trouble les musiciens, en hurlant contre elle-même.

Contre elle-même ? Pas tout à fait.

Pour compenser la disparition en Inde de sa meilleure amie, Aube s’est fait implanter une âme sœur de synthèse qui finit par l’obséder de ses conseils bienveillants. Même les lectures requises par sa thèse sont parasitées par les interventions intempestives de cette créature, si bien que la jeune femme s’interrogera peu à peu sur la pertinence d’une telle présence si affectueuse. Elle va jusqu’à envisager de s’en débarrasser.

S’en débarrasser ? Difficile. L’entreprise responsable de la prothèse affectueuse a fait faillite. Le comble c’est que cette espèce d’ange gardien ne semble pas d’un grand secours quand les horizons d’Aube se couvrent tour à tour : crash de sa relation amoureuse, abandon de ses parents, arrêt de ses études… Ah, comment dégager l’avenir ?

Biographie de Robert Yessouroun

Né dans la cité de l’Atomium, Robert Yessouroun a migré dans la ville du CERN. Marié, père d’une jeune femme, géologue non pratiquant, naguère professeur de lettres, de mathématiques et de psychologie, formateur d’enseignants, il explore, à travers l’écriture, quelques grands thèmes de l’anticipation. Cet appétit de futur ne l’empêche pas de rester un admirateur inconditionnel de Jacques Tati pour son regard aiguisé, tendre et humoristique sur l’être humain dépassé par la modernisation massive qui uniformise la Cité. La psychologie ayant longtemps dominé ses lectures, il s’intéresse également, depuis plus d’une décennie, aux interactions entre les humains et leurs futures créatures high-tech.
Photo @ Robert Yessouroun

Fiche de lecture

Comme l’on peut s’en rendre compte avec ses Fables du Futur, la spécialité de Robert Yessouroun, c’est de concevoir et de présenter un futur proche dans lequel les robots et les androïdes font partie intégrante de notre quotidien, comme c’est déjà quasiment le cas actuellement, et de confronter ces intelligences artificielles à des dilemmes, bien souvent provoqués par nous autres, les êtres humains, et nos sentiments ou nos émotions qui ne peuvent pas toujours être analysés, interprétés ou compris correctement par des machines, afin de nous amener à réfléchir aux limites de ces dernières.

En l’occurrence, une fois n’est pas coutume, c’est un être humain que l’on trouve au centre de l’histoire. La jeune femme se prénomme Aube. Passionnée de cosmogonie, sujet qu’elle étudie, elle vit seule sur une péniche à quai, ses parents scientifiques étant partis s’installer sur la Lune. Un peu à l’ouest et au vu des échecs qu’elle a cumulés jusqu’ici dans sa vie, la voici aujourd’hui au pied du mur, face à son avenir qui semble plutôt mal embranché. Surtout avec son I.A. qui la rend dingue et qu’elle voudrait bien pouvoir zigouiller ! C’est donc en compagnie d’une joyeuse bande d’androïdes musiciens complètement bargeots avec qui elle passe le plus clair de son temps libre, et de son insupportable « amie » artificielle greffée dans sa tête, qu’elle va devoir éplucher ses horizons, s’interroger, afin d’analyser les différentes possibilités – encore bien floues - qui s’offrent à elle…

Ce court roman de science-fiction de 180 pages, divisé en cinq chapitres, est pour le moins atypique. Avec cette héroïne qui cumule les déboires, ces androïdes musiciens hauts en couleurs et extravagants à souhait en permanence affairés à quelque chose, cette intelligence artificielle qui se conduit comme une peste en interrompant à tout bout de champ les pensées d’Aube, ces dialogues bien barrés qui fusent de toutes parts et ces descriptions richement imagées, ces jeux de mots parfois bien retors, ces rimes comiques (Balivernes, Jules Verne !), ces paysages et décors de demain et ces lieux bien définis (la péniche, le bar, l’hôpital, l’appartement, l’université, …), ce chien fou, ce cactus qui pue, ces emmerdeurs de Naturouriens, le tout frappé du sceau de l’humour, c’est comme si j’avais assisté – bien calée dans mon fauteuil - à une pièce de théâtre en cinq actes. Le moins que je puisse dire, c’est que ça y va et qu’il n’y a pas de temps mort ! D’ailleurs, lors de la lecture du premier chapitre, je dois avouer que je me suis fait désarçonner. Qu’à cela ne tienne, je suis remontée en selle et cette fois-ci, j’ai bien bouclé ma ceinture et cela s’est mieux passé. Oui, parce qu’il faut suivre, hein !

En fait, vu le côté caricatural des personnages et les événements ou situations rocambolesques, j’ai même imaginé une adaptation en BD ! J’adorerais pouvoir mettre des visages sur tous ces protagonistes, surtout sur les membres de l’orchestre Les vieux Ringards, pour les voir évoluer dans cette histoire au fil des cases.

Lorsque j’ai demandé à Robert Yessouroun d’où l’idée d’écrire ce roman lui était venue, il m’a répondu ceci :

« L'idée... m'est venue à la suite du décès brutal de mon meilleur ami. Je me suis posé la question Comment retrouver un tel ami ? et j'ai imaginé l'histoire d'Aube. Son intérêt pour la cosmogonie fut en fait le mien après mai 68. Un gauchiste avait, à Genève, accroché sur la façade de l'uni une banderole L'art, c'est con, laquelle m'avait viscéralement choqué. Je me suis interrogé sur la création, son sens, et en particulier sur la création du monde, vue par les scientifiques (tous ne croyaient pas au Big Bang) et vue par les religions du monde. Et puis, concernant l’idée de l’orchestre, débarqué à Lausanne vers mes 18 ans, j'avais suivi les répétitions des Aiglons, un groupe de musiciens qui venait de faire un tabac avec Stalactite. »

Ce sont des mots que j’aurais bien vu figurer en préface de cet ouvrage. La première information est triste et touchante et donnerait une profondeur supplémentaire à la solitude qu’Aube a éprouvée à la disparition de son amie. Quant aux autres anecdotes, plus légères, lorsque nous les repérerions dans le texte, nous pourrions les associer à ce que Robert Yessouroun a vécu dans sa jeunesse pré-Woodstock.

En conclusion, à l’instar des vieux Ringards, Aube épluche ses Horizons est un livre décoiffant, pétulant, pétillant, joyeux et divertissant. Un sympathique OVNI dans le monde de la SF.

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