Vassili Arkhipov : le héros
Vassili Arkhipov | Par Image courtesy by Olga Arkhipova — https://www.learning-mind.com/vasili-arkhipov, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=132240693
« Les Américains ont Rambo, personnage fictif, nous avons Puy-Montbrun, personnage bien réel. », disait-t-on en France à propos du colonel Dupuy-Montbrun, héros français de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’Indochine.
Je compléterai cette citation :
« Les Américains ont Rambo, personnage fictif, nous avons Puy-Montbrun, personnage bien réel. Et le monde entier a oublié Vassili Arkhipov. »
***
Vassili Aleksandrovitch Arkhipov est né le 30 janvier 1926 à Staraïa Koupavna (oblast de Moscou). Fils de paysans, il intègre l’École navale supérieure de la Caspienne à Bakou dont il sort diplômé en 1947.
Après un service dans les sous-marins diesel des flottes de la mer Noire, de la Baltique et du Nord, il est affecté comme officier en second à bord du premier sous-marin nucléaire soviétique, le K-19, sous les ordres du capitaine Nikolaï Zateyev.
Ce sous-marin, bâti à la hâte dans le cadre de la course aux armements, est célèbre pour son accident : le 4 juillet 1961, alors qu’il croise au large de l’île de Jan Mayen qui abrite une station radio de l’OTAN, une fuite dans le système de refroidissement fait monter la température du cœur jusqu’à 800°C, causant une contamination radioactive.
Faute de système de refroidissement de secours et sans aucun moyen de contacter Moscou du fait d’une avarie d’antenne, le commandant ordonne à sept marins de la section machines de pénétrer en zone confinée pour procéder aux réparations. Au préalable, Zateyev prend la précaution de jeter à la mer les armes de poing présentes à bord pour éviter une mutinerie. Arkhipov et quelques autres officiers loyaux se voient confier des armes.
Deux heures après, la réparation bricolée à la va-vite tient le coup mais tout l’équipage est irradié : les sept marins affectés à la tâche meurent, dans le mois suivant l’accident, d’un syndrome d’irradiation aiguë. Quatorze autres hommes mourront dans les deux ans, suite à des effets secondaires de l’irradiation.
Mais pas Arkhipov.
Je compléterai cette citation :
« Les Américains ont Rambo, personnage fictif, nous avons Puy-Montbrun, personnage bien réel. Et le monde entier a oublié Vassili Arkhipov. »
***
Vassili Aleksandrovitch Arkhipov est né le 30 janvier 1926 à Staraïa Koupavna (oblast de Moscou). Fils de paysans, il intègre l’École navale supérieure de la Caspienne à Bakou dont il sort diplômé en 1947.
Après un service dans les sous-marins diesel des flottes de la mer Noire, de la Baltique et du Nord, il est affecté comme officier en second à bord du premier sous-marin nucléaire soviétique, le K-19, sous les ordres du capitaine Nikolaï Zateyev.
Ce sous-marin, bâti à la hâte dans le cadre de la course aux armements, est célèbre pour son accident : le 4 juillet 1961, alors qu’il croise au large de l’île de Jan Mayen qui abrite une station radio de l’OTAN, une fuite dans le système de refroidissement fait monter la température du cœur jusqu’à 800°C, causant une contamination radioactive.
Faute de système de refroidissement de secours et sans aucun moyen de contacter Moscou du fait d’une avarie d’antenne, le commandant ordonne à sept marins de la section machines de pénétrer en zone confinée pour procéder aux réparations. Au préalable, Zateyev prend la précaution de jeter à la mer les armes de poing présentes à bord pour éviter une mutinerie. Arkhipov et quelques autres officiers loyaux se voient confier des armes.
Deux heures après, la réparation bricolée à la va-vite tient le coup mais tout l’équipage est irradié : les sept marins affectés à la tâche meurent, dans le mois suivant l’accident, d’un syndrome d’irradiation aiguë. Quatorze autres hommes mourront dans les deux ans, suite à des effets secondaires de l’irradiation.
Mais pas Arkhipov.
Le K-19, photographié en surface par un avion de l'US Navy en février 1972 | Par US Navy employee on duty — Norman Polamar Cold War Submarines., Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1492368
Non, lui il rembarque l’année suivante à bord du sous-marin B-59, un diesel de classe Foxtrot, comme second sous les ordres du capitaine Valentin Stavitsky (rien à voir avec Alexandre Stavisky, l’escroc français des années 30). L’officier politique du bord se nomme Ivan Maslennikov. Un joli nom : le mot russe « Maslenitsa » désigne le Mardi gras, festivité de réjouissances avant le Carême.
Mais cette fois-ci pas de réjouissances.
Le sous-marin diesel n’emporte pas de réacteur prêt à sauter comme une Cocotte-Minute mais pire : à bord du B-59 se trouve une torpille T-5 à tête nucléaire parfaitement opérationnelle équivalente à 10 kilotonnes de TNT (la bombe « Little Boy » larguée sur Hiroshima équivalait à 15 kilotonnes).
L’heure n’est pas aux réjouissances : le B-59 quitte le port de Mourmansk avec quatre autres sous-marins diesel. Leur objectif ? Cuba. Vassili Arkhipov cumule la fonction de second du B-59 et de commandant de la flottille de cinq sous-marins. Une récompense de son courage à bord du K-19.
Nous sommes le 1er octobre 1962, au cœur des tensions entre les deux blocs.
Le 22 octobre, le président Kennedy s’adresse à l’Amérique à la télévision : suite à la découverte de missiles russes sur le territoire cubain, un blocus naval est instauré autour de l’île et les forces américaines de par le monde passent en niveau d’alerte 3 (« DEFCON »). A ce stade, l’US Air Force peut être déployée et opérationnelle partout dans le monde en 15 minutes.
Mais cette fois-ci pas de réjouissances.
Le sous-marin diesel n’emporte pas de réacteur prêt à sauter comme une Cocotte-Minute mais pire : à bord du B-59 se trouve une torpille T-5 à tête nucléaire parfaitement opérationnelle équivalente à 10 kilotonnes de TNT (la bombe « Little Boy » larguée sur Hiroshima équivalait à 15 kilotonnes).
L’heure n’est pas aux réjouissances : le B-59 quitte le port de Mourmansk avec quatre autres sous-marins diesel. Leur objectif ? Cuba. Vassili Arkhipov cumule la fonction de second du B-59 et de commandant de la flottille de cinq sous-marins. Une récompense de son courage à bord du K-19.
Nous sommes le 1er octobre 1962, au cœur des tensions entre les deux blocs.
Le 22 octobre, le président Kennedy s’adresse à l’Amérique à la télévision : suite à la découverte de missiles russes sur le territoire cubain, un blocus naval est instauré autour de l’île et les forces américaines de par le monde passent en niveau d’alerte 3 (« DEFCON »). A ce stade, l’US Air Force peut être déployée et opérationnelle partout dans le monde en 15 minutes.
Le sous-marin B-59 en surface, avec un hélicoptère de l'US Navy en survol, dans la mer des Caraïbes près de Cuba, vers le 29 octobre 1962 | Par U.S. Navy photographer — Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=10218466
Le lendemain, le commandement aérien stratégique américain passe en niveau d’alerte 2. Soixante-cinq bombardiers sont prêts à mettre le cap sur le territoire soviétique pour y larguer le feu nucléaire.
Le B-59 arrive en mer des Sargasses le 27 octobre 1962. Silence radio depuis plusieurs jours par ordre de Moscou : le sous-marin vogue en plongée dans le silence des eaux internationales.
A quelques encablures de là, le porte avion américain USS Randolph et onze contre-torpilleurs sonnent l’alarme et leurs équipages sont rappelés aux postes de combat : le B-59 est détecté !
A bord du sous-marin, navigation silencieuse. Soudain des petites explosions se font entendre. Des grenades à main sont lâchées par les Américains du USS Beale, pour forcer le sous-marin à faire surface.
Que faire ? Arkhipov, le commandant Stavitsky et l’officier politique Maslennikov se concertent.
Pas d’ordres de Moscou à cause du silence radio : la guerre a-t-elle débuté ? La nervosité croît à bord. Le niveau des batteries du sous-marin, utilisées pour la navigation en plongée, baisse. Le niveau de dioxyde de carbone monte du fait de la moindre performance du système de recyclage. La température grimpe : 45 degrés Celsius dans la partie la plus froide, 61 dans la section machine.
Le commandant, furieux, s’avance vers la console de tir. Introduisant sa clef dedans, il ordonne la mise à feu de la torpille T-4. Objectif : l’USS Randolph et son escorte.
Maslennikov approuve l’ordre de tir. Pas Arkhipov. Non, il faut remonter en surface, renouveler l’air et attendre confirmation de la situation, quitte à enfreindre le silence radio.
Le capitaine de second rang Vassili Arkhipov ne rentre donc pas sa clef de tir dans la console : le lancement de la torpille T-4 ne peut se faire.
Se ralliant à l’avis d’Arkhipov, Stavitsky ordonne le retour en surface du B-59 et contacte la flottille américaine. Nous sommes dans les eaux internationales où le passage pacifique est libre.
Dans les coulisses des chancelleries, les tractations secrètes entre les deux Grands se poursuivent. Un pacte américano-soviétique est conclu : retrait des missiles russes de Cuba et des missiles américains de Turquie.
Les ordres de Moscou tombent : le B-59 doit rentrer.
Le 20 novembre, les forces américaines retombent en état d’alerte 3. La crise des missiles de Cuba est terminée.
A ce jour, les Etats-Unis n’ont jamais replacé leurs forces armées en alerte 2. Même pendant le 11 septembre 2001.
Le B-59 arrive en mer des Sargasses le 27 octobre 1962. Silence radio depuis plusieurs jours par ordre de Moscou : le sous-marin vogue en plongée dans le silence des eaux internationales.
A quelques encablures de là, le porte avion américain USS Randolph et onze contre-torpilleurs sonnent l’alarme et leurs équipages sont rappelés aux postes de combat : le B-59 est détecté !
A bord du sous-marin, navigation silencieuse. Soudain des petites explosions se font entendre. Des grenades à main sont lâchées par les Américains du USS Beale, pour forcer le sous-marin à faire surface.
Que faire ? Arkhipov, le commandant Stavitsky et l’officier politique Maslennikov se concertent.
Pas d’ordres de Moscou à cause du silence radio : la guerre a-t-elle débuté ? La nervosité croît à bord. Le niveau des batteries du sous-marin, utilisées pour la navigation en plongée, baisse. Le niveau de dioxyde de carbone monte du fait de la moindre performance du système de recyclage. La température grimpe : 45 degrés Celsius dans la partie la plus froide, 61 dans la section machine.
Le commandant, furieux, s’avance vers la console de tir. Introduisant sa clef dedans, il ordonne la mise à feu de la torpille T-4. Objectif : l’USS Randolph et son escorte.
Maslennikov approuve l’ordre de tir. Pas Arkhipov. Non, il faut remonter en surface, renouveler l’air et attendre confirmation de la situation, quitte à enfreindre le silence radio.
Le capitaine de second rang Vassili Arkhipov ne rentre donc pas sa clef de tir dans la console : le lancement de la torpille T-4 ne peut se faire.
Se ralliant à l’avis d’Arkhipov, Stavitsky ordonne le retour en surface du B-59 et contacte la flottille américaine. Nous sommes dans les eaux internationales où le passage pacifique est libre.
Dans les coulisses des chancelleries, les tractations secrètes entre les deux Grands se poursuivent. Un pacte américano-soviétique est conclu : retrait des missiles russes de Cuba et des missiles américains de Turquie.
Les ordres de Moscou tombent : le B-59 doit rentrer.
Le 20 novembre, les forces américaines retombent en état d’alerte 3. La crise des missiles de Cuba est terminée.
A ce jour, les Etats-Unis n’ont jamais replacé leurs forces armées en alerte 2. Même pendant le 11 septembre 2001.
Le héros oublié ou presque...
L'affiche du film "K-19 : Le piège des profondeurs" | K-19: The Widowmaker | 2002
Et Arkhipov que devient-il ? Il rentre en URSS et fait face, comme ses hommes, à l’ire de ses supérieurs pour avoir enfreint le silence radio et exposé le bâtiment à l’ennemi.
Mais le collège militaire du ministère de la Défense, chargé de l’enquête, révèle que l’Etat-major soviétique n’était pas au courant que la mission était dévolue à des sous-marins diesel, non-adaptés pour une route entre Mourmansk et les Caraïbes, contrairement aux sous-marins nucléaires.
Blanchi, Vassili Arkhipov poursuit sa carrière comme commandant de sous-marins, puis de flottilles sous-marines. Passé contre-amiral en 1975 et commandant de l’Académie navale Kirov (en actuelle Azerbaïdjan), il est promu vice-amiral en 1981 et prend sa retraite en 1988.
Passant ses vieux jours dans sa ville natale avec son épouse Olga et sa fille Yelena, il décède le 19 août 1998 d’un cancer des reins induit probablement par la radiation subie à bord du K-19. Nikolaï Zateyev, son ancien commandant, lui survivra une dizaine de jours avant de décéder d’une maladie pulmonaire causée ou facilitée par les radiations.
Mikhail Gorbatchev, père des politiques de la Glasnost et de la Perestroïka et artisan de la transition post-soviétique, recommandait en 2006 que l’équipage du K-19 soit nommé à titre collectif au Prix Nobel de la Paix. Il ne fut pas entendu, le prestigieux prix étant remis cette année-là à Muhammad Yunus, père du microcrédit.
Si le film K-19 : Le piège des profondeurs (2002) retrace assez fidèlement l’accident du sous-marin, si les actions du Capitaine Arkhipov à Cuba ont été rappelées dans un documentaire de la chaîne américaine PBS diffusé le 23 novembre 2012 et intitulé The Man Who Saved the World, il n’existe pas à ma connaissance de films sur la vie d’Arkhipov.
Le monde entier a oublié Arkhipov. Enfin presque.
On attribue à Aristote cette citation apocryphe : « Il y a trois sortes d’Hommes. Les vivants, les morts...et les marins. »
Dans quelle catégorie ranger le capitaine Vassili Arkhipov ? Je ne sais pas. Mais je sais qu’il était un héros. Pas pour les Etats-Unis. Pas pour l’URSS. Mais pour toute l’humanité.
Alors qu’il me soit permis, par-delà l’espace et le temps, en ces temps complexes, de lui dire dans sa langue : « Спасибо, Господин ! » (« Spassiba Gospodine ») « Merci, Monsieur ! »
Mais le collège militaire du ministère de la Défense, chargé de l’enquête, révèle que l’Etat-major soviétique n’était pas au courant que la mission était dévolue à des sous-marins diesel, non-adaptés pour une route entre Mourmansk et les Caraïbes, contrairement aux sous-marins nucléaires.
Blanchi, Vassili Arkhipov poursuit sa carrière comme commandant de sous-marins, puis de flottilles sous-marines. Passé contre-amiral en 1975 et commandant de l’Académie navale Kirov (en actuelle Azerbaïdjan), il est promu vice-amiral en 1981 et prend sa retraite en 1988.
Passant ses vieux jours dans sa ville natale avec son épouse Olga et sa fille Yelena, il décède le 19 août 1998 d’un cancer des reins induit probablement par la radiation subie à bord du K-19. Nikolaï Zateyev, son ancien commandant, lui survivra une dizaine de jours avant de décéder d’une maladie pulmonaire causée ou facilitée par les radiations.
Mikhail Gorbatchev, père des politiques de la Glasnost et de la Perestroïka et artisan de la transition post-soviétique, recommandait en 2006 que l’équipage du K-19 soit nommé à titre collectif au Prix Nobel de la Paix. Il ne fut pas entendu, le prestigieux prix étant remis cette année-là à Muhammad Yunus, père du microcrédit.
Si le film K-19 : Le piège des profondeurs (2002) retrace assez fidèlement l’accident du sous-marin, si les actions du Capitaine Arkhipov à Cuba ont été rappelées dans un documentaire de la chaîne américaine PBS diffusé le 23 novembre 2012 et intitulé The Man Who Saved the World, il n’existe pas à ma connaissance de films sur la vie d’Arkhipov.
Le monde entier a oublié Arkhipov. Enfin presque.
On attribue à Aristote cette citation apocryphe : « Il y a trois sortes d’Hommes. Les vivants, les morts...et les marins. »
Dans quelle catégorie ranger le capitaine Vassili Arkhipov ? Je ne sais pas. Mais je sais qu’il était un héros. Pas pour les Etats-Unis. Pas pour l’URSS. Mais pour toute l’humanité.
Alors qu’il me soit permis, par-delà l’espace et le temps, en ces temps complexes, de lui dire dans sa langue : « Спасибо, Господин ! » (« Spassiba Gospodine ») « Merci, Monsieur ! »