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Civilizations | Laurent Binet | 2019

Par | 26/01/2024 | Lu 621 fois




Illustration et quatrième de couverture

Vers l’an mille : la fille d’Erik le Rouge met cap au sud.
1492 : Colomb ne découvre pas l’Amérique.
1531 : les Incas envahissent l’Europe.

À quelles conditions ce qui a été aurait-il pu ne pas être ?

Il a manqué trois choses aux Indiens pour résister aux conquistadors. Donnez-leur le cheval, le fer, les anticorps, et toute l’histoire du monde est à refaire.

Civilizations est le roman de cette hypothèse : Atahualpa débarque dans l’Europe de Charles Quint. Pour y trouver quoi ?

L’Inquisition espagnole, la Réforme de Luther, le capitalisme naissant. Le prodige de l’imprimerie, et ses feuilles qui parlent. Des monarchies exténuées par leurs guerres sans fin, sous la menace constante des Turcs. Une mer infestée de pirates. Un continent déchiré par les querelles religieuses et dynastiques.

Mais surtout, des populations brimées, affamées, au bord du soulèvement, juifs de Tolède, maures de Grenade, paysans allemands : des alliés.

De Cuzco à Aix-la-Chapelle, et jusqu'à la bataille de Lépante, voici le récit de la mondialisation renversée, telle qu’au fond, il s’en fallut d’un rien pour qu’elle l’emporte, et devienne réalité.

Civilizations, réédition @ 2020 Le Livre de Poche | Illustration de couverture @ Juan Pantoja de la Cruz
Civilizations, réédition @ 2020 Le Livre de Poche | Illustration de couverture @ Juan Pantoja de la Cruz

Fiche de lecture

Si l’uchronie est un genre très connu dans les littératures de l’imaginaire, on remarque qu’avec Civilizations, Laurent Binet, auteur de HHhH et La Septième Fonction du langage, dresse un pont admirable entre les littératures de l’imaginaire et la littérature blanche (ou générale), cassant la hiérarchie implicite (et à mon sens imbécile) qui reléguerait les littératures de l’imaginaire au second rang.

Outre ce pont bienvenu récompensé à la fois par le Grand Prix de l’Académie française en 2019 et le prix Sidewize de la meilleure uchronie en 2021, le roman dresse aussi un clin d’œil à la saga vidéoludique des Civilizations avec à ce jour 13 opus. Cette franchise propose, dans un esprit proche des Age of Empire, de faire triompher la civilisation choisie par le joueur sur les autres, par des voies militaires, religieuses ou diplomatiques (y compris en contradiction avec les faits historiques, ce qui est la base de l’uchronie).

On retrouve bien ce mélange entre uchronie (le point de divergence étant l’apport en fer, en chevaux et en anticorps dans les Amériques) et conquête du monde par des diverses voies : comme Cortès dans le monde réel, Atahualpa parvient à trouver des alliés, à jouer sur les ressorts politiques et culturels qu’il rencontre dans une Europe divisée entre querelles religieuses et géopolitiques.

Dans ce monde, l’expédition d'Erik le Rouge et de sa fille Freydis à Vinland (actuelle Terre-Neuve) réussit là où celle de l’expédition de Christophe Colomb ne revint jamais et devint rapidement oubliée en Europe, mais non aux Amériques.

A compter de ce double point de divergence, Laurent Binet nous narre avec conviction et force détails cette « autre mondialisation » ou les Incas se livrent à une aventure impériale dans une Europe bouleversée, revisitant par là un thème cher à mon cœur : le premier contact.

L’altérité, les équations politiques, la découverte d’un nouveau monde : on se croirait presque dans un récit classique de science-fiction !

Cependant, Laurent Binet peut prêter le flanc à la critique en cela qu’il utilise le personnage d’Atahualpa pour critiquer les jeux de pouvoirs et le schisme religieux entre catholiques et protestants se déroulant en Europe. Cependant, les solutions apportées par Atahualpa et les siens ne divergent que peu de ce qu’il s’est passé dans le monde réel…

Et cela, l’auteur semble l’escamoter dans la dernière partie de l’ouvrage (« Les aventures de Cervantès ») en se livrant à un pastiche de Don Quichotte avec Michel de Cervantès sorti de son chapeau. Ce pastiche casse la dynamique pourtant intelligemment lancée : est-ce par peur de voir la créature littéraire s’échapper ou au contraire s’épuiser ? Je laisse la question ouverte…

Cependant, cet ouvrage mérite la louange de par son ancrage dans un réel possible, qui aurait pu être. De quoi peut-être ouvrir certains esprits « académiques » sur le vaste monde de l’uchronie.

Et en tout cas, de faire passer un très bon moment !

Jacques BELLEZIT
Copyright @ Jacques Bellezit pour Le Galion des Etoiles. Tous droits réservés. En savoir plus sur cet auteur

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💬Commentaires

1.Posté par Koyolite TSEILA le 26/01/2024 09:25 | Alerter
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KoyoliteTseila
Merci d'avoir présenté ce livre que je ne connais pas du tout. Les Incas qui envahissent l'Europe... cette histoire a l'air passionnante !!! J'ai lu quelques livres très intéressants sur les Incas et sur Atahualpa, mais jamais encore une uchronie.

2.Posté par Thierry B. le 20/02/2024 20:27 | Alerter
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ThierryB
Assez décevant, malgré un pitch fort intéressant. Pas mal de longueurs par moments. La partie principale, centrée sur les Incas, est la plus réussie. Malheureusement, on se demande pourquoi l'auteur a voulu conclure par un chapitre consacré à Cervantes, vraiment barbant. À la place, il aurait mieux fait de nous faire découvrir l'Europe quelques siècles plus tard, par exemple au 19e siècle.
En conclusion, je ne recommande pas.

3.Posté par Jean Christophe GAPDY le 21/02/2024 09:37 | Alerter
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JCGapdy
Intéressant, si on aborde ce texte comme une « page d’histoire » et non comme un roman « classique » où l’alternance dialogue-action-description est plus habituelle. Deux petits couacs de mon point de vue. Un détail sur la temporalité et le calendrier, car on a du mal à suivre ce dernier avec les « voyages économico-commerciaux » entre l’Espagne et Cuba. Ce qui, heureusement, n’empêche pas de lire ni d’apprécier cette deuxième partie. Par contre, plus étonnante est la troisième partie qui arrive comme un cheveu sur la soupe sans qu’on n’en comprenne ni la raison, ni l’intérêt, ni les liens avec la grande partie précédente. On aurait d’ailleurs pu s’en passer pour une autre approche ; au final, j’ai plus survolé cette partie que je ne l’ai lue.
Pas le meilleur livre de l’auteur, quelques longueurs et quelques petites explications uchroniques qui auraient pu être encore plus creusées de par l’intérêt qu’elles suscitaient, mais en dehors de cela, livre dévoré en deux courtes soirées ; le roman – sans personnages dialoguant réellement donc – se lit tout seul, une fois entré dans le concept et la forme adoptée - et en oubliant la 3e partie.

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