Editions Métal | Une collection mythique : la "Série 2000" | 1954-1957

Par | 06/11/2024 | Lu 552 fois




Editions Métal, Série 2000 | Photos @ Didier Reboussin, ouvrages de ma collection privée
La Série 2000 des Editions Métal apparut quelques années après Anticipation au Fleuve Noir et le Rayon Fantastique, collections entre lesquelles elle tenta de faire entendre une voix originale qui s’éteignit à l’issue de 24 livraisons. Ce retard au démarrage, par rapport à ses deux grandes rivales, fut un handicap malgré l’énergie déployée pour sa promotion. Evoquer les Editions Métal et, en particulier la Série 2000 consacrée à la science-fiction, c’est mettre sous le feu des projecteurs un personnage aussi étonnant qu’oublié de nos jours : Jean Birgé.

Né en 1917, Jean Birgé, selon la biographie due à son fils Jean-Jacques, vécut une existence qui fut tout, sauf un long fleuve tranquille. N’hésitant pas à se remettre en question à un âge mûr, il embrassa une panoplie de métiers aussi divers que piqueteur (bornage) pour lignes à haute tension, coiffeur pour dames, barman au Ritz, pêcheur sur un chalutier, correcteur au Bottin, videur de boîte de nuit, acteur de cinéma, critique à l'ORTF, modiste, marin sur un pétrolier, journaliste à France Soir, correspondant du Daily Mirror. Agent littéraire - il lança Frédéric Dard (qui lui dédia son premier livre) et Robert Hossein - il s’occupa de Michel Audiard, de Marcel Duhamel et de sa Série Noire, de Francis Carco dont il produisit les pièces, de Georges Arnaud dont il géra les droits du « Salaire de la peur ». Il fit tourner Pierre Dac, fit faillite à cause de la comédie musicale « Nouvelle Orléans » avec Sidney Bechet, Mathy Peters, Pasquali et Jacques Higelin dont ce fut le premier rôle au théâtre. Au Hot Club de France ; Louis Armstrong venait tous les soirs jouer dans sa chambre. Il fut secrétaire de rédaction à Cinévie, vendeur de voitures d'occasion, chef de publicité, rédacteur en chef d'une revue d'électroménager, administrateur des Ballets de Janine Charrat, expert auprès des Tribunaux pour l'Opéra de Paris, directeur commercial d'une société d'adhésifs, « Visiteur du Soir » dans une émission de Pierre Laforêt sur Europe 1, auteur d'un feuilleton policier pour la radio, candidat bidon pour lancer L'Homme du XX°Siècle avec Pierre Sabbagh à la Télévision Française. Il aida Bruno Coquatrix à ouvrir l'Olympia, vendit des bougies d’automobiles…

Personnalité aux convictions inébranlables, il combattit le nazisme et s’échappa d’un train de la mort – ce qui le rapprochera d’un Pierre Versins qui vécut le même cauchemar, et l’on peut conjecturer que la publication de ce dernier aux Editions Métal ne dût rien au hasard, une terrible expérience les rapprochant. Jean Birgé fut également le seul, à ma connaissance, à livrer une chronique traitant de musique et SF pour la revue Satellite.

Il semble que l’idée des Editions Métal ait été le fruit de sa rencontre avec Jacques Bergier. Jean Birgé était féru de science-fiction et sa bibliothèque renfermait des centaines d’ouvrages de ce genre. La collection phare de cette maison, la Série 2000, connût donc 24 livraisons complétées de deux hors-séries, et perdura jusqu’en 1957. Souffrit-elle d’être distribuée par Hachette, coéditeur du Rayon Fantastique ? Pourtant plusieurs tentatives de diversification furent lancées, dont l’amorce d’une collection policière et de romans d’aventures dans la lignée de ceux publiés par André Martel. Mais, malgré cette courte existence, la Série 2000 a survécu dans la mémoire collective des amateurs de science-fiction, en raison tout d’abord de ce que l’on appellerait aujourd’hui son « packaging ».

En effet, 15 ans avant « Ailleurs et Demain » et ses couvertures imaginées par Paco Rabanne, la Série 2000 s’illustra par des livrées argentées, cuivrées ou dorées, qui plus est cartonnées, établissant de facto une réelle différentiation par rapport à ses concurrentes. Le design de ces couvertures était dû à Gilbert Martin, architecte décorateur et à sa femme Arlette, artiste plasticienne, belle-sœur de Jean Birgé.

Si l’on se penche maintenant sur les titres qui composèrent cette collection, les surprises abondent. L’ouvrage emblématique qui a donné à la Série 2000 ses lettres de noblesse est bien sûr « La Naissance des Dieux » signé Charles Henneberg. Ce livre reçut le « Grand Prix de l’anticipation scientifique » en 1954, récompense maison destinée à mettre en exergue la collection, et qui ne connût qu’une seule occurrence. L’idée sera reprise sans tarder par le Fleuve Noir et le Rayon Fantastique, et perdurera de nos jours sous des avatars divers. Jean Birgé qui versa dans la publicité se démarqua ainsi plutôt brillamment de ses confrères. Néanmoins, le prix profita davantage au lauréat qui connut dès lors une certaine notoriété plutôt qu’à la collection. La même année, Henneberg reçut le second prix de la nouvelle policière organisé par Mystère Magazine. Ainsi, Charles et Nathalie Henneberg furent lancés. Ils allaient donner à la science-fiction française quelques-unes de ses plus belles pages. « La Naissance des Dieux » n’a rien perdu de son souffle. Au contraire d’œuvres futures plus échevelées, les conseils de Charles Henneberg à son épouse – l’auteure réelle -, son apport scientifique, disciplinèrent son écriture. Mariage réussi de l’épique, du rationnel et de la poésie, « La Naissance des Dieux » reste un ouvrage mémorable. Mais il serait injuste de réduire la Série 2000 à ce seul titre. Si l’on parcourt son catalogue et surtout si l’on recense les auteurs qui y figurèrent, on constate que c’est toute une « intelligentsia » de l’époque qui participa à cette aventure. Un des auteurs les plus emblématique fut Jean Lec, pseudonyme de Fernand Lecoublet.

Celui-ci créa l'un des premiers ateliers de publicité, "l'Atelier Lec", où il exerça comme peintre et graphiste, sous le nom de Jean Lec. Mais son dessin fortement influencé par le cubisme déconcerta les clients potentiels. Il s'installa alors dans le 18ème arrondissement de Paris pour devenir peintre. Il se convertit ainsi en dessinateur de mode pour la confection de luxe, et il fut le premier à présenter des collections en tournées. C'est à l'occasion de ces manifestations qu’il approcha le public... De dessinateur à chansonnier, le pas sera vite franchi. En 1935, aux Noctambules, il inaugure un tour de chant de dessinateur-chansonnier en faisant des dessins humoristiques sur scène. Puis il se produit dans les cabarets parisiens, notamment aux Deux Anes, et au Caveau de la République. Après la Libération on lui propose de faire une émission radiophonique hebdomadaire. Celle-ci débute en octobre 1946 sous le nom de " Grenier de Montmartre" et remporte un très grand succès. Désormais il n'est plus seulement un chansonnier, mais aussi un producteur, un réalisateur qui lance des débutants et qui ne craint pas de prendre le micro en compagnie de ses pairs. Chaque dimanche à midi, le célèbre indicatif retentit à la radio : "Pour informer le monde, avec la voie des ondes, il y a, il y a, il y a les chansonniers…"

En France la vie s'arrête alors et tous les foyers écoutent " le Grenier de Montmartre". Artiste complet, Jean Lec mène aussi une carrière littéraire et donne deux ouvrages de bon niveau à la Série 2000 : «L'être multiple » et « La machine à franchir la mort ».

Autre auteur remarquable aux effectifs des Editions Métal : Robert Collard, dit «Lortac », connu des spécialistes de l'animation. Il est parmi les pionniers du dessin animé, et est à redécouvrir. Sa production est quantitativement la plus importante de toute l'histoire de l'animation en France.

Né en 1884, destiné à une carrière militaire incompatible avec sa nature indisciplinée, il fit des études de peinture dans un atelier des Beaux-Arts de Paris. De 1906 à 1914, il collabora à des journaux comme dessinateur-caricaturiste, croquant sur le vif les acteurs, pour illustrer les comptes-rendus de pièces. En 1914, il avait mis en chantier "Le savant Microbus et son automate", un film comique dans la veine du cinéma muet de l'époque, quand la guerre éclata. Le tournage fut terminé à la hâte et il partit sur le front. Blessé en 1915, il fut réformé et dès son rétablissement, il se mit à réaliser des films de pantins animés pour inciter les civils à acheter des bons de la Défense Nationale. Envoyé aux Etats-Unis présenter une exposition d'artistes français mobilisés, il découvrit avec émerveillement les bandes dessinées de Winsor McCay dans le New York Herald et les studios de dessins animés américains.

A son retour en 1919, il fonda sa propre société de production et, après avoir réalisé quelques dessins animés de fiction humoristiques, il choisit de s'orienter vers le dessin animé publicitaire. Sa maison de Montrouge devint le premier studio de dessins animés en Europe avec une dizaine de collaborateurs et 5 caméras. Il utilisait banc-titre, poupées animées, prises de vues réelles. Il tournait aussi des documentaires et des films techniques et éducatifs. A partir de 1922, il lança le "Canard en ciné": ces courts films d'animation commentaient l'actualité de façon amusante et impertinente. Pathé les distribuait en salle en même temps que les actualités. En 1936, la crise ralentit les affaires et la publicité périclita.

Après la Seconde Guerre mondiale, Lortac s'adonna à l'écriture de scénarios de bandes dessinées et de livres policiers ("Bibi Fricotin", "Bicot", "Les Pieds Nickelés", "Météor"...). Il collabora à la Série 2000 avec « Les bagnards du ciel » qui montre comment, dans une civilisation mature, les asociaux et criminels sont exilés loin de la Terre, construisant un modèle social inquiétant. C’est un thème que l’on retrouvera ultérieurement chez Stefan Wul (Retour à « O ») et même chez un Cordwainer Smith (La Planète Sayol).

Révélé par la Série 2000 et devenu célèbre par la suite : Pierre Versins. Versins, c’est le Diderot de la science-fiction, l’historien érudit et collectionneur. Ce fut aussi un authentique écrivain, qui livra trois romans aux Editions Métal, ultérieurement réédités chez Kesselring. « Les Etoiles ne s’en foutent pas » reste son titre le plus connu et restitue bien le côté à la fois humaniste et grinçant de l’auteur. Evitant par miracle de compter parmi les victimes de la Shoa, Versins devint-il désabusé ou crût-il malgré tout en l’être humain? Personnalité complexe, aux jugements parfois sévères et hâtifs (voir dans son Encyclopédie certains articles plus que lapidaires sur des auteurs de première grandeur, et dithyrambiques pour d’autres totalement secondaires…), il a laissé une empreinte considérable dans le petit monde de la science-fiction, dont La Maison d’Ailleurs, unique musée du genre à ma connaissance, situé dans le pays de notre chère capitaine, porte haut la marque.

Autres auteurs marquants, Albert et Jean Crémieux, deux frères belges, qui donnèrent « Chute libre » et « La parole perdue ». Jean Crémieux s’était fait connaître dans les années 30 en participant au mouvement pacifiste d’alors à travers la revue « Europe », où il exprimait ses craintes d’un conflit futur avec l’Allemagne en raison de la misère que connaissait alors ce pays durant la période de Weimar. On retrouve avec lui, Versins, Birgé, et l’ombre de Jacques Bergier, une certaine unité d’idées en réaction aux horreurs d’une guerre encore toute proche. De là à penser que la Série 2000 fut discrètement orientée…

Autre personnalité remarquable rejoignant les rangs de notre collection : Christian Russel (Jean Rousselot). Jean Rousselot, né en 1913 fut un écrivain issu du milieu ouvrier. Orphelin, il dût se satisfaire de brèves études et gagner sa vie dès l'âge de 15 ans. Fonctionnaire, il démissionna en 1946 pour se consacrer exclusivement à l'écriture. Il fut chargé de missions de conférences par les Affaires Etrangères et l'Alliance française. Il présida la Société des Gens de Lettres et il devint membre de l' Académie Mallarmé. Il fut Grand Prix de l'Académie française et de la Ville de Paris, médaillé des Forces françaises libres, Chevalier de la Légion d'honneur, Officier de l'Ordre National du Mérite, Commandeur des Arts et des Lettres… Il donna à la Série 2000 un roman tout à fait remarquable, « Les Voyants ».

On découvre aussi que Claude Yelnick auteur de « L’homme, cette maladie », fut un des scénaristes de « Mickey à travers les siècles » dont les aventures, en première page du Journal de Mickey de la grande époque, ont envoûté toute une génération. Enfin, la Série 2000 compta parmi ses auteurs quelques figures marquantes du roman populaire, Maurice Limat bien sûr, mais aussi Yves Dermèze (Paul Béra au Fleuve Noir), Maurice Vernon, aux multiples pseudonymes, qui fit les beaux jours de la collection « Gerfaut » sous le nom de Friedrich Soffker. Michel Lecler (alias Michel Lebrun ou Michel Cade 1930 – 1996), romancier prolifique qui aborda tous les genres, de l'énigme (Plus mort que vif) au roman noir (Un revolver c'est comme un portefeuille) en passant par le suspense. Il remporta le Grand Prix de la littérature policière en 1956, pour « Pleins feux sur Sylvie ». C'est pourtant son œuvre critique et théorique qui lui valut une place prééminente dans la littérature policière, notamment sa série « L'Almanach du Crime ». Son érudition lui valut le surnom de « pape du polar ».

Enfin, comment ne pas évoquer Adrien Sobra qui concourut à la qualité de la Série 2000 avec « Portes sur l’inconnu », un roman d’anticipation éblouissant. Adrien Sobra, homme éminemment discret, s’illustrera sous le nom de Marc Agapit au Fleuve Noir, méritant son surnom de « Monsieur Angoisse ». Ce fut l’écrivain majeur du fantastique en France au 20ème siècle.

Ce panorama montre à quel point les intellectuels de l’après-guerre ressentirent un véritable engouement pour la science-fiction, auquel Jean Birgé sut répondre en offrant à ces artistes un cadre sur mesure. Boris Vian lui-même – avec lequel Jean Birgé collabora - donna le ton en traduisant Le Monde du A de Van Vogt.

La collection Série 2000, dite « Métal », est un témoignage précieux de cet intérêt, car derrière ses couvertures dorées, elle renferme d’authentiques pépites.

Remerciements

Merci à Jean-Jacques Birgé pour son aide.

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