Errances en terres perdues | Philippe Lemaire | 2025

Par | 02/03/2025 | Lu 184 fois




Errances en terres perdues @ 2025 Rivière Blanche | Illustration de couverture @ Philippe Lemaire | Photo @ Christobal Columbus, édition privée
"Dès que Marc ouvrit la porte, le grand corbeau s’engouffra immédiatement par le passage et, l’instant d’après, les derniers doutes du nomade s’évanouirent. À moins de cinquante mètres de la roulotte, de nouveaux spectres s’approchaient lentement, et le vagabond en dénombra une bonne trentaine. Leur aspect était si proche de celui des derniers fantômes qui lui étaient apparus qu’il crut d’abord avoir affaire aux mêmes. Cependant, s’ils portaient les mêmes costumes typiques des puissants du monde d’avant la guerre, si leurs yeux brillaient du même éclat malsain, il ne reconnut aucun visage, puis il remarqua que ces spectres-là étaient beaucoup plus matérialisés. En effet, on ne voyait pas à travers leurs corps, au point que, sans leurs yeux à l’éclat si peu naturel, il aurait été tout à fait concevable de les prendre pour des humains incarnés."

Alors que la France n’est plus que ruines, rallier les terres méridionales du pays dans une roulotte bricolée et tirée par deux chevaux n’est pas une mince affaire, surtout si les caprices du destin vous collent dans les pattes une jeune femme dont les ancêtres étaient des inconditionnels de la roulotte hippomobile. Se retrouver, en prime, affublé d’un corbeau futé et bavard n’est pas non plus une sinécure. Cependant, ça peut se révéler bien utile lorsque, des décombres informes de ce qui fut autrefois des villes et des villages, surgissent des individus blafards qui n’ont pas l’air tout à fait vivants.

Fiche de lecture

Un voyageur solitaire prénommé Marc est en route pour un long voyage, à la recherche d'une contrée moins hostile. Parti de Bretagne avec ses deux fidèles chevaux de trait, il va réaliser que le voyage sera plus difficile qu'il ne l'avait imaginé. Fort heureusement, une jeune femme et un curieux corbeau vont entrer dans sa vie...

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Si je peux dire que Philippe Lemaire sait faire voyager ses lecteurs, il reste bien entendu fidèle à lui-même dans cet ouvrage qu'est Errances en terres perdues. En effet, tels ses romans Stryges ou Les Hostiles, nous sommes surtout ici dans le même schéma que Odyssée Spectrale mais avec un moyen de transport et un décor bien plus compliqués.
 
Pour ce moyen de locomotion choisi par l'auteur, si un voilier (Odyssée Spectrale) ne demande que du vent pour avancer, il en va tout autrement pour deux énormes chevaux de trait avoisinant les 800 kg chacun et devant tirer une roulotte tout aménagée. Les arrêts doivent forcément être nombreux et réguliers et si ces arrêts sont du repos pour les chevaux, il en va tout autrement pour son voyageur qui doit trouver à les nourrir et à les abreuver.
 
En ce qui concerne l’environnement, l'auteur n'a pas choisi non plus le plus facile à décrire. La France est grande mais à la traverser en roulotte, elle est immense ! Transposez-la dans un état post-apocalyptique et elle en deviendrait presque infinie...
 
Ce petit descriptif du contexte me permet d'expliquer le ressenti de longueur que j’ai pu éprouver au cours de la lecture. Les pauses, les trajets et les aventures qui s'y déroulent se suivent et se ressemblent assez fortement mais l'auteur ne pouvait faire autrement :
 
- Les arrêts servent à réalimenter les braves chevaux et rééquiper le chariot en bois de chauffage et il ne saurait en être autrement.
- Les ruines défilent à longueur des pages et après une guerre nucléaire totale, il ne saurait en être autrement.
- Les attaques de bandes d'écumeurs se succèdent dans cet environnement de désolation et la nature humaine fait qu'il ne saurait en être autrement.
 
Habillement, Philippe Lemaire agrémente tout cela avec de belles rencontres. C'est un peu comme éclaircir une sauce un peu trop épaisse. Il montre surtout que malgré cette nature humaine toujours prête à tout pour sa survie, il restera toujours de bonnes personnes qui se démarqueront en gardant leur civilité dans cette humanité égoïste. Si l'on jette un œil aux films dans les genres survival et post-apocalyptique, le schéma est très souvent tout aussi identique.
 
Le trajet effectué par l'attelage et ses passagers est extrêmement bien détaillé. On pourrait facilement le tracer sur une carte en pointant les différents endroits mentionnés, les points de repères étant bien entendu les cours d'eau (nécessaires aux chevaux) en partant du nord de la France jusqu’à la Méditerranée et par-delà. Comme d'habitude, l'auteur reste très précis et cohérent dans son récit. Il exprime également sa passion pour les armes à feu, essentielles à la survie dans un contexte post-apocalyptique.
 
Vient enfin le sujet de prédilection de l'auteur : les vampires ! Alors là, le choix de l'identité du personnage maudit est totalement osé ! Et ses liens avec des figures historiques et ancestrales renforcent cette idée. Philippe Lemaire exprime clairement ses positions. Je n'ose imaginer la découverte et le ressenti de la personne concernée à la lecture de cet ouvrage. Je doute cependant fort qu'elle prenne le temps de le lire un jour, aussi aurais-je plutôt dû écrire "à l'écoute du résumé qu'on lui rapporterait aux oreilles"...
 
Bien que Philippe Lemaire soit passionné par les vampires, je trouve les apparitions de ces êtres maudits plutôt légères. Ayant lu tous ses romans, j'ai déjà connu l'auteur bien plus insistant (et trash) sur les actions ou destinées des vampires.
 
Sans spoiler, les décisions prises sur la fin du livre m'ont quelque peu surpris. On s'attache aux personnages et aux animaux dans chacun de ses romans mais l'auteur a toujours ce malin plaisir à faire changer la donne.

Je n'ai pas du tout été déçu par cette lecture et, en attendant la sortie de son prochain roman, je félicite et salue Philippe Lemaire pour tout ce travail si précis.

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