Oeuvre prémonitoire s'il en fut, ce roman d'Anthony Burgess, paru en 1962, a pour cadre un monde futuriste furieusement proche du nôtre.
Son héros, le jeune Alex, s'ingénie à commettre le mal sans le moindre remords : en compagnie de ses drougs, il se livre à la bastonnade, au viol et à la torture au son d'une musique classique censée apporter la sérénité de l'âme. Incarcéré à la suite d'un hold-up raté, il subit un traitement chimique qui le rend allergique à toute forme de violence. A sa sortie, devenu doux comme un agneau, il endure les avanies que lui infligent les anciens membres de sa horde dont certains sont passés du côté du service d'ordre, avant d'être recueilli par une de ses victimes.
Tout le génie de Burgess éclate dans ce livre sans équivalent, entre roman d'anticipation et conte philosophique, qui s'interroge avec autant d'humour que de lucidité sur la violence, le mal, et la question du libre arbitre. Burgess, qui fut linguiste et compositeur avant de devenir romancier, réussit en outre le prodige d'inventer une langue, le nasdat, dans laquelle son héros et narrateur Alex raconte sa propre histoire. "Je ne connais aucun écrivain qui soit allé si loin avec le langage", commentera William S. Burroughs. L'Orange mécanique assurera, avec un petit coup de pouce de Stanley Kubrick, la célébrité mondiale à son auteur.
Son héros, le jeune Alex, s'ingénie à commettre le mal sans le moindre remords : en compagnie de ses drougs, il se livre à la bastonnade, au viol et à la torture au son d'une musique classique censée apporter la sérénité de l'âme. Incarcéré à la suite d'un hold-up raté, il subit un traitement chimique qui le rend allergique à toute forme de violence. A sa sortie, devenu doux comme un agneau, il endure les avanies que lui infligent les anciens membres de sa horde dont certains sont passés du côté du service d'ordre, avant d'être recueilli par une de ses victimes.
Tout le génie de Burgess éclate dans ce livre sans équivalent, entre roman d'anticipation et conte philosophique, qui s'interroge avec autant d'humour que de lucidité sur la violence, le mal, et la question du libre arbitre. Burgess, qui fut linguiste et compositeur avant de devenir romancier, réussit en outre le prodige d'inventer une langue, le nasdat, dans laquelle son héros et narrateur Alex raconte sa propre histoire. "Je ne connais aucun écrivain qui soit allé si loin avec le langage", commentera William S. Burroughs. L'Orange mécanique assurera, avec un petit coup de pouce de Stanley Kubrick, la célébrité mondiale à son auteur.
Fiche de lecture
Faire le bien par réflexe conditionné ?
Écrit il y a plus de 55 ans, L’Orange mécanique d’Anthony Burgess (transposé au cinéma par Kubrick) appartient-il à la science-fiction ?
Si l’on s’en réfère à la série des exactions commises par Alex, le jeune narrateur, un antihéros, genre dépravé, on serait enclin à répondre par la négative. Le mode narratif n’est pas non plus typique du genre SF. Plutôt un obstacle à la lecture (du moins à sa fluidité), le récit d’Alex restitue un langage ado, dont le vocable est en grande partie inventé par l’auteur. Heureusement, la fin du livre propose un glossaire. Burgess était un linguiste.
En revanche, ce roman peut relever de la science-fiction si l’on considère sa question centrale et fondamentale : quelle est la limite entre le déclic mécanique et l’âme humaine ? Que préférer, l’être libre qui peut choisir le Mal ou l’être réifié (chosifié) qui penche vers le Bien par réflexe conditionné ? Ainsi peut-on lire : « Tout homme incapable de choisir cesse d’être un homme » (p. 137, éd. Poche).
En fait, je dirais que ce roman peut s’inscrire dans un genre qui m’est proche, le genre « conscience-fiction ». Voyez plutôt.
Un service du Ministère de l’intérieur a conçu une thérapie de choc qui guérit le criminel et désengorge ainsi les prisons inutiles. Le traitement radical dégoûte le sujet de tout ce qui est mal. Le patient devient une sorte de machine, qui, malgré elle, ou plutôt forcée par les souffrances de son corps dès la tentation, se montre incapable de sombrer dans le méfait. Un tel homme serait-il encore un homme ? Ne serait-il pas un humain dégénéré en robot ?
Tout ce récit présuppose que l’acte de choisir dépend d’une faculté qui caractérise l’humain. Reste posée la question suivante : très souvent, trop souvent, choisir sa route devant une bifurcation ne relève-t-il pas d’un réflexe (d’un tropisme, comme le ver de terre qui « choisit » une galerie plutôt qu’une autre) ou d’un pari, d’un investissement magique ? La plupart du temps, lorsque l’on tranche, ne coupe-t-on pas court à l’interminable délibération à laquelle nous condamnent les controverses du genre : « Dans la solitude, tu te dévores toi-même; lorsque tu es au milieu des gens, tu es dévoré par plusieurs; choisis ! » (Nietzsche)
En tout cas, L’Orange mécanique a attiré l’inventeur de HAL, le super ordinateur de 2001 : L’Odyssée de l’Espace. De plus, l’ouvrage a le mérite de proposer au lecteur un vaste de champ de méditation sur la limite entre ce qui est mécanique et ce qui est humain. N’est-ce pas là une question cruciale aujourd’hui, une question qui obsède la science-fiction ?
Écrit il y a plus de 55 ans, L’Orange mécanique d’Anthony Burgess (transposé au cinéma par Kubrick) appartient-il à la science-fiction ?
Si l’on s’en réfère à la série des exactions commises par Alex, le jeune narrateur, un antihéros, genre dépravé, on serait enclin à répondre par la négative. Le mode narratif n’est pas non plus typique du genre SF. Plutôt un obstacle à la lecture (du moins à sa fluidité), le récit d’Alex restitue un langage ado, dont le vocable est en grande partie inventé par l’auteur. Heureusement, la fin du livre propose un glossaire. Burgess était un linguiste.
En revanche, ce roman peut relever de la science-fiction si l’on considère sa question centrale et fondamentale : quelle est la limite entre le déclic mécanique et l’âme humaine ? Que préférer, l’être libre qui peut choisir le Mal ou l’être réifié (chosifié) qui penche vers le Bien par réflexe conditionné ? Ainsi peut-on lire : « Tout homme incapable de choisir cesse d’être un homme » (p. 137, éd. Poche).
En fait, je dirais que ce roman peut s’inscrire dans un genre qui m’est proche, le genre « conscience-fiction ». Voyez plutôt.
Un service du Ministère de l’intérieur a conçu une thérapie de choc qui guérit le criminel et désengorge ainsi les prisons inutiles. Le traitement radical dégoûte le sujet de tout ce qui est mal. Le patient devient une sorte de machine, qui, malgré elle, ou plutôt forcée par les souffrances de son corps dès la tentation, se montre incapable de sombrer dans le méfait. Un tel homme serait-il encore un homme ? Ne serait-il pas un humain dégénéré en robot ?
Tout ce récit présuppose que l’acte de choisir dépend d’une faculté qui caractérise l’humain. Reste posée la question suivante : très souvent, trop souvent, choisir sa route devant une bifurcation ne relève-t-il pas d’un réflexe (d’un tropisme, comme le ver de terre qui « choisit » une galerie plutôt qu’une autre) ou d’un pari, d’un investissement magique ? La plupart du temps, lorsque l’on tranche, ne coupe-t-on pas court à l’interminable délibération à laquelle nous condamnent les controverses du genre : « Dans la solitude, tu te dévores toi-même; lorsque tu es au milieu des gens, tu es dévoré par plusieurs; choisis ! » (Nietzsche)
En tout cas, L’Orange mécanique a attiré l’inventeur de HAL, le super ordinateur de 2001 : L’Odyssée de l’Espace. De plus, l’ouvrage a le mérite de proposer au lecteur un vaste de champ de méditation sur la limite entre ce qui est mécanique et ce qui est humain. N’est-ce pas là une question cruciale aujourd’hui, une question qui obsède la science-fiction ?