À l’inconnu
Entre les zones de sable mouvant, le sol trempé se montrait compact, pas boueux pour un sou. Plus loin, des colonies de champignons de toutes tailles défiaient le ciel mordoré que tamisaient des couettes nuageuses parfois percées de rayons éblouissants. Un léger vent marin signalait un littoral proche.
Bientôt, un vaste champ d’algues non aquatiques, dressées en spirales, ralentit la progression, laquelle nécessitait un sérieux qui-vive. Au moindre frôlement, ces plantes filiformes émettaient des éclairs discrets qui parasitaient le calme électromagnétique.
Sur le trajet, des cailloux phosphorescents, fort anguleux, parsemaient le val où affleuraient des crêtes de roches vertes, schisteuses, en vibration. Entre celles-ci méandrait une rivière turbulente sous une écume nacrée. Il pleuvinait des gouttelettes d’ambres qui humidifiaient l’air saturé d’effluves de marne et de détergent.
Une pierre massive explosa. Ses éclats mitraillèrent la carlingue de Banjo. Tous les impacts furent amortis. Rien n’arrêterait l’exploration de cet éclaireur qui venait d’être parachuté sur cette exoplanète inconnue, bien au-delà de sa galaxie originelle.
Imaginez Banjo : on aurait dit une tortue géante sur sept roues. Sa carapace était surmontée de deux bras articulés qui gesticulaient sans cesse. Ces capteurs analysaient les données atmosphériques. À l’arrière, une sorte de queue traînait pour étudier le terrain.
Depuis bien des lustres, Banjo ne communiquait plus avec les Terriens qui l’avaient envoyé dans l’univers hors de portée des messages. Il bourlinguait donc pour lui seul, n’avait de compte à rendre à quiconque, accumulant les données physiques que lui offrait ce monde vierge (à première vue). Certes, cette expédition solitaire à des années lumière de son aire de lancement pouvait paraître absurde, mais n’était-elle pas la fleur de l’intelligence artificielle ? Au fond, Banjo se comportait en chercheur indépendant. Bien sûr, selon le protocole, il envoyait régulièrement les résultats de ses investigations vers la Terre, mais il savait que ces rapports ne parviendraient à la planète bleue que dans une lointaine ère géologique.
Il dépassa un « arbre » aux feuilles telles des toiles d’araignées. Le tronc plus que tordu était couvert de bulles d’où s’écoulaient des filets d’huile. Ces derniers finissaient par lécher des surfaces blanchâtres, des plaques salines mouillées par des flaques dormantes à l’ombre d’une falaise. Selon la puce à métaphore activée automatiquement dès la phase exploratrice, le secteur restituait les fragrances du savon. Cette découverte fut classée comme plus qu’insolite dans les archives du robot.
Un peu plus tard, après le zénith des soleils jumeaux, une tempête de gravier martela le blindage de Banjo et brouilla certains de ses senseurs frontaux. Malgré cette perturbation, aucune de ses sept roues ne cessa de rouler.
Hélas, lors de l’accalmie, faute de données fiables, l’engin se vit empêtré dans une sorte de sable mouvant. En descente au ralenti, son corps patinait sans relâche. Plusieurs fois, il accéléra, presque en vain. Certes, il avança de quelques pouces, mais continuait de s’enfoncer. À force d’être contrarié, d’un coup de défi, il déclencha la tuyère de secours à l’arrière, doubla la vitesse de rotation de ses roues, tout cela pour un progrès dérisoire.
Était-ce la fin de Banjo ? En tout cas, le robot se perdait dans ses calculs. Ses capteurs ne tiédiraient plus longtemps sous la lumière mauve du tandem solaire, lequel ressemblait à une étrange paire de lunettes rondes anti-UV, selon le logiciel qui interprétait l’environnement par analogie. Soudain, une alerte retentit. Le signal venait de repérer une silhouette animée non loin devant lui. Incongrue, cette apparition concentra toute son énergie. Pour contrer son absorption par le sable, pour échapper aux entrailles de la planète, il décupla la puissance de sa motricité, ses roues tournaient si rapidement qu’elles faisaient fondre en masse les grains de poussière à leur contact. Lentement mais sûrement, Banjo parvint à s’extraire du piège fatal.
Encore tout fumant de surchauffe, il s’approcha de cette présence qui s’était immobilisée, comme pour mieux l’observer. Rien, rien en elle n’évoquait une quelconque existence animale. Rien en elle de naturel. Ses formes rondes miroitaient les feux des soleils. Banjo discerna une double boule, l’une sur l’autre, chacune incrustée de tuyauterie, le tout reposant sur une paire de disques reliés au « corps » par deux axes coudés.
Brusquement, ça bondit, rebondit, rebondit encore ! Les opérateurs poétiques de Banjo associèrent ces mouvements au déplacement du kangourou. À chaque retombée résonnait le sol tapissé de lichen. Un bref examen conclut que l’on avait affaire à un robot prospecteur, dont les bouts de pattes en disque provoquaient des chocs, des ondes de microséisme sur le terrain, pour en sonder la composition.
Ainsi, un robot venait de croiser un autre robot sur une exoplanète. Autochtone ou venu d’ailleurs, comme le sept roues ? De quel type était cette rencontre dans cet au-delà ?
Sans crier gare, l’engin se mit à gambader par petits sauts vifs autour de Banjo, à croire qu’il voulait l’empêcher de se mouvoir. Au bout de chaque tour, ça émettait le même son bizarre : « bouh ! ».
Après une dizaine de cercles, ça stoppa net, peut-être en attente d’une réaction. Banjo crut bon de répéter « bouh ! ». À chacun de ses « bouh ! », ça bondissait. Serait-ce le nom de cette chose ? Quelques calculs plus tard, il tenta de lui parler. Sans aucun effet. Puis, il lui transmit, en hologramme, une démonstration simple en géométrie. Un vrai bide. Il tenta le morse IA. Pas mieux. Le langage gestuel par ses bras articulés ne donna guère plus de résultat. Ça demeurait aussi impassible qu’un ours en hibernation. Enfin, Banjo traça sur le sol meuble des dessins rudimentaires. L’autre répondit en griffonnant des graphiques de tremblements de terre. Mais ces marques résistaient à toute traduction. Malgré son dispositif métaphorique sollicité à fond, impossible d’interpréter ces signes, cette suite de pics nerveux ! Après une longue pause, « Bouh » se mit à frapper le sol avec l’un de ses disques basaux. À chaque coup, boum ! Banjo puisa dans ses data. Après quelques hésitations, il diffusa le solo de batterie de « Take five ». Bouh réagit par un curieux ronronnement. Puis, un long temps mort. Aucun doute. La relation calait. Cela n’allait pas être facile d’échanger. Chacun des robots était le produit d’une civilisation si différente. Trop différente, apparemment. La lassitude d’une conversation sourde stagnait. Forcément, ce qui devait arriver arriva. Bouh déguerpit en sautillant. Des bonds qui rendraient jaloux le champion des kangourous !
Banjo se retrouva donc seul. Sans remords, il poursuivit son périple sur l’exoplanète, examinant avec une prudence patiente, méthodique, cette nature aussi revèche que radicalement étrangère.
Quelques nuits plus tard, il n’avait toujours pas enregistré le moindre animal autochtone, ni détecté le plus infime indice d’organisation intelligente. Dommage qu’il fût hors de raison d’atteindre ses anciens maîtres humains. Ce monde pourrait accueillir une colonie massive de pionniers.
Du temps s’écoula. À la fin de sa première révolution planétaire autour des soleils jumeaux, Banjo détecta, aux confins d’une étendue de champignons, un drôle d’objet qui s’éloignait par bonds successifs, suivant son propre chemin. Bien sûr, c’était Bouh. Son module évaluateur trouva dommage que les données de l’exploration de ce monde ne pussent être partagées…
Oui, d’autant plus dommage que, depuis sa rencontre ratée, ses connaissances s’étaient fort enrichies. Le sept roues avait à présent collecté un trésor de renseignements sur la géologie, l’océanographie, la météorologie, la botanique et même la zoologie de ce corps céleste en dehors des limites du cartographié ! En effet, à force d’opiniâtreté, l’encyclopédie de l’engin avait fini par répertorier une douzaine de races ovipares sur le continent et plus d’une centaine d’espèces dans l’océan. Sur la terre, les animaux sans plume, sans écaille, sans fourrure, la peau nue, s’avéraient être tous des rongeurs craintifs. Dans l’eau, les poissons qui présentaient un corps double, comme leur soleil géminé, cohabitaient avec des sphères aveuglantes qui dissimulaient dans leur lumière leurs organes préhensiles.
Depuis peu, Banjo recensait les microbes indigènes qu’il passait au crible dans son laboratoire portatif. Ces êtres miniatures parasitaient les algues terrestres qui se dressaient en torsion sur l’humus trempé.
En cette fin de journée, les derniers prélèvements accomplis, ses capteurs dorsaux perçurent comme un lointain tambourinement. Encore un phénomène insolite ? Que non, Bouh, probablement. Les coups provenaient du sud, derrière lui. Il fit demi-tour pour se frayer une route parmi les végétaux tant fermes que flexibles. Certaines de ces plantes coriaces réagissaient à son passage par des poussées subites de crampons gluants, lesquels néanmoins ralentissaient à peine le sept roues.
Bientôt, se confirma la source du tapage : Bouh ! Le pauvre se débattait parmi des flashes, prisonnier d’une haie d’algues en spirales, ses deux disques podaux ne pouvaient plus bouger. Ses membres rétractiles paralysés par des espèces de racines tentaculaires nouées autour des articulations.
Ni une, ni deux, sans la moindre considération pour ces sales plantes qui ligotaient son « confrère », Banjo fonça vers l’infortuné, déployant ses bras munis de pinces et de sécateurs. Une fois le terrain élagué, Bouh délivré de ses pieuvres végétales s’approcha doucement, par petits bonds, de son cher sauveur, pour lui diffuser « Take five ». Quelle surprise ! Ainsi, le robot alien avait incorporé un fragment du monde originel de Banjo. Mieux, sur le solo de batterie, le kangourou synthétique dansa la gigue, probablement par gratitude, selon ses calculs interprétatifs du robot qui le contemplait.
Enfin, devant l’automate qui l’avait libéré, Bouh alluma un feu virtuel, lequel, en faiblissant se mua en une image en relief, l’explosion d’une planète.
Banjo déplia au ralenti son bras télescopique pour caresser la boule supérieure de l’infortuné. Compagnons d’exil, tous deux savaient qu’ils ne se quitteraient plus. Certes, ils ne pourraient communiquer, ou alors très difficilement, mais désormais la seule présence de l’autre donnait à chacun un horizon à son au-delà.
Entre les zones de sable mouvant, le sol trempé se montrait compact, pas boueux pour un sou. Plus loin, des colonies de champignons de toutes tailles défiaient le ciel mordoré que tamisaient des couettes nuageuses parfois percées de rayons éblouissants. Un léger vent marin signalait un littoral proche.
Bientôt, un vaste champ d’algues non aquatiques, dressées en spirales, ralentit la progression, laquelle nécessitait un sérieux qui-vive. Au moindre frôlement, ces plantes filiformes émettaient des éclairs discrets qui parasitaient le calme électromagnétique.
Sur le trajet, des cailloux phosphorescents, fort anguleux, parsemaient le val où affleuraient des crêtes de roches vertes, schisteuses, en vibration. Entre celles-ci méandrait une rivière turbulente sous une écume nacrée. Il pleuvinait des gouttelettes d’ambres qui humidifiaient l’air saturé d’effluves de marne et de détergent.
Une pierre massive explosa. Ses éclats mitraillèrent la carlingue de Banjo. Tous les impacts furent amortis. Rien n’arrêterait l’exploration de cet éclaireur qui venait d’être parachuté sur cette exoplanète inconnue, bien au-delà de sa galaxie originelle.
Imaginez Banjo : on aurait dit une tortue géante sur sept roues. Sa carapace était surmontée de deux bras articulés qui gesticulaient sans cesse. Ces capteurs analysaient les données atmosphériques. À l’arrière, une sorte de queue traînait pour étudier le terrain.
Depuis bien des lustres, Banjo ne communiquait plus avec les Terriens qui l’avaient envoyé dans l’univers hors de portée des messages. Il bourlinguait donc pour lui seul, n’avait de compte à rendre à quiconque, accumulant les données physiques que lui offrait ce monde vierge (à première vue). Certes, cette expédition solitaire à des années lumière de son aire de lancement pouvait paraître absurde, mais n’était-elle pas la fleur de l’intelligence artificielle ? Au fond, Banjo se comportait en chercheur indépendant. Bien sûr, selon le protocole, il envoyait régulièrement les résultats de ses investigations vers la Terre, mais il savait que ces rapports ne parviendraient à la planète bleue que dans une lointaine ère géologique.
Il dépassa un « arbre » aux feuilles telles des toiles d’araignées. Le tronc plus que tordu était couvert de bulles d’où s’écoulaient des filets d’huile. Ces derniers finissaient par lécher des surfaces blanchâtres, des plaques salines mouillées par des flaques dormantes à l’ombre d’une falaise. Selon la puce à métaphore activée automatiquement dès la phase exploratrice, le secteur restituait les fragrances du savon. Cette découverte fut classée comme plus qu’insolite dans les archives du robot.
Un peu plus tard, après le zénith des soleils jumeaux, une tempête de gravier martela le blindage de Banjo et brouilla certains de ses senseurs frontaux. Malgré cette perturbation, aucune de ses sept roues ne cessa de rouler.
Hélas, lors de l’accalmie, faute de données fiables, l’engin se vit empêtré dans une sorte de sable mouvant. En descente au ralenti, son corps patinait sans relâche. Plusieurs fois, il accéléra, presque en vain. Certes, il avança de quelques pouces, mais continuait de s’enfoncer. À force d’être contrarié, d’un coup de défi, il déclencha la tuyère de secours à l’arrière, doubla la vitesse de rotation de ses roues, tout cela pour un progrès dérisoire.
Était-ce la fin de Banjo ? En tout cas, le robot se perdait dans ses calculs. Ses capteurs ne tiédiraient plus longtemps sous la lumière mauve du tandem solaire, lequel ressemblait à une étrange paire de lunettes rondes anti-UV, selon le logiciel qui interprétait l’environnement par analogie. Soudain, une alerte retentit. Le signal venait de repérer une silhouette animée non loin devant lui. Incongrue, cette apparition concentra toute son énergie. Pour contrer son absorption par le sable, pour échapper aux entrailles de la planète, il décupla la puissance de sa motricité, ses roues tournaient si rapidement qu’elles faisaient fondre en masse les grains de poussière à leur contact. Lentement mais sûrement, Banjo parvint à s’extraire du piège fatal.
Encore tout fumant de surchauffe, il s’approcha de cette présence qui s’était immobilisée, comme pour mieux l’observer. Rien, rien en elle n’évoquait une quelconque existence animale. Rien en elle de naturel. Ses formes rondes miroitaient les feux des soleils. Banjo discerna une double boule, l’une sur l’autre, chacune incrustée de tuyauterie, le tout reposant sur une paire de disques reliés au « corps » par deux axes coudés.
Brusquement, ça bondit, rebondit, rebondit encore ! Les opérateurs poétiques de Banjo associèrent ces mouvements au déplacement du kangourou. À chaque retombée résonnait le sol tapissé de lichen. Un bref examen conclut que l’on avait affaire à un robot prospecteur, dont les bouts de pattes en disque provoquaient des chocs, des ondes de microséisme sur le terrain, pour en sonder la composition.
Ainsi, un robot venait de croiser un autre robot sur une exoplanète. Autochtone ou venu d’ailleurs, comme le sept roues ? De quel type était cette rencontre dans cet au-delà ?
Sans crier gare, l’engin se mit à gambader par petits sauts vifs autour de Banjo, à croire qu’il voulait l’empêcher de se mouvoir. Au bout de chaque tour, ça émettait le même son bizarre : « bouh ! ».
Après une dizaine de cercles, ça stoppa net, peut-être en attente d’une réaction. Banjo crut bon de répéter « bouh ! ». À chacun de ses « bouh ! », ça bondissait. Serait-ce le nom de cette chose ? Quelques calculs plus tard, il tenta de lui parler. Sans aucun effet. Puis, il lui transmit, en hologramme, une démonstration simple en géométrie. Un vrai bide. Il tenta le morse IA. Pas mieux. Le langage gestuel par ses bras articulés ne donna guère plus de résultat. Ça demeurait aussi impassible qu’un ours en hibernation. Enfin, Banjo traça sur le sol meuble des dessins rudimentaires. L’autre répondit en griffonnant des graphiques de tremblements de terre. Mais ces marques résistaient à toute traduction. Malgré son dispositif métaphorique sollicité à fond, impossible d’interpréter ces signes, cette suite de pics nerveux ! Après une longue pause, « Bouh » se mit à frapper le sol avec l’un de ses disques basaux. À chaque coup, boum ! Banjo puisa dans ses data. Après quelques hésitations, il diffusa le solo de batterie de « Take five ». Bouh réagit par un curieux ronronnement. Puis, un long temps mort. Aucun doute. La relation calait. Cela n’allait pas être facile d’échanger. Chacun des robots était le produit d’une civilisation si différente. Trop différente, apparemment. La lassitude d’une conversation sourde stagnait. Forcément, ce qui devait arriver arriva. Bouh déguerpit en sautillant. Des bonds qui rendraient jaloux le champion des kangourous !
Banjo se retrouva donc seul. Sans remords, il poursuivit son périple sur l’exoplanète, examinant avec une prudence patiente, méthodique, cette nature aussi revèche que radicalement étrangère.
Quelques nuits plus tard, il n’avait toujours pas enregistré le moindre animal autochtone, ni détecté le plus infime indice d’organisation intelligente. Dommage qu’il fût hors de raison d’atteindre ses anciens maîtres humains. Ce monde pourrait accueillir une colonie massive de pionniers.
Du temps s’écoula. À la fin de sa première révolution planétaire autour des soleils jumeaux, Banjo détecta, aux confins d’une étendue de champignons, un drôle d’objet qui s’éloignait par bonds successifs, suivant son propre chemin. Bien sûr, c’était Bouh. Son module évaluateur trouva dommage que les données de l’exploration de ce monde ne pussent être partagées…
Oui, d’autant plus dommage que, depuis sa rencontre ratée, ses connaissances s’étaient fort enrichies. Le sept roues avait à présent collecté un trésor de renseignements sur la géologie, l’océanographie, la météorologie, la botanique et même la zoologie de ce corps céleste en dehors des limites du cartographié ! En effet, à force d’opiniâtreté, l’encyclopédie de l’engin avait fini par répertorier une douzaine de races ovipares sur le continent et plus d’une centaine d’espèces dans l’océan. Sur la terre, les animaux sans plume, sans écaille, sans fourrure, la peau nue, s’avéraient être tous des rongeurs craintifs. Dans l’eau, les poissons qui présentaient un corps double, comme leur soleil géminé, cohabitaient avec des sphères aveuglantes qui dissimulaient dans leur lumière leurs organes préhensiles.
Depuis peu, Banjo recensait les microbes indigènes qu’il passait au crible dans son laboratoire portatif. Ces êtres miniatures parasitaient les algues terrestres qui se dressaient en torsion sur l’humus trempé.
En cette fin de journée, les derniers prélèvements accomplis, ses capteurs dorsaux perçurent comme un lointain tambourinement. Encore un phénomène insolite ? Que non, Bouh, probablement. Les coups provenaient du sud, derrière lui. Il fit demi-tour pour se frayer une route parmi les végétaux tant fermes que flexibles. Certaines de ces plantes coriaces réagissaient à son passage par des poussées subites de crampons gluants, lesquels néanmoins ralentissaient à peine le sept roues.
Bientôt, se confirma la source du tapage : Bouh ! Le pauvre se débattait parmi des flashes, prisonnier d’une haie d’algues en spirales, ses deux disques podaux ne pouvaient plus bouger. Ses membres rétractiles paralysés par des espèces de racines tentaculaires nouées autour des articulations.
Ni une, ni deux, sans la moindre considération pour ces sales plantes qui ligotaient son « confrère », Banjo fonça vers l’infortuné, déployant ses bras munis de pinces et de sécateurs. Une fois le terrain élagué, Bouh délivré de ses pieuvres végétales s’approcha doucement, par petits bonds, de son cher sauveur, pour lui diffuser « Take five ». Quelle surprise ! Ainsi, le robot alien avait incorporé un fragment du monde originel de Banjo. Mieux, sur le solo de batterie, le kangourou synthétique dansa la gigue, probablement par gratitude, selon ses calculs interprétatifs du robot qui le contemplait.
Enfin, devant l’automate qui l’avait libéré, Bouh alluma un feu virtuel, lequel, en faiblissant se mua en une image en relief, l’explosion d’une planète.
Banjo déplia au ralenti son bras télescopique pour caresser la boule supérieure de l’infortuné. Compagnons d’exil, tous deux savaient qu’ils ne se quitteraient plus. Certes, ils ne pourraient communiquer, ou alors très difficilement, mais désormais la seule présence de l’autre donnait à chacun un horizon à son au-delà.