Illustration et quatrième de couverture
La légende des niveaux fermés @ 1978 Fleuve Noir | Illustration de couverture @ Peter Goodfellow
Elles naquirent de l'ombre, dans un tourbillon d'ailes livides, de cris aigres et de dents.
Des aiguilles de feu s'enfoncèrent dans ma cuisse et mon épaule, à travers l'épaisseur de mon vêtement. Je me débattis, maladroit, affolé par les morsures, et la peur de tomber.
Tout était confusion, cris, panique, et glapissante nuée d'assaillants.
Cramponné d'un bras à un barreau, j'arrachai ma lampe de mon front. Le jet de lumière révéla un grouillement de bêtes volantes, qui présentaient une analogie avec les chauvettes.
Mais il était difficile d'en concevoir de semblables. Enormes, d'un blanc d'os, atteignant bien un mètre d'envergure, sinon plus. Les yeux pourpres luisant comme des braises, le mufle tronqué ouvert sur des crocs menaçants.
Fiche de lecture
Signé Gilles Thomas et publié en 1978, ce livre aborde, sous le couvert d'une aventure palpitante, un sujet d'une brûlante actualité : celui des rapports de force entre l'homme et la femme. A l'abri de son prête-nom masculin, Julia Verlanger a imaginé un monde souterrain post-apocalyptique dominé par les femmes, sous la forme d'un régime autoritaire dénommé « la Matriarchie ».
Dans cet univers souterrain, organisé en immenses niveaux superposés, les hommes sont employés aux tâches les plus pénibles et serviles, sous la surveillance « d'ingénieures » qui veillent à ce qu'ils ne s'écartent pas du droit chemin. Rationnement de la nourriture, travail harassant avec des rendements exigeants, vie millimétrée de la naissance à la mort, menaces continues de punitions ; tel est le lot quotidien de la gent masculine, quasiment réduite en esclavage. Qui dit dictature dit état policier. Une « psycho-police » veille à faire rentrer dans le rang les éventuels récalcitrants, voire à les rejeter ou à les éliminer.
Le rejet, c'est ce qui est arrivé à Mauri, un jeune technicien spécialisé dans la ventilation, qu'un jardinier, Gerd, trouve de bon matin au milieu de ses plantations, affamé, la tête emprisonnée dans un casque lui permettant à peine de respirer. Son crime ? Avoir déplu à son « ingénieure méca » lors de l'accouplement. Ce monde ne connaît ni tendresse ni amour, et les relations sexuelles n'existent que pour la procréation ou pour satisfaire le désir de ces dames. Malheur à celui dont la virilité est défaillante !
Cette rencontre va faire monter à la surface chez Gerd des sentiments jusqu'alors enfouis, telle la prise de conscience de l'injustice. Il va se compromettre en fournissant clandestinement à Mauri nourriture et habits, après l'avoir délivré de son carcan. Mais cette situation, qui les met en péril tous les deux, peut-elle indéfiniment se prolonger ?
Il existe une légende qui parle de niveaux fermés, où se seraient réfugiés des révoltés ayant fui la Matriarchie. Cette légende nourrit leurs espoirs, et Gerd va croiser le chemin de Josep, un célèbre chanteur (la Matriarchie tolère une certaine forme d'art ou de distraction pour ne pas désespérer totalement les hommes) désireux de s'évader avec celle qu'il aime, et que jalouse la Matriarche en personne. Le groupe va se constituer et partir à la recherche des niveaux fermés, non sans quelques péripéties en route.
Au-delà de la pure aventure, c'est le clivage homme/femme qui est au cœur de cet ouvrage. Brutalisés, asservis, les hommes nourrissent à l'encontre des femmes une rancœur qui peut vite se transformer en haine, pour peu que les barrières sociales soient levées. Et c'est bien sûr ce qui se produit au sein de ce groupe de fugitifs qui compte au départ Catéri – la compagne de Josep. L'amour qu'elle éprouve pour lui l'a conduit à rompre avec un environnement dans lequel elle jouissait de nombreux privilèges. Cependant elle ne peut rayer son passé d'un trait de plume et le mépris qu'elle affiche pour ses compagnons de voyage va alimenter une atmosphère de plus en plus pesante. Lorsque, dans leur périple, ils captureront une psycho-policière, Laurée, l'histoire prendra un nouveau tournant.
L'antipathie que celle-ci éprouve envers les hommes va atteindre un sommet lorsque, tentant de s'échapper, elle sera rejointe par le héros de l'histoire, Gerd, battue par lui puis violée.
Ce n'est évidemment pas fortuit si Julia Verlanger a fait de cette scène, où l'homme succombe à ses travers ancestraux - brutalité envers le sexe opposé, soif de domination et de possession - le pivot de son histoire. La haine de Laurée à l'égard de Gerd va s'en trouver, fort logiquement, renforcée. Cette tension entre ces deux personnages sera soumise à l'épreuve des événements. C'est toute l'histoire d'un lent et douloureux examen de conscience, d'un cheminement vers la tolérance que suivront ces deux personnages que raconte Julia Verlanger/Gilles Thomas.
Julia était une personne entière, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. Elle avait une sensibilité à fleur de peau, et c'était une femme qui n'ignorait pas que les hommes sont capables du pire comme du meilleur. « La légende des niveaux fermés » est, à cet égard, une belle illustration de l'humanisme qui l'habitait. Si le dernier mot de son roman est « amour », ce n'est pas un hasard.
Dans cet univers souterrain, organisé en immenses niveaux superposés, les hommes sont employés aux tâches les plus pénibles et serviles, sous la surveillance « d'ingénieures » qui veillent à ce qu'ils ne s'écartent pas du droit chemin. Rationnement de la nourriture, travail harassant avec des rendements exigeants, vie millimétrée de la naissance à la mort, menaces continues de punitions ; tel est le lot quotidien de la gent masculine, quasiment réduite en esclavage. Qui dit dictature dit état policier. Une « psycho-police » veille à faire rentrer dans le rang les éventuels récalcitrants, voire à les rejeter ou à les éliminer.
Le rejet, c'est ce qui est arrivé à Mauri, un jeune technicien spécialisé dans la ventilation, qu'un jardinier, Gerd, trouve de bon matin au milieu de ses plantations, affamé, la tête emprisonnée dans un casque lui permettant à peine de respirer. Son crime ? Avoir déplu à son « ingénieure méca » lors de l'accouplement. Ce monde ne connaît ni tendresse ni amour, et les relations sexuelles n'existent que pour la procréation ou pour satisfaire le désir de ces dames. Malheur à celui dont la virilité est défaillante !
Cette rencontre va faire monter à la surface chez Gerd des sentiments jusqu'alors enfouis, telle la prise de conscience de l'injustice. Il va se compromettre en fournissant clandestinement à Mauri nourriture et habits, après l'avoir délivré de son carcan. Mais cette situation, qui les met en péril tous les deux, peut-elle indéfiniment se prolonger ?
Il existe une légende qui parle de niveaux fermés, où se seraient réfugiés des révoltés ayant fui la Matriarchie. Cette légende nourrit leurs espoirs, et Gerd va croiser le chemin de Josep, un célèbre chanteur (la Matriarchie tolère une certaine forme d'art ou de distraction pour ne pas désespérer totalement les hommes) désireux de s'évader avec celle qu'il aime, et que jalouse la Matriarche en personne. Le groupe va se constituer et partir à la recherche des niveaux fermés, non sans quelques péripéties en route.
Au-delà de la pure aventure, c'est le clivage homme/femme qui est au cœur de cet ouvrage. Brutalisés, asservis, les hommes nourrissent à l'encontre des femmes une rancœur qui peut vite se transformer en haine, pour peu que les barrières sociales soient levées. Et c'est bien sûr ce qui se produit au sein de ce groupe de fugitifs qui compte au départ Catéri – la compagne de Josep. L'amour qu'elle éprouve pour lui l'a conduit à rompre avec un environnement dans lequel elle jouissait de nombreux privilèges. Cependant elle ne peut rayer son passé d'un trait de plume et le mépris qu'elle affiche pour ses compagnons de voyage va alimenter une atmosphère de plus en plus pesante. Lorsque, dans leur périple, ils captureront une psycho-policière, Laurée, l'histoire prendra un nouveau tournant.
L'antipathie que celle-ci éprouve envers les hommes va atteindre un sommet lorsque, tentant de s'échapper, elle sera rejointe par le héros de l'histoire, Gerd, battue par lui puis violée.
Ce n'est évidemment pas fortuit si Julia Verlanger a fait de cette scène, où l'homme succombe à ses travers ancestraux - brutalité envers le sexe opposé, soif de domination et de possession - le pivot de son histoire. La haine de Laurée à l'égard de Gerd va s'en trouver, fort logiquement, renforcée. Cette tension entre ces deux personnages sera soumise à l'épreuve des événements. C'est toute l'histoire d'un lent et douloureux examen de conscience, d'un cheminement vers la tolérance que suivront ces deux personnages que raconte Julia Verlanger/Gilles Thomas.
Julia était une personne entière, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. Elle avait une sensibilité à fleur de peau, et c'était une femme qui n'ignorait pas que les hommes sont capables du pire comme du meilleur. « La légende des niveaux fermés » est, à cet égard, une belle illustration de l'humanisme qui l'habitait. Si le dernier mot de son roman est « amour », ce n'est pas un hasard.
Source
Illustration de couverture : nooSFere