La Planète Kalgar | Maurice Vauthier | 1966



J’ai maintes fois relu "La planète Kalgar" à divers moments de ma vie, et mon ressenti n’a jamais changé. C’est pourquoi il m’a semblé important et nécessaire de parler en détail de ce livre remarquable mais oublié, espérant ainsi le remettre en lumière à une époque où ce genre de lecture peut apporter un souffle de positif dans un contexte de triste grisaille.



La Planète Kalgar @ 1966 Hachette | Illustration de couverture @ Jean Reschofsky | Scan @ J.-M. Archaimbault, édition privée

Synthèse des textes de rabat de couverture et de quatrième de couverture des deux éditions

- Idéal Bibliothèque Hachette n°309, 1966 – Illustrations de Jean Reschofsky
- Sang de la Terre, collection Feux, 1987 – Illustrations de Guy Teytaud

"Au XXIVe siècle de notre ère, une expédition commandée par l’ingénieur Seburst débarque sur la planète Kalgar. Elle s’y trouve plongée dans une féerie exaltante.

Seburst est le seul à ne pas être entièrement séduit. Trop d’énigmes l’obsèdent. Quelles menaces pèsent sur cette planète ? Quelle race supérieure l’a habitée ? Pourquoi ces lois, ces mœurs ?

Quand paraîtra l’Arkante, le maître de Clyène et du secret de l'Astre noir, ce sera la fin du mystère mais non de l'aventure. Car la planète Kalgar, sa vision, sa leçon, poursuivront leur chemin dans le cœur des héros."

Résumé du roman

La Planète Kalgar, p. 37 @ 1966 Hachette | Illustration @ Jean Reschofsky | Scan @ J.-M. Archaimbault, édition privée
Début des années 2060, la première nef intersidérale a quitté la Terre à destination d’Ertharite, une constellation où l’astronome et expert en astronautique Seburst a repéré une planète potentiellement habitable. Coordinateur du projet, il devait commander l’expédition mais a été évincé à l’ultime instant par Geilen’dorth, son jeune et brillant disciple. Hélas, le navire s’est brisé sur la ceinture de Ballminger, et le drame a mis un terme aux perspectives de voyages hors du Système solaire. Seburst n’a jamais pardonné la trahison de son meilleur élève mais, officieusement, il n’a pas renoncé à son rêve et a fait construire en secret une seconde Méga-ST.

En 2074, le savant anticipe une apocalypse mondiale imminente : l’expérimentation du rayon Omicron, pour prouver la supériorité du Bloc sur la puissance rivale de l’Union Bleue, va provoquer l’explosion en chaîne de tous les stocks nucléaires de la Terre. Il réquisitionne un ingénieur en astronautique et deux jeunes couples qui s’envoleront avec lui à bord de la Méga-ST, pour rallier la fameuse planète sur laquelle l’espèce humaine condamnée pourra prendre un nouveau départ.

Grâce aux hypothermors, les passagers du vaisseau se réveillent au bout de trois cents ans, sans avoir vieilli, à l’approche de l’objectif. Ils découvrent un monde désert de cristal et de verre, aux immenses océans, où seule une île miraculeuse semble concentrer la vie locale dans des conditions terrestres paradisiaques. Sous les chauds rayons du soleil Ourix, Kalgar n’attend qu’eux – en apparence…

Le contact s’établit très vite avec la population de Clyène, l’île aux trois cités, des Humains en majorité jeunes dont l’existence se déroule dans la paix, l’harmonie, l’innocence, la coopération et le partage, au sein d’une nature autochtone idyllique et foisonnante à laquelle se mêlent animaux et plantes importés de la Terre. La pratique des arts et des sports unit tous les habitants de Clyène, à commencer par les enfants qui grandissent dans le respect mutuel, l’amour de leurs aînés et le sens des valeurs fondamentales. Chaque nuit – ou ombrée – se déroule une fête fantastique tandis que l’orifor, véritable fleuve de lumière stellaire dorée, éclaire le ciel en un spectacle féérique.

Autant les deux couples et l’ingénieur s’intègrent avec bonheur, autant Seburst demeure circonspect et distant. L’autorité très bienveillante exercée par les hommes de l’Astre Noir lui paraît cacher la réalité inquiétante du pouvoir central absolu que détient le maître lointain et rarement visible de Clyène, l’Arkante, dont le palais quasi inaccessible se dresse sur les Montagnes Coruscantes.

Lorsque les visiteurs terriens sont enfin admis à le rencontrer, Seburst a déjà monté un projet de coup d’état avec plusieurs membres de l’Astre Noir, car il veut prendre le pouvoir et orienter le destin de Kalgar selon ses propres desseins. Mais la confrontation avec l’Arkante le « retourne » presque complètement : comme il l’avait subodoré, il s’agit de Geilen’dorth… La colère de Seburst, et sa haine pour ce rival qui l’a évincé, vont s’apaiser quand celui-ci expliquera qu’il a jadis agi par idéalisme et avec lucidité. D’abord, parce qu’il a refusé que Kalgar soit annexée aux désirs de puissance matérialiste du savant ; ensuite, parce que la découverte d’erreurs intentionnelles glissées par Seburst dans les calculs de vol lui a permis de comprendre que son maître était prêt à tout pour arriver à ses fins. Il a donc choisi de le trahir, de le laisser sur Terre, puis de simuler l’accident fatal de la première nef…

Au-delà de ces révélations, l’Arkante dévoile l’histoire ancienne de Kalgar, les vestiges de la prodigieuse civilisation des Magistres. Ces êtres ailés, pétris de lumière et de spiritualité, ont accompli l’impossible pour préserver une infime partie de leur monde du passage d’une comète qui a embrasé leur planète, en a vitrifié la surface et a arraché à son atmosphère un gaz qui leur était vital. Ils n’ont pu sauver de la montée initiale des eaux que quelques îles ancrées aux fonds marins, rendues insubmersibles, dont seule Clyène a hélas été épargnée. Au cœur des Montagnes Coruscantes, leur cité en ruines atteste de ce triste passé mais aussi de leur présence encore actuelle, en un lieu inviolable dont les conditions ont permis leur survie. Ce sont eux qui, quelques siècles plus tôt, ont lancé des messages interstellaires pour tenter d’appeler sur Kalgar des êtres vivants et intelligents susceptibles de la repeupler…

Dernier membre de l’expédition initiale, Geilen’dorth – qui a vécu plus de trois siècles grâce à des phases d’hibernation – désigne son successeur car il sait que sa mort est proche. Sévèrement blessé par une chute accidentelle alors qu’il essayait, envers et contre tout, de retourner à la cité des Magistres, Seburst ne remontera pas à bord de la Méga-ST qui repartira bientôt vers la Terre avec, dans un hypothermor, un jeune enfant de Kalgar incarnant tous les espoirs de renouveau pour la planète-mère entre-temps ravagée par la folie destructrice de ses peuples…

Spécificités relatives à Kalgar

La Planète Kalgar, p. 29 @ 1966 Hachette | Illustration @ Jean Reschofsky | Scan @ J.-M. Archaimbault, édition privée
1-Lieux remarquables de l’île de Clyène

Montagnes Coruscantes, Vallée des Huit-Cascades, rivière Staal.
Cités : Camyre la blanche, Oloossone la rouge, Arkeï la verte (sur l’estuaire de la Staal).
Palais de Sardoine : demeure de l’Arkante, sur un sommet des Montagnes Coruscantes.
Portes Vertes : accès au massif montagneux interdit abritant la cité des Magistres.
Mausolée rose : lieu sacré où reposent les compagnons défunts de Geilen’dorth.
Fontaine-Liède : geyser sur lequel se font des compétitions de « vol » soutenu par le jet d’eau.
Voûte-Majeure : immense passage couvert, au-dessus de la Staal et de ses rives, sous lequel se tiennent les kermesses des Nuits Dorées.

2-Nature autochtone de Clyène

Arbres : bendrals, agraliges, sériliers.
Fruits : cestes, talins, andalis, gélises, fédrilles, cernalons.
Capsules florales volantes : falènes.
Minéraux : sérilage, électrum, hélièdre, dalles phonolithiques.
Matériaux végétaux de construction : jalme, liède (une fois les graines judicieusement plantées, les maisons « poussent » toutes seules).
Poteries : alcarazas.

3-Rythme nycthéméral, particularités atmosphériques et météorologiques

Les nuits et les jours de Kalgar sont beaucoup plus longs que ceux de la Terre. Durant la nuit, ou ombrée, la phase médiane de la Nuit Dorée est un long moment de fête collective où le ciel, dans lequel apparaissent selon leurs phases les trois lunes de Kalgar, est illuminé par un fleuve mouvant de particules dorées, l’orifor.

Pluies et orages se produisent parfois pendant l'ombrée ; les éclairs de flamme dessinent de fascinants motifs, les échos musicaux du tonnerre dans les montagnes de cristal créent de prodigieuses symphonies. Pour les plus anciens parmi la population, les orages marquent l’instant de mourir dans l’exaltation et la joie.

4-Vie sociale et politique

Oriales : « jeux olympiques » à périodicité régulière se déroulant dans la Vallée des Huit-Cascades et impliquant toute la population ; lors de leur clôture, l’Arkante apparaît en public et renouvelle son message bienveillant à ses sujets. Le chant de l’Aumaille marque la fin de l’évènement.

Autorité détenue par l’Arkante qui s’appuie sur les hommes de l’Astre Noir. Clyène est une sorte d’utopie pacifique, positive, égalitaire qui ignore contestation, vols, crimes et délits.

Société sans système économique ; tout repose sur les échanges, la coopération et l’entraide.

5-Symbolique de l’Astre Noir

Représentation figurée de la comète sombre Ankali, qui a balayé la civilisation des Magistres et arraché à l’atmosphère le grethon qui leur était vital. Le retour d’Ankali, prévu dans un futur indéterminé, ramènera peut-être le grethon mais provoquera de nouveaux bouleversements dramatiques.

6-Citation poétique inventée

Légende du Prince Enggeliard et de la fontaine où viennent dormir les étoiles : conte merveilleux relaté aux enfants de Kalgar par l’une des deux jeunes femmes de l'expédition Seburst.

L'auteur

La Planète Kalgar, p. 153 @ 1966 Hachette | Illustration @ Jean Reschofsky | Scan @ J.-M. Archaimbault, édition privée
Maurice Vauthier (1921-2007), docteur en droit, a essentiellement écrit pour la jeunesse : textes pour la revue Cœurs Vaillants (publication des scouts de France), livres pour la collection Signe de Piste. On lui doit un autre ouvrage de S.F., « La terrible bombe X » (1964) et un roman d’aventures sud-américaines, « Quand chantera l’oiseau Quetzal » (Hachette, Idéal Bibliothèque n°211, 1961).

Pour « La planète Kalgar », il a reçu le prix Sobrier-Arnould de l’Académie Française en 1967.

Les qualités littéraires du texte sont évidentes. L'écriture est belle, classique, nuancée et poétique. L’inventivité créative est remarquable. La magie et la musique des noms s’associent aux images et aux descriptions qui invitent au rêve. Le message délivré par le roman est clair, même si son côté idéaliste peut sembler relever d’une utopie impossible. « Tous, nous voguons vers quelque rive imaginaire », dit la première épigraphe, citation de Pindare. Et la seconde, empruntée à « Citadelle » de Saint-Exupéry, souligne la transfiguration de soi qu’abrite la maison que l’on se construit en rêve.

À travers Geilen’dorth et Seburst, deux conceptions de la place de l’Homme dans le monde et l’univers s’affrontent. La « conversion » du second laisse croire à la prépondérance de ce qu’il y a de positif au fond de chacun de nous, et c’est une très forte note d’espoir, de foi en l’avenir.

Certes, le roman s’adresse en priorité à un jeune public, mais sa lecture est profitable et enrichissante à tout âge.

Ce n’est pas de la S.F. très novatrice, ni très originale ; le postulat selon lequel la première fusée a mis dix ans pour atteindre Kalgar, alors qu’il a fallu trois siècles à la seconde, est une petite incohérence que l’on peut regretter au passage.

Quoi qu’il en soit, « La planète Kalgar » est un beau livre.

L’illustrateur de l’édition originale

Jean Reschofsky (1909-1998) est l’un des grands illustrateurs des collections pour enfants et jeunes lecteurs, talentueux et apprécié. Plus que la couverture de l'édition originale de « La planète Kalgar », certaines de ses images intérieures offrent de pures merveilles de sensibilité et d'esthétique en harmonie avec le texte, comme le montrent les quelques exemples qui illustrent mon article.

La Planète Kalgar, p. 157 @ 1966 Hachette | Illustration @ Jean Reschofsky | Scan @ J.-M. Archaimbault, édition privée

La Planète Kalgar, p. 45 @ 1966 Hachette | Illustration @ Jean Reschofsky | Scan @ J.-M. Archaimbault, édition privée

La Planète Kalgar, p. 79 @ 1966 Hachette | Illustration @ Jean Reschofsky | Scan @ J.-M. Archaimbault, édition privée

Mot personnel

La Planète Kalgar, p. 187 @ 1966 Hachette | Illustration @ Jean Reschofsky | Scan @ J.-M. Archaimbault, édition privée
J’ai découvert ce roman en 1967 ou 1968, alors que je commençais à naviguer avec une passion croissante sur les eaux du Fleuve Noir Anticipation. Lire un Idéal Bibliothèque était alors bien mieux considéré que dévorer les productions « populaires » du Fleuve, car il s’agissait là de vraie et bonne littérature sérieuse pour la jeunesse… La distinction ne m’est pourtant point apparue aussi immédiate et triviale, ne serait-ce qu’en comparaison de certains Anticipation signés J. et D. Le May ou B. R. Bruss !

Dès ma première lecture, la beauté poétique de l’ouvrage de Maurice Vauthier m’a durablement marqué, ainsi que la douceur de plusieurs passages et moult aspects émouvants de l’histoire. Et si un nom m’est resté en mémoire, c’est celui de la comète noire, « Ankali » – dont j’ai cru, pendant un temps, que Michel Polnareff s'était inspiré pour le titre de sa chanson « Âme câline »...

J’ai maintes fois relu « La planète Kalgar » à divers moments de ma vie, et mon ressenti n’a jamais changé. C’est pourquoi il m’a semblé important et nécessaire de parler en détail de ce livre remarquable mais oublié, espérant ainsi le remettre en lumière à une époque où ce genre de lecture peut apporter un souffle de positif dans un contexte de triste grisaille.

Je dédie cet article à notre cher ami Fantasio Ardennes, avec tous mes souhaits de prompt rétablissement et de retour parmi nous.

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