La Trilogie martienne | Mars Trilogy | Kim Stanley Robinson | 1993-1996

Par | 31/07/2012 | Lu 2736 fois




Le XXIe siècle. Demain. Cinquante hommes et cinquante femmes, représentant les nations majeures et toutes les disciplines scientifiques, embarquent à bord de l'Arès, un immense vaisseau spatial, un micro-monde où ils vont vivre pendant plus d'un an avant d'atteindre Mars, à cent millions de kilomètres de là.

Un homme, déjà, a posé le pied sur Mars : John Boone. Héros mythique depuis son retour sur Terre, il s'est porté volontaire pour ce second voyage. Un aller simple, cette fois, car les hommes et les femmes de l'Arès devront aller au-delà de l'exploration. Ils devront survivre dans un monde usé, désolé, hostile. Si les hommes ne peuvent s'adapter, il faudra adapter Mars aux hommes.

Mais terraformer Mars, c'est aussi la détruire en tant que cadre naturel martien, et des conflits opposent les rouges, la faction qui veut préserver la sauvagerie initiale de la planète, et les verts, qui militent pour la terraformation. Les Cent Premiers ne partagent pas la même vision de la société à élaborer, sur ce nouveau monde vierge. Pourtant, il faut faire vite, car les immigrants arrivent, de plus en plus nombreux, en provenance d'une Terre surpeuplée.

Mars, si éloignée du berceau de l'humanité, constitue un incroyable enjeu économique et politique pour les puissances terrestres. Le rêve sombrera-t-il dans le chaos?

La Trilogie martienne

1. Mars la Rouge (Red Mars, 1993)
2. Mars la Verte (Green Mars, 1993)
3. Mars la Bleue (Blue Mars, 1996)

Fiche de lecture

Pour ma toute première critique sur le Galion des Etoiles, je n'ai pas l'intention de me faire des ennemis en attaquant de front une fresque qui, de l'avis général dans la communauté des lecteurs de SF, fait référence sur le thème de l'exploration martienne. Pour autant, respect pour les classiques n'est pas synonyme d'admiration aveugle. Or, je trouve que Mars La Rouge (seul volet de la trilogie que j'aie lu à ce jour) n'est pas exempt d'un certain nombre de faiblesses. Je vous propose donc de jouer un peu la mouche du coche - mon rôle préféré - et de passer en revue les points où, à mon avis, Mars la Rouge pèche.

Avant cela, cependant, faisons tout de même honneur aux aspects remarquables de ce bouquin, et ils sont nombreux. Comme le dit avec justesse Koyolite Tseila, tout dans la trilogie martienne est plausible. C'est là, et je pense n'être pas la seule à le penser, la grande force de cet ouvrage et de son auteur. Robinson est géologue de formation. Ça se voit, il connaît son sujet à fond. Il est à l'aise. Il a tout pensé de A à Z. La Mars qu'il nous décrit est crédible jusque dans ses moindres recoins. Pour le travail documentaire, ma note sera : 10/10.

L'aspect fresque sociale est assez réussi lui, aussi. J'ai par exemple beaucoup aimé ces colons de la deuxième heure, fraîchement débarqués de la Terre, où plus rien ne les retenait, et parqués dans des modules-poubelles, dans des conditions d'hygiène déplorables, à la merci de toutes les arnaques, de tous les exploiteurs. Palimpseste réussi d'Ellis Island, joli couplet sur la condition des migrants de toutes nationalités et de toutes époques. Sur certaines descriptions, on n'échappe pas complètement au cliché et à une petite dose de kitsch, comme dans le cas des Arabes retrouvant sur Mars des conditions de vie proches de celles des Bédouins, ou encore dans celui du super-rassemblement autour du Mont Olympe (le plus haut volcan de Mars, une fois et demie notre Everest) avec dirigeables colorés et paysages de carte postale en veux-tu en voilà. N'empêche, malgré cela, on a quand même envie d'y croire, et les bons passages font vite oublier les moins bons. Pour le papier peint ma note sera : 8/10.

Là où les choses commencent à se gâter sérieusement, c'est quand on en vient aux personnages. De toute évidence, Robinson le géologue est beaucoup plus à l'aise avec les cailloux qu'avec les êtres humains. Personnellement, je n'ai pas ressenti la moindre empathie pour ces personnalités froides et dépourvues d'une "voix" qui les fasse vivre à nos yeux de lecteurs. On sait de Frank Chalmers qu'il est brun et large d'épaules. On apprend aussi qu'il est censé avoir un extraordinaire sens du contact... sauf qu'à aucun moment cela ne transparaît dans sa façon de parler (pas dans la version traduite en français, en tout cas). Il fait assassiner son rival John Boone, mais nulle part on ne ressent chez lui ni remords, ni jubilation, ni dilemme, ni quoi que ce soit. Peut-être les décrit-il quelque part, ces émotions (je ne suis pas allée relire tous les passages : désolée, je mérite le martinet). Le fait est qu'en tant que lectrice je ne les ai pas ressenties. Non pas que j'attendais du mélo, ne vous méprenez pas. Si Frank Chalmers avait été une espèce de monstre froid et que l'auteur avait su nous faire vivre cette transformation (comme le fait brillamment, par exemple, Mario Puzzo dans Le Parrain, en nous montrant la transformation de Michael Corleone en mafieux sans scrupule à travers les yeux des autres personnages), là aussi l'histoire aurait pu être rigolote. Mais non. Aucun effort n'est fait dans ce sens. Encéphalogramme émotionnel plat.

La conséquence, c'est qu'en tant que lecteurs, on se fiche éperdument de ce qui peut leur arriver, à ces personnages. Ce truc des deux compagnons d'armes un peu rivaux mais pas trop et qui finissent par s'étriper aurait pu faire une histoire géniale sous la plume d'un écrivain talentueux. Sous celle de Robinson, que dalle. Nada. Que ses personnages vivent, ou qu'ils meurent, on s'en tape. Qu'ils meurent, donc, au moins ce sera peut-être drôle... Pour la personnification et l'empathie vis-à-vis du lecteur, je mettrai à Mars la Rouge un 1,5/10, à mon avis encore bien généreux.

Si les personnages de Mars la Rouge sont si plats, c'est pour une bonne raison : ils ne sont là que dans le but de fournir un trait d'union entre les différentes étapes de la grande histoire martienne, ou un prétexte pour mettre en valeur la toile de fond qu'a imaginé l'auteur. On a l'impression de voir des acteurs de série B jouer devant un écran vert où sont projetées des images de synthèse. Certes, peut-être pourrez-vous me citer des auteurs qui ont réussi à rendre intéressant un récit en greffant des personnages sur un décor, à nous faire vibrer en emboîtant la petite histoire dans la grande. Dans le cas de Mars la Rouge, cette manière de procéder est un échec total. En plus de rendre le bouquin extraordinairement chiant, elle pousse l'auteur à entortiller son récit jusqu'à friser parfois le ridicule. Figurez-vous donc : la conquête de Mars telle que nous la raconte Robinson se prolonge sur une période couvrant plusieurs générations. Rien de mal à cela, c'est logique : terraformer un gros tas de caillasse où la température avoisine les -80°C, forcément, ça prend un peu de temps. Où est le problème, me demanderez-vous donc ? Hé bien c'est que, pour conserver ses personnages du début à la fin du livre, l'auteur utilise un artifice que je classerais dans le top 5 des plus cheap que j'aie jamais vus dans un récit de SF : leur faire inventer la formule du zigouigoui magique qui modifie leur ADN et les rend quasiment immortels. Naze. Trop facile. Pas digne d'un classique.

S'il ne s'agissait que d'un accident isolé dans une narration rondement menée, on pardonnerait avec plaisir. Le souci, malheureusement, c'est que Mars la Rouge est bourré d'occasions manquées sur le plan narratif. Les Rouges et les Verts ne sont pas d'accord : les Rouges veulent conserver Mars dans l'état où ils l'ont trouvée en arrivant, les Verts veulent tout chambouler et en faire une seconde Terre. Très bien : il y aurait eu dix mille manières de scénariser ce conflit de manière à le rendre impliquant sur le plan émotionnel, sans pour autant l'appauvrir sur le fond. A lieu de ça, Robinson nous livre un débat d'opinion certes pas inintéressant, mais beaucoup trop désincarné. On n'adhère pas vraiment. A mon goût, ça fait trop traité d'entomologie et pas assez roman. C'est certainement ce que voulait dire Koyolite quand il disait, non sans raison, que le bouquin lui avait par moments semblé "très long". Si je devais noter la qualité du récit de Mars la Rouge - et d'ailleurs je vais le faire, parce que, je le découvre, j'adore donner des notes - ce serait probablement un bon 0,5/10.

Au final, si je vilipende à ce point Mars la Rouge, ce n'est pas parce que je trouve le livre fondamentalement mauvais. Il existe bien pire. C'est surtout parce que j'en veux très fort à Kim Robinson d'avoir gâché un aussi bon sujet. On aurait pu bien s'amuser, on s'ennuie à mourir.

Il y a de l'espoir, cependant. En effet, la préface de l'édition que j'ai précise que James Cameron aurait acheté les droits du bouquin. Certes, on peut critiquer Cameron : Avatar a été attaqué pour être prétendument raciste, il fait dire plein de gros mots à Sigourney Weaver, il a congelé vivant Leo Di Caprio, etc. (je n'adhère pas à ces critiques, je ne fais que les lister). Une chose est certaine, cependant : lui, au moins, il sait raconter une VRAIE histoire. Dramatiser. Nous émouvoir. Nous garder en haleine. Créer des méchants qu'on adore détester. Or, c'est précisément ce qui manque à Mars la Rouge. Croisons les doigts : peut-être Cameron réussira-t-il là où Kim Stanley Robinson a si lamentablement échoué. Avec un peu de chance, peut-être Hollywood saura-t-il enfin donner un peu de vie à Mars la Rouge.

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