Le chien qui rêvait de pêche à la ligne
Cette historiette débute sur les berges d'un petit étang lové entre une majestueuse forêt de hêtres et une colline aux courbes gracieuses, douces qui caressent le regard. La situation exacte du lieu-dit n’a aucune espèce d’importance, ce pourrait être ici ou ailleurs, dans le Doubs ou aux confins de la Creuse. Ce qui retient notre attention, c’est un homme qui se débat désespérément dans une eau verdâtre, ses poumons commençant à se remplir du liquide poisseux. Il remue les bras, mais sans grande conviction, sa corpulence l’handicape et surtout, fait majeur, il n’a jamais appris à nager. Ses premiers cris se sont rapidement transformés en des gargouillis détestables qui rappellent avec justesse le râle de certaines truies s’apprêtant à mettre bas.
Tobby, le chien (un nom ridicule qu'il a toujours détesté), contemple la scène avec un flegme à faire pâlir de jalousie les plus fervents admirateurs de la couronne britannique. L'homme a bien essayé de l'interpeler à deux ou trois reprises, mais...
« Toobbllyyy, Ttobbbllly, Ttttyyy... »
La bête ayant régulièrement entendu, depuis sa naissance, « Mon Dieu, qu'il est con ce chien ! » n'a pas voulu, en ces instants fort pénibles, détromper son maître. Le bon toutou s'est juste évertué à se conformer aux allégations de l’agonisant. Par là même, il a simplement continué d'endosser avec panache son rôle de corniaud en ne faisant rien. Strictement rien, puisqu’il est con.
Et ça continue : Tloobblyyy … , ça ne sonne pas correctement, on discerne un je ne sais quoi qui offense l'oreille et Dieu sait que les siennes sont belles. Ttobbbllly, ce n’est pas lui. Non, assurément ! Il connaît son nom, bon sang.
Le visage barré d'une grimace hideuse, le corps de son maître hésite entre couler à pic et la pâle imitation d'une baudruche rougeaude.
« Cet agitateur a réussi à faire peur aux canards et aux poissons. » Pense, la bête.
Bruyant à la campagne, bruyant à la ville ! Combien de fois cet odieux personnage, bouffi de sa toute-puissance, est-il rentré chez lui, ivre comme un soudard pour distribuer généreusement gifles, coups de poing, coups de pied à la volée et à tout un chacun ? Atteintes et injures équitablement réparties entre sa femme, ses deux enfants, sans oublier Tobby naturellement, qui dormait paisiblement dans son panier rêvant de pêche à la ligne. Une pêche sans hameçon, bien entendu, Tobby ne ferait pas de mal à une puce, cela va de soi.
Depuis quelque temps, il y avait trop de cris et bien trop de larmes. Tobby montrait beaucoup d'adresse pour se soustraire à la foudre divine, mais il devait parfois se résoudre à se planquer sous un lit comme un vulgaire raminagrobis, minable chat de gouttière. Le plus triste, malgré tout, c'est que plus personne n'était d'humeur à emmener le pauvre chien courir autour de l'étang. Finies les longues siestes sur le ponton écrasé de soleil, la chaleur des planches vous revigorant jusqu'à la moelle. Terminées, les belles matinées où l’aube naissante s'accompagne d'une myriade d'odeurs qui caressent la truffe comme un pâté en croûte. Condamnés, les après-midis entiers à ne penser à rien... juste observer les poissons malicieux jouer avec les bouchons de quelques inefficaces cannes à pêche. Tobby aime bien les poissons depuis qu'il a vu Némo dans cette drôle de fenêtre devant laquelle chaque soir, tous les humains s'agglutinent.
Mais enfin, les choses se précisent. Le corps semble vouloir rejoindre la vase des profondeurs offrant ainsi pitance à toute une faune reconnaissante. Le silence reprend peu à peu tous ses droits. Encore quelques petites bulles... Bll... bll... blll… et l’on ne perçoit plus que le léger ressac de l’eau contre les berges.
Il était grand temps que cet importun se taise. Rien de bon ne sortait de son émonctoire. Les oreilles seront au repos et les yeux moins rouges. Calme et sérénité sont deux qualités indispensables pour une bonne pratique de la pêche à la ligne.
« Et dire que cela fut si simple ! » s'étonne Tobby. L'homme au bord du ponton s'est plié en deux pour atteindre ses appâts nauséabonds rangés dans son panier. Le chien a pris trois pas d'élan pour acquérir force et vitesse et il a sans ménagement percuté l'homme dans le dos, juste assez pour mettre un terme à son équilibre précaire. Le Dieu de pacotille a exécuté malgré lui un plongeon tout à fait honorable et puis ensuite ... Toobbllyyy … pathétique !
« Tiens, mais c'est Lila que j'aperçois sur la berge, juste en face ! » se réjouit le chien.
Lila est une mignonne Jack Russel qui enchante parfois les après-midis de notre Tobby. La bête est vive comme le vent, joueuse jamais repue et d'humeur toujours égale. Elle jappe, gambade, se baigne et s'ébroue... Peut-être le début d'une idylle, qui peut savoir ?
Pourtant, depuis peu, la petite chienne déprime au grand désarroi de Tobby. Son maître veut à tout prix lui faire transporter des bêtes ensanglantées, encore toutes chaudes, portant sur elles des relents abominables de peur et de mort. Des détonations qui vrillent les tympans, des odeurs de poudre, des chiens et des hommes surexcités qui hurlent... la pauvre bête en tremble encore. Le gros homme, toujours flanqué d'un énorme cigare au coin des lèvres et dispersant les effluves d'une transpiration aigrelette dans un rayon de cent mètres, appelle cela : la CHASSE.
« Est-ce que cet imposant et adipeux énergumène sait nager ? » se demande Tobby dans un soupir.
Et la bête de se recoucher sur les planches chaudes, après tout, avec l'aide de Lila, l'étang est encore vaste... Il allait réfléchir. En attendant, il était prêt à poursuivre ses songeries, ses rêves de pêche à la ligne.
Tobby, le chien (un nom ridicule qu'il a toujours détesté), contemple la scène avec un flegme à faire pâlir de jalousie les plus fervents admirateurs de la couronne britannique. L'homme a bien essayé de l'interpeler à deux ou trois reprises, mais...
« Toobbllyyy, Ttobbbllly, Ttttyyy... »
La bête ayant régulièrement entendu, depuis sa naissance, « Mon Dieu, qu'il est con ce chien ! » n'a pas voulu, en ces instants fort pénibles, détromper son maître. Le bon toutou s'est juste évertué à se conformer aux allégations de l’agonisant. Par là même, il a simplement continué d'endosser avec panache son rôle de corniaud en ne faisant rien. Strictement rien, puisqu’il est con.
Et ça continue : Tloobblyyy … , ça ne sonne pas correctement, on discerne un je ne sais quoi qui offense l'oreille et Dieu sait que les siennes sont belles. Ttobbbllly, ce n’est pas lui. Non, assurément ! Il connaît son nom, bon sang.
Le visage barré d'une grimace hideuse, le corps de son maître hésite entre couler à pic et la pâle imitation d'une baudruche rougeaude.
« Cet agitateur a réussi à faire peur aux canards et aux poissons. » Pense, la bête.
Bruyant à la campagne, bruyant à la ville ! Combien de fois cet odieux personnage, bouffi de sa toute-puissance, est-il rentré chez lui, ivre comme un soudard pour distribuer généreusement gifles, coups de poing, coups de pied à la volée et à tout un chacun ? Atteintes et injures équitablement réparties entre sa femme, ses deux enfants, sans oublier Tobby naturellement, qui dormait paisiblement dans son panier rêvant de pêche à la ligne. Une pêche sans hameçon, bien entendu, Tobby ne ferait pas de mal à une puce, cela va de soi.
Depuis quelque temps, il y avait trop de cris et bien trop de larmes. Tobby montrait beaucoup d'adresse pour se soustraire à la foudre divine, mais il devait parfois se résoudre à se planquer sous un lit comme un vulgaire raminagrobis, minable chat de gouttière. Le plus triste, malgré tout, c'est que plus personne n'était d'humeur à emmener le pauvre chien courir autour de l'étang. Finies les longues siestes sur le ponton écrasé de soleil, la chaleur des planches vous revigorant jusqu'à la moelle. Terminées, les belles matinées où l’aube naissante s'accompagne d'une myriade d'odeurs qui caressent la truffe comme un pâté en croûte. Condamnés, les après-midis entiers à ne penser à rien... juste observer les poissons malicieux jouer avec les bouchons de quelques inefficaces cannes à pêche. Tobby aime bien les poissons depuis qu'il a vu Némo dans cette drôle de fenêtre devant laquelle chaque soir, tous les humains s'agglutinent.
Mais enfin, les choses se précisent. Le corps semble vouloir rejoindre la vase des profondeurs offrant ainsi pitance à toute une faune reconnaissante. Le silence reprend peu à peu tous ses droits. Encore quelques petites bulles... Bll... bll... blll… et l’on ne perçoit plus que le léger ressac de l’eau contre les berges.
Il était grand temps que cet importun se taise. Rien de bon ne sortait de son émonctoire. Les oreilles seront au repos et les yeux moins rouges. Calme et sérénité sont deux qualités indispensables pour une bonne pratique de la pêche à la ligne.
« Et dire que cela fut si simple ! » s'étonne Tobby. L'homme au bord du ponton s'est plié en deux pour atteindre ses appâts nauséabonds rangés dans son panier. Le chien a pris trois pas d'élan pour acquérir force et vitesse et il a sans ménagement percuté l'homme dans le dos, juste assez pour mettre un terme à son équilibre précaire. Le Dieu de pacotille a exécuté malgré lui un plongeon tout à fait honorable et puis ensuite ... Toobbllyyy … pathétique !
« Tiens, mais c'est Lila que j'aperçois sur la berge, juste en face ! » se réjouit le chien.
Lila est une mignonne Jack Russel qui enchante parfois les après-midis de notre Tobby. La bête est vive comme le vent, joueuse jamais repue et d'humeur toujours égale. Elle jappe, gambade, se baigne et s'ébroue... Peut-être le début d'une idylle, qui peut savoir ?
Pourtant, depuis peu, la petite chienne déprime au grand désarroi de Tobby. Son maître veut à tout prix lui faire transporter des bêtes ensanglantées, encore toutes chaudes, portant sur elles des relents abominables de peur et de mort. Des détonations qui vrillent les tympans, des odeurs de poudre, des chiens et des hommes surexcités qui hurlent... la pauvre bête en tremble encore. Le gros homme, toujours flanqué d'un énorme cigare au coin des lèvres et dispersant les effluves d'une transpiration aigrelette dans un rayon de cent mètres, appelle cela : la CHASSE.
« Est-ce que cet imposant et adipeux énergumène sait nager ? » se demande Tobby dans un soupir.
Et la bête de se recoucher sur les planches chaudes, après tout, avec l'aide de Lila, l'étang est encore vaste... Il allait réfléchir. En attendant, il était prêt à poursuivre ses songeries, ses rêves de pêche à la ligne.