"On aurait pu dire de lui qu'il était un bon extra-terrestre.
Sur sa planète d'origine, il n'avait été que docilité, gentillesse et empathie, n'ayant jamais causé de tort à aucun de ses congénères. Tant et si bien, qu'il était devenu un paria, dans son propre monde. Où était donc ce temps béni où l'on se moquait de ces curieux voisins à la peau flasque, qui ne passaient leur temps qu'à faire la guerre à leur prochain ? Où était ce temps où, sur sa belle planète, le mal n'existait pas ? Tout n'était alors que compassion, tolérance, générosité, solidarité... Ses frères et lui n'avaient toujours vécu qu'en bonne entente, sans jamais entrevoir aucun désaccord ni conflit, sans jamais émettre un son plus haut que l'autre.
Seed'gam(*), c'était son nom, qui ne savait ni parler, ni rire, soupirer ou se lamenter, n'émettait pour tout langage que des sons plaintifs ou joyeux, selon son humeur. Les sons étaient le seul moyen de communication que possédait son peuple. Et chacun disposait d'une multitude de sons pour s'exprimer, communiquer avec l'autre. Pas d'yeux ni d'oreilles non plus, tout résidait dans la perception, grâce à une myriade de micro-capteurs recouvrant leur corps lisse et lumineux.
Depuis des centaines d'années terrestres, Seed'gam roulait donc sa bosse à travers la galaxie, observant et apprenant de tous les êtres qu'il croisait. La solitude était pour lui difficile à vivre, ayant toujours été entouré des siens. Mais au moins, personne ne lui reprochait son insatiable besoin de paix. Son peuple l'avait envoyé en exil, car il était différent. Il était pourtant resté lui-même, plus qu'aucun autre. C'étaient eux qui avaient changé, qui s'étaient perdus. À trop vouloir étudier les hommes, à trop chercher à les comprendre et les évaluer, ils en avaient copié malgré eux leurs plus vils comportements et modes de pensée : L'envie, la jalousie, la ruse, la perfidie, la méchanceté, et tant d'autres défauts. Les belles qualités observées, plus rares, n'avaient pas penché suffisamment dans la balance, hélas. Et le monde de Seed'gam avait peu à peu basculé dans la folie. Son exil n'en avait pas été un, finalement, car il ne supportait plus de voir ses frères se déchirer et se battre, pour devenir ce qu'il exécrait au plus haut point.
Ainsi donc, il se retrouvait seul, voyageant dans son petit vaisseau, cherchant simplement à se nourrir de la moindre parcelle de bonté dans cet univers impitoyable.
La planète vers laquelle il revenait très souvent cependant, était la Terre, cette belle (sphère) aux teintes bleues, dont les vastes étendues d'eau et de verdure le fascinait. Aucune comparaison possible avec sa propre planète, à l'uniformité lumineuse et fade. Comment pouvait-on détruire, ou seulement même négliger de telles beautés ? Et toute cette diversité de couleurs de peau, de sons chantants et charmants.
Seed'gam ne comprenait pas.
Un son plaintif envahit le cockpit, signe d'incompréhension et de tristesse. Pauvre Seed'gam...
Il était maintes fois venu en aide aux habitants de cette planète, sans jamais se montrer pourtant, puisque telle était la règle dans son monde. Ces pauvres terriens ne voyaient de lui que de petites lueurs dans leur ciel. Il rêvait pourtant d'aller au-devant d'eux. Comme il aurait pu les aider, les guider, leur permettre d'évoluer vers ce qui avait fait la fierté et l'équilibre de son peuple, avant le grand changement... Pour lui seul désormais, la bonté, la non-violence étaient sans conteste les qualités idéales pour vivre heureux, en toute sérénité.
Un jour, alors qu'il allait repartir en direction de la Lune qu'il admirait tant, il fût le témoin d'un incident. Un habitant de la Terre venait de glisser dans un ravin, et c'est grâce à ses cris de douleur émis durant sa chute, qu'il avait su. Seed'gam avait aussitôt cherché et découvert l'homme couché en travers d'un gros rocher, à une dizaine de mètres en dessous de son véhicule, inconscient à présent. Aucun son, hormis sa respiration, n'était audible. Mais il était vivant. Tous ses sens en éveil, surtout celui de la compassion, il jubilait à l'idée de lui venir en aide. De faire le bien, une nouvelle fois. Mais, tant qu'il était inconscient, le petit extra-terrestre ne pouvait rien. Il fallait que ses capteurs soient ne serait-ce que titillés, pour pouvoir agir. Toute action en passait par là.
Seed'gam attendit donc, armé de toute l'infinie patience dont il disposait.
Il avait placé son vaisseau au-dessus du ravin, stationnaire et invisible, concentré sur le moindre son qui lui permettrait de passer aux choses sérieuses. Ce qu'il aimait par-dessus tout. Pour ce faire, il lui suffirait de déclencher le rayon tracteur, qui remonterait le malheureux jusqu'à côté de son véhicule, en sécurité. Afin qu'il puisse être recueilli par les siens. Ensuite, ni vu ni connu, il se faufilerait silencieusement entre les nuages, direction l'espace, heureux du devoir accompli. Le bien. Jamais il ne changerait cela. Jamais il ne deviendrait comme les terriens, comme son peuple.
Au bout d'une heure, Seed'gam perçut enfin un gémissement, un battement plus rapide dans le corps de l'homme en détresse, au milieu de bruits divers de la nature environnante. Il allait enfin pouvoir agir. Vibrant lui-même de petits sons stridents prouvant sa joie, il s'ouvrit totalement à l'écoute du malheureux, pour juger de la gravité de son état.
Et, à son grand désarroi, des sensations inédites prirent forme en lui.
Au fur et à mesure que l'homme reprenait connaissance, son esprit divaguait, de la cause de sa chute, à un événement très récent. Seed'gam ressentait ses émotions et ses sensations. La douleur, la peur, la colère, puis étrangement, la joie. Mais une joie puissante, bestiale, féroce, sadique, dont il n'en percevait pas les limites, effrayé. Et, de cet être pourtant en grande difficulté, qui n'aurait dû songer qu'à trouver un moyen de se sortir de là pour retrouver les siens, jaillissait des pensées jubilatoires d'une violence inouïe. Il souffrait atrocement d'un membre brisé, mais, plus fort que cela, plus fort que sa propre vie, dominait une joie sadique qui envahissait le paisible extra-terrestre malgré lui.
Seed'gam avait été si proche d'enclencher le rayon tracteur, cela lui était impossible à présent. Les ondes perçues étaient bien trop horribles. Et les images qui en découlaient... Les doutes et les questions l'assaillaient.
Pourquoi cet être était-il empli de tant de noirceur, alors qu'il était en si mauvaise posture ? Tétanisé par la stupeur et l'incompréhension, il était incapable de bouger. Son propre mode de pensées, ce qui le caractérisait profondément, venait de voler en éclats. Des images atroces lui parvinrent de l'homme blessé, qui déclenchèrent un torrent de sons déchirants, d'une tristesse incommensurable.
En vérité, l'homme se repaissait mentalement du crime atroce qu'il venait de commettre, juste avant de glisser dans le ravin...
Ainsi, en avançant son petit vaisseau un peu plus loin, environ un deux mètres, Seed'gam aperçut au fond du ravin, le corps pantelant d'un enfant aux longs cheveux dorés. Aucun son ne s'en échappait. Le néant. La mort.
Son esprit chancela, une douleur qu'il n'avait jamais connu s'immisça en lui, insidieuse.
L'homme souffrait, plus haut. Il pouvait, il devait le sauver ! Il était ici pour cela, rien que pour cela. Pour faire le bien, et rien que le bien. Mais, comment aurait-il pu sauver un être... qui venait de mettre fin à la vie d'un autre, sans défense ? L'un de sa propre race. L'un des siens. Comment avait-il pu ??
Dans son petit cockpit, Seed'gam était pris au piège...
Il fouilla une dernière fois dans l'esprit du blessé et la décision fût prise. Le rayon tracteur se mit en place, qui avala puis souleva le corps, pour le déposer délicatement, non loin de là, dans une clairière tapissée de mousse et de fougères naissantes.
Puis, tout en émettant un doux son mélodieux, Seed'gam caressa de son esprit bouleversé le corps de l'enfant durant de longues, longues minutes. Comme une prière. Puis il quitta les lieux et s'élança vers l'horizon, laissant là, voué à une mort certaine, le seul être qu'il avait choisi de ne pas sauver.
Car, bien que conscient de l'inexorabilité de sa décision, son esprit n'avait pu se résoudre à venir en aide à un être capable d'ôter la vie à un enfant."
©SChTh-28.02.24-
Sur sa planète d'origine, il n'avait été que docilité, gentillesse et empathie, n'ayant jamais causé de tort à aucun de ses congénères. Tant et si bien, qu'il était devenu un paria, dans son propre monde. Où était donc ce temps béni où l'on se moquait de ces curieux voisins à la peau flasque, qui ne passaient leur temps qu'à faire la guerre à leur prochain ? Où était ce temps où, sur sa belle planète, le mal n'existait pas ? Tout n'était alors que compassion, tolérance, générosité, solidarité... Ses frères et lui n'avaient toujours vécu qu'en bonne entente, sans jamais entrevoir aucun désaccord ni conflit, sans jamais émettre un son plus haut que l'autre.
Seed'gam(*), c'était son nom, qui ne savait ni parler, ni rire, soupirer ou se lamenter, n'émettait pour tout langage que des sons plaintifs ou joyeux, selon son humeur. Les sons étaient le seul moyen de communication que possédait son peuple. Et chacun disposait d'une multitude de sons pour s'exprimer, communiquer avec l'autre. Pas d'yeux ni d'oreilles non plus, tout résidait dans la perception, grâce à une myriade de micro-capteurs recouvrant leur corps lisse et lumineux.
Depuis des centaines d'années terrestres, Seed'gam roulait donc sa bosse à travers la galaxie, observant et apprenant de tous les êtres qu'il croisait. La solitude était pour lui difficile à vivre, ayant toujours été entouré des siens. Mais au moins, personne ne lui reprochait son insatiable besoin de paix. Son peuple l'avait envoyé en exil, car il était différent. Il était pourtant resté lui-même, plus qu'aucun autre. C'étaient eux qui avaient changé, qui s'étaient perdus. À trop vouloir étudier les hommes, à trop chercher à les comprendre et les évaluer, ils en avaient copié malgré eux leurs plus vils comportements et modes de pensée : L'envie, la jalousie, la ruse, la perfidie, la méchanceté, et tant d'autres défauts. Les belles qualités observées, plus rares, n'avaient pas penché suffisamment dans la balance, hélas. Et le monde de Seed'gam avait peu à peu basculé dans la folie. Son exil n'en avait pas été un, finalement, car il ne supportait plus de voir ses frères se déchirer et se battre, pour devenir ce qu'il exécrait au plus haut point.
Ainsi donc, il se retrouvait seul, voyageant dans son petit vaisseau, cherchant simplement à se nourrir de la moindre parcelle de bonté dans cet univers impitoyable.
La planète vers laquelle il revenait très souvent cependant, était la Terre, cette belle (sphère) aux teintes bleues, dont les vastes étendues d'eau et de verdure le fascinait. Aucune comparaison possible avec sa propre planète, à l'uniformité lumineuse et fade. Comment pouvait-on détruire, ou seulement même négliger de telles beautés ? Et toute cette diversité de couleurs de peau, de sons chantants et charmants.
Seed'gam ne comprenait pas.
Un son plaintif envahit le cockpit, signe d'incompréhension et de tristesse. Pauvre Seed'gam...
Il était maintes fois venu en aide aux habitants de cette planète, sans jamais se montrer pourtant, puisque telle était la règle dans son monde. Ces pauvres terriens ne voyaient de lui que de petites lueurs dans leur ciel. Il rêvait pourtant d'aller au-devant d'eux. Comme il aurait pu les aider, les guider, leur permettre d'évoluer vers ce qui avait fait la fierté et l'équilibre de son peuple, avant le grand changement... Pour lui seul désormais, la bonté, la non-violence étaient sans conteste les qualités idéales pour vivre heureux, en toute sérénité.
Un jour, alors qu'il allait repartir en direction de la Lune qu'il admirait tant, il fût le témoin d'un incident. Un habitant de la Terre venait de glisser dans un ravin, et c'est grâce à ses cris de douleur émis durant sa chute, qu'il avait su. Seed'gam avait aussitôt cherché et découvert l'homme couché en travers d'un gros rocher, à une dizaine de mètres en dessous de son véhicule, inconscient à présent. Aucun son, hormis sa respiration, n'était audible. Mais il était vivant. Tous ses sens en éveil, surtout celui de la compassion, il jubilait à l'idée de lui venir en aide. De faire le bien, une nouvelle fois. Mais, tant qu'il était inconscient, le petit extra-terrestre ne pouvait rien. Il fallait que ses capteurs soient ne serait-ce que titillés, pour pouvoir agir. Toute action en passait par là.
Seed'gam attendit donc, armé de toute l'infinie patience dont il disposait.
Il avait placé son vaisseau au-dessus du ravin, stationnaire et invisible, concentré sur le moindre son qui lui permettrait de passer aux choses sérieuses. Ce qu'il aimait par-dessus tout. Pour ce faire, il lui suffirait de déclencher le rayon tracteur, qui remonterait le malheureux jusqu'à côté de son véhicule, en sécurité. Afin qu'il puisse être recueilli par les siens. Ensuite, ni vu ni connu, il se faufilerait silencieusement entre les nuages, direction l'espace, heureux du devoir accompli. Le bien. Jamais il ne changerait cela. Jamais il ne deviendrait comme les terriens, comme son peuple.
Au bout d'une heure, Seed'gam perçut enfin un gémissement, un battement plus rapide dans le corps de l'homme en détresse, au milieu de bruits divers de la nature environnante. Il allait enfin pouvoir agir. Vibrant lui-même de petits sons stridents prouvant sa joie, il s'ouvrit totalement à l'écoute du malheureux, pour juger de la gravité de son état.
Et, à son grand désarroi, des sensations inédites prirent forme en lui.
Au fur et à mesure que l'homme reprenait connaissance, son esprit divaguait, de la cause de sa chute, à un événement très récent. Seed'gam ressentait ses émotions et ses sensations. La douleur, la peur, la colère, puis étrangement, la joie. Mais une joie puissante, bestiale, féroce, sadique, dont il n'en percevait pas les limites, effrayé. Et, de cet être pourtant en grande difficulté, qui n'aurait dû songer qu'à trouver un moyen de se sortir de là pour retrouver les siens, jaillissait des pensées jubilatoires d'une violence inouïe. Il souffrait atrocement d'un membre brisé, mais, plus fort que cela, plus fort que sa propre vie, dominait une joie sadique qui envahissait le paisible extra-terrestre malgré lui.
Seed'gam avait été si proche d'enclencher le rayon tracteur, cela lui était impossible à présent. Les ondes perçues étaient bien trop horribles. Et les images qui en découlaient... Les doutes et les questions l'assaillaient.
Pourquoi cet être était-il empli de tant de noirceur, alors qu'il était en si mauvaise posture ? Tétanisé par la stupeur et l'incompréhension, il était incapable de bouger. Son propre mode de pensées, ce qui le caractérisait profondément, venait de voler en éclats. Des images atroces lui parvinrent de l'homme blessé, qui déclenchèrent un torrent de sons déchirants, d'une tristesse incommensurable.
En vérité, l'homme se repaissait mentalement du crime atroce qu'il venait de commettre, juste avant de glisser dans le ravin...
Ainsi, en avançant son petit vaisseau un peu plus loin, environ un deux mètres, Seed'gam aperçut au fond du ravin, le corps pantelant d'un enfant aux longs cheveux dorés. Aucun son ne s'en échappait. Le néant. La mort.
Son esprit chancela, une douleur qu'il n'avait jamais connu s'immisça en lui, insidieuse.
L'homme souffrait, plus haut. Il pouvait, il devait le sauver ! Il était ici pour cela, rien que pour cela. Pour faire le bien, et rien que le bien. Mais, comment aurait-il pu sauver un être... qui venait de mettre fin à la vie d'un autre, sans défense ? L'un de sa propre race. L'un des siens. Comment avait-il pu ??
Dans son petit cockpit, Seed'gam était pris au piège...
Il fouilla une dernière fois dans l'esprit du blessé et la décision fût prise. Le rayon tracteur se mit en place, qui avala puis souleva le corps, pour le déposer délicatement, non loin de là, dans une clairière tapissée de mousse et de fougères naissantes.
Puis, tout en émettant un doux son mélodieux, Seed'gam caressa de son esprit bouleversé le corps de l'enfant durant de longues, longues minutes. Comme une prière. Puis il quitta les lieux et s'élança vers l'horizon, laissant là, voué à une mort certaine, le seul être qu'il avait choisi de ne pas sauver.
Car, bien que conscient de l'inexorabilité de sa décision, son esprit n'avait pu se résoudre à venir en aide à un être capable d'ôter la vie à un enfant."
©SChTh-28.02.24-
Note
(*) : Seed'gam : prononcer Siiiiid'Gam, qui signifie doux son sur la gamme