Editions Pocket SF | 1981 | Photo @ Bruno Blanzat, édition privée
L'univers ne mesurait plus que huit kilomètres de long sur - à peine - un et demi de large. Nul ne prenait plus au sérieux les vieilles légendes qui couraient encore sur l'existence des étoiles ou sur cette idée extravagante que le Navire se déplaçait dans l'Espace.
Car le Navire c'était l'Espace et rien ne pouvait exister à l'extérieur.
Pourtant, quelqu'un parvint un jour à retrouver tout au fond du Navire une salle que l'on croyait oubliée.
Il découvrit les étoiles et il comprit qu'elles n'étaient pas immobiles...
Les Orphelins du Ciel, dont l'action se situe dans la seconde moitié du troisième millénaire, marque le terme — provisoire — de cette immense Histoire du Futur évoquée par Robert A. Heinlein dans L'Homme qui vendit la Lune, Les vertes Collines de la Terre, Révolte en 2100 et Les Enfants de Mathusalem, précédemment parus dans cette collection.
Car le Navire c'était l'Espace et rien ne pouvait exister à l'extérieur.
Pourtant, quelqu'un parvint un jour à retrouver tout au fond du Navire une salle que l'on croyait oubliée.
Il découvrit les étoiles et il comprit qu'elles n'étaient pas immobiles...
Les Orphelins du Ciel, dont l'action se situe dans la seconde moitié du troisième millénaire, marque le terme — provisoire — de cette immense Histoire du Futur évoquée par Robert A. Heinlein dans L'Homme qui vendit la Lune, Les vertes Collines de la Terre, Révolte en 2100 et Les Enfants de Mathusalem, précédemment parus dans cette collection.
Fiche de lecture
Seconde moitié du troisième millénaire, un immense vaisseau spatial se dirige vers un système solaire éloigné, sans pilote. Ses passagers, ayant oublié leur origine et sombré dans la superstition, confondent le vaisseau avec l'univers et fuient les mutants des ponts supérieurs. Jusqu’au jour où l’un d’eux découvre une salle que l’on croyait oubliée…
Pur fait du hasard, je commence l’Histoire du futur par la fin, puisqu’il s’agit chronologiquement de la dernière nouvelle de la série d’Heinlein, faite d’un fix-up de deux nouvelles publiées en 1941 (Univers et Sens Commun).
Comme le résume très bien la quatrième de couv : « l’univers ne mesurait plus que huit kilomètres de long sur – à peine – un et demi de large ».
Ce court roman présente l’histoire d’Hugh Hoyland, jeune savant à bord du Pionnier. Il reproduit le cheminement de l’esclave qui s’extrait de la caverne platonicienne pour atteindre le ciel des Idées. Ici, l’humanité est confinée au fond d’un vaisseau, écrasée par la pesanteur, et il n’y a que les téméraires pour s’aventurer dans les hauteurs, où les effets de la gravitation s’amenuisent. Ces régions sont peuplées de « mutes », les descendants des irradiés des premières générations.
Les siècles ont passé depuis que cette arche civilisationnelle a quitté la Terre en direction de Proxima du Centaure. Les générations se sont succédées, et l’îlot d’humanité a perdu le sens de son voyage. D’ailleurs, le mot « Voyage » signifie la mort pour les personnages.
Tout en suivant le déroulé de l’allégorie de la caverne, Heinlein réussit à faire le chemin à l’envers, puisqu’on voit des hommes qui ont perdu la vue copernicienne, incapables de se représenter un dehors. Les concepteurs du vaisseau avaient anticipé cette « catastrophe culturelle », puisque ce dernier fonctionne sans rouage, par une mécanique perpétuelle ne nécessitant aucun entretien. Les machines plus classiques ont cessé de fonctionner depuis longtemps, l’Équipage vit dans une ruine.
Avec le temps, la science est devenue une administration, la société se décompose en cabinet restreint du Capitaine, clique des Savants-Ingénieurs, et paysans. Il y a également un représentant religieux, le Témoin, vague autorité morale sans véritable pouvoir temporel. Ce qui est fascinant, c’est qu’ils ont tout oublié des millénaires de découvertes scientifiques pour retomber dans une perception obscure du monde qui les entoure. On ne se souhaite pas bonjour, mais bon manger, tout simplement parce qu’on a perdu la notion même de mesure du temps, faute de phénomènes célestes pour se repérer. Le héros peine plusieurs jours à apprendre à se servir d’un chronomètre, parce que les besoins vitaux priment, justifient le maintien d’une stabilité sociale verrouillée, et le niveau de population géré par les Convertisseurs (des machines qui convertissent tout, organique ou métallique, en énergie).
L’exploit qu’accomplit le jeune héros, c’est de devenir par ses propres moyens astrogateur, de comprendre que le monde ne se résume pas à ce vaisseau, à un navirocentrisme si je peux tenter ce néologisme. Le vaisseau « bouge ». L’exploit est doublé quand il parvient à faire adhérer ses collègues à ce point de vue hétérocentré, à les bousculer dans leurs certitudes au point de les ré-arrimer à la mécanique céleste.
« Je puis vous dire ce que j’ai vu. Ils m’ont emmené au niveau où il n’y a plus de pesanteur, dans la véranda du Capitaine. C’est un compartiment pourvu d’une cloison transparente, et l’on peut voir au-dehors, contempler ces espaces inouïs, immenses, mille fois plus grands que tout ce que nous connaissons. Plus que le Navire. Et l’on y voit des lumières, des étoiles, comme dans les anciens mythes. »
Cependant, quand l’ouverture des consciences atteint le politique, on change de méthode. Un débat s’engage pour faire adhérer tout le reste du vaisseau à cette révolution intellectuelle. Celui qui prend les commandes, un jeune arriviste, se saisit de l’occasion pour pacifier et unifier le Navire, c’est-à-dire en intégrant la population mute à son administration. Les Savants sont tenants de révéler la vérité à tout le monde, montrer un but commun, un sens à leurs existences, pour les faire adhérer.
Le dirigeant ne l’envisage pas ainsi :
« Vous faites porter les porteurs par la litière. Je ne vois pas pourquoi l’on tenterait de convaincre un homme d’une chose qu’il se refuse à croire alors que nous voulons obtenir son accord sur un sujet qu’il comprend parfaitement. Après la consolidation du Navire, il sera facile de montrer la Salle de Navigation et les étoiles aux officiers. »
D’abord mettre tout le monde à sa botte, ensuite éclairer une petite élite. Bon programme, approuvé par l’Ingénieur en chef :
« Inutile de nous encombrer de complexes questions religieuses alors que le problème immédiat est d’ordre pratique. Il y a nombre d’officiers qui seront avec nous pour pacifier le Navire mais qui auraient fait un tas d’histoires si nous avions commencé par essayer de les persuader que le Navire se déplace. »
L’enjeu politique vire au carnage, et sans spoiler la fin du récit, il faut une sacrée dose de circonstances favorables pour que quelques-uns s’en sortent. Néanmoins, cette aventure à échelle réduite, qui revit les déboires de Galilée et de Giordano Bruno, si on la déploie aujourd’hui au niveau de notre planète, voire de notre univers, nous force à refaire l’expérience de pensée d’arrachement à nos perceptions imparfaites. Ça n’a rien d’évident de concevoir que le sujet affecte l’objet, et non l’inverse, que la connaissance n’est pas extérieure mais créée par l’esprit, que la raison saisit les formes, mais pas les contenus. Le jeune héros parvient à s’élever à une logique transcendantale lui permettant d’appréhender ce qu’il peut savoir et les limites de ses connaissances. Nous-mêmes, prenant toujours notre cas pour une généralité, faisons fréquemment l’erreur inductive que le monde n’est pas autre chose que l’idée que nous nous en faisons. C’est ainsi que surviennent les catastrophes, qu’elles soient culturelles ou naturelles.
Pur fait du hasard, je commence l’Histoire du futur par la fin, puisqu’il s’agit chronologiquement de la dernière nouvelle de la série d’Heinlein, faite d’un fix-up de deux nouvelles publiées en 1941 (Univers et Sens Commun).
Comme le résume très bien la quatrième de couv : « l’univers ne mesurait plus que huit kilomètres de long sur – à peine – un et demi de large ».
Ce court roman présente l’histoire d’Hugh Hoyland, jeune savant à bord du Pionnier. Il reproduit le cheminement de l’esclave qui s’extrait de la caverne platonicienne pour atteindre le ciel des Idées. Ici, l’humanité est confinée au fond d’un vaisseau, écrasée par la pesanteur, et il n’y a que les téméraires pour s’aventurer dans les hauteurs, où les effets de la gravitation s’amenuisent. Ces régions sont peuplées de « mutes », les descendants des irradiés des premières générations.
Les siècles ont passé depuis que cette arche civilisationnelle a quitté la Terre en direction de Proxima du Centaure. Les générations se sont succédées, et l’îlot d’humanité a perdu le sens de son voyage. D’ailleurs, le mot « Voyage » signifie la mort pour les personnages.
Tout en suivant le déroulé de l’allégorie de la caverne, Heinlein réussit à faire le chemin à l’envers, puisqu’on voit des hommes qui ont perdu la vue copernicienne, incapables de se représenter un dehors. Les concepteurs du vaisseau avaient anticipé cette « catastrophe culturelle », puisque ce dernier fonctionne sans rouage, par une mécanique perpétuelle ne nécessitant aucun entretien. Les machines plus classiques ont cessé de fonctionner depuis longtemps, l’Équipage vit dans une ruine.
Avec le temps, la science est devenue une administration, la société se décompose en cabinet restreint du Capitaine, clique des Savants-Ingénieurs, et paysans. Il y a également un représentant religieux, le Témoin, vague autorité morale sans véritable pouvoir temporel. Ce qui est fascinant, c’est qu’ils ont tout oublié des millénaires de découvertes scientifiques pour retomber dans une perception obscure du monde qui les entoure. On ne se souhaite pas bonjour, mais bon manger, tout simplement parce qu’on a perdu la notion même de mesure du temps, faute de phénomènes célestes pour se repérer. Le héros peine plusieurs jours à apprendre à se servir d’un chronomètre, parce que les besoins vitaux priment, justifient le maintien d’une stabilité sociale verrouillée, et le niveau de population géré par les Convertisseurs (des machines qui convertissent tout, organique ou métallique, en énergie).
L’exploit qu’accomplit le jeune héros, c’est de devenir par ses propres moyens astrogateur, de comprendre que le monde ne se résume pas à ce vaisseau, à un navirocentrisme si je peux tenter ce néologisme. Le vaisseau « bouge ». L’exploit est doublé quand il parvient à faire adhérer ses collègues à ce point de vue hétérocentré, à les bousculer dans leurs certitudes au point de les ré-arrimer à la mécanique céleste.
« Je puis vous dire ce que j’ai vu. Ils m’ont emmené au niveau où il n’y a plus de pesanteur, dans la véranda du Capitaine. C’est un compartiment pourvu d’une cloison transparente, et l’on peut voir au-dehors, contempler ces espaces inouïs, immenses, mille fois plus grands que tout ce que nous connaissons. Plus que le Navire. Et l’on y voit des lumières, des étoiles, comme dans les anciens mythes. »
Cependant, quand l’ouverture des consciences atteint le politique, on change de méthode. Un débat s’engage pour faire adhérer tout le reste du vaisseau à cette révolution intellectuelle. Celui qui prend les commandes, un jeune arriviste, se saisit de l’occasion pour pacifier et unifier le Navire, c’est-à-dire en intégrant la population mute à son administration. Les Savants sont tenants de révéler la vérité à tout le monde, montrer un but commun, un sens à leurs existences, pour les faire adhérer.
Le dirigeant ne l’envisage pas ainsi :
« Vous faites porter les porteurs par la litière. Je ne vois pas pourquoi l’on tenterait de convaincre un homme d’une chose qu’il se refuse à croire alors que nous voulons obtenir son accord sur un sujet qu’il comprend parfaitement. Après la consolidation du Navire, il sera facile de montrer la Salle de Navigation et les étoiles aux officiers. »
D’abord mettre tout le monde à sa botte, ensuite éclairer une petite élite. Bon programme, approuvé par l’Ingénieur en chef :
« Inutile de nous encombrer de complexes questions religieuses alors que le problème immédiat est d’ordre pratique. Il y a nombre d’officiers qui seront avec nous pour pacifier le Navire mais qui auraient fait un tas d’histoires si nous avions commencé par essayer de les persuader que le Navire se déplace. »
L’enjeu politique vire au carnage, et sans spoiler la fin du récit, il faut une sacrée dose de circonstances favorables pour que quelques-uns s’en sortent. Néanmoins, cette aventure à échelle réduite, qui revit les déboires de Galilée et de Giordano Bruno, si on la déploie aujourd’hui au niveau de notre planète, voire de notre univers, nous force à refaire l’expérience de pensée d’arrachement à nos perceptions imparfaites. Ça n’a rien d’évident de concevoir que le sujet affecte l’objet, et non l’inverse, que la connaissance n’est pas extérieure mais créée par l’esprit, que la raison saisit les formes, mais pas les contenus. Le jeune héros parvient à s’élever à une logique transcendantale lui permettant d’appréhender ce qu’il peut savoir et les limites de ses connaissances. Nous-mêmes, prenant toujours notre cas pour une généralité, faisons fréquemment l’erreur inductive que le monde n’est pas autre chose que l’idée que nous nous en faisons. C’est ainsi que surviennent les catastrophes, qu’elles soient culturelles ou naturelles.
Post-scriptum
L’édition que j’ai dénichée semble être un exemplaire de livre « mute », aux angles trapézoïdaux. Certaines pages sont passées près du Convertisseur !
Photo @ Bruno Blanzat, édition privée