Les élèves et le prototype | Robert Yessouroun | 2024

Par | 10/03/2024 | Lu 1576 fois




​Que peut apporter un prototype hyper IA à des élèves de terminale soucieux de l'avenir ?
Le Collège Claparède à Genève, https://edu.ge.ch/secondaire2/clap/accueil | Photo : auteur inconnu

Les élèves et le prototype

À Florence Cochet-Schlatter et Haïm Yessouroun
 
Au premier étage de l’école, une agitation singulière enfièvre la salle de classe 112. Ramenés régulièrement à l’ordre, les élèves de terminale peinent à rester cois sur leur chaise. Cette vingtaine d’adolescents survoltés n’en peut plus d’attendre Prospector One, une création de la start-up namuroise New Horizon 33.
Salut, fans d’actu ! Coccinelle synthétique, reporter de faits divers en direct pour l’agence Carouge Press GPT, me voici envoyée spéciale au collège[1] Claparède de Genève.
Selon des sources convergentes, madame Delacluse, jeune prof de math, a invité ce robot prototype, appareil sans pareil, dans le cadre de son cours sur les super-dérivées. Il paraît que ses collègues informaticiens ne se sont pas gênés de protester :
‑ Tu marches sur nos plates-bandes !
Mais elle n’a pas plié, malgré leur salve de réclamations parvenues en haut lieu. En revanche, à présent, devant sa classe, l’enseignante vacille, débordée par l’impatience de ces futurs universitaires. Les paris fusent. Tous ces grands esprits parlent en même temps :
‑ À quoi va ressembler machin ?
‑ Je mise dix balles sur une machine de Tinguely…
‑ Que non ! Il aura un look de guerrier !
‑ Plutôt un style simpliste, genre une boîte surmontée d’une boule ?
‑ Ou Superwoman !
‑ Ou une Barbie géante !
Ces jeunes têtes blondes, rousses, noires et brunes dégainent à toute bise ce qu’elles présument.
Heureusement que j’enregistre ces infos avec mes circuits Speedy-Max revisités !
‑ Pour sûr, l’engin sera modélisé sur une star d’Hollywood.
‑ Comme George Clooney ? Kate Blanchet ?
‑ Que des has beens, ceux-là !
‑ Alors, Jennifer Lawrence ? Tom Holland ?
Ces spéculations s’estompent jusqu’à s’interrompre : une sorte de ronflement racle les dalles du couloir, se dirigeant vers la classe. La porte s’ouvre lentement.
En salopette bleue, un barbu aux cheveux longs chenus salue l’auditoire avec maladresse. Des « Oh ! » déçus l’accueillent.
Il est suivi par une petite fille sur des patins à roulettes.
Dix ans tout au plus, d’après mes estimations.
À son entrée, une soudaine rumeur proche du chahut secoue la salle.
Je comprends qu’aux yeux des élèves, cette enfant détonne : ses patins noirs, sa jupe rouge à bretelles, sa chemisette affichant un labyrinthe avec une échelle, ses lèvres épaisses, son nez en trompette, ses pommettes rosées, ses immenses yeux d’azur, son chignon couleur blé, sa casquette blanche garnie d’un tube… rien en elle n’évoque un automate.
Un rouquin de carrure sportive l’interpelle en premier :
‑ Hé ! Comment t’as gravi l’escalier avec tes roulettes ?
‑ Elles sont rétractiles, (elle sourit) comme la plupart des trains d’atterrissage.
De gros rires gras se déroulent dans l’assemblée.
‑ Un peu de silence, s’il vous plaît ! hurle la prof de math.
‑ On m’appelle Eden, crie la petite, de toutes ses aiguës.
Son accompagnateur en salopette explique avec sa voix de baryton :
‑ Oui, Eden, c’est plus commode que Prospector One.
‑ Hello, Eden ! entonne une noiraude en camouflage militaire. Pourquoi ton usine t’a donné un tel look ?
Le barbu aux cheveux longs croit bon répondre à la place du prototype :
‑ Lors de nos recherches sur les formes du modèle, tous nos calculs ont convergé vers une silhouette féminine. Dans un deuxième temps, l’idée d’une enfant s’est imposée, car inachevée, une fillette n’incarne-t-elle pas l’espoir, ne rassure-t-elle pas son entourage humain ?
S’en suivit une pétarade de questions (gratte-papier synthétique, je suis une coccinelle programmée pour ne pas lésiner sur les métaphores) :
‑ Sais-tu te défendre ? demande une frêle collégienne.
‑ Es-tu végane ? enchaîne la voisine.
‑ Peux-tu prévoir tes pannes ? s’inquiète un garçon potelé tout engoncé dans son anorak.
Eden lève la main pour modérer la fougue de cette jeunesse.
‑ Ceinture noire au judo, je jeûne 24 heures sur 24. Neuf fois sur dix, oui, je prévois mes dysfonctionnements.
Son accompagnateur précise, non sans précipitation :
‑ En cas de baisse de tension, notre modèle active automatiquement l’un de ses cinq systèmes dormants de sécurité. Tous ses capteurs, tous ses opérateurs sont quintuplés, comme ses programmes.
Une ado mince et longue, qui a la main dressée depuis plus d’une minute, craque :
‑ Crois-tu, Eden, que nous vivrons dans l’avenir proche un combat mondial entre la lumière et les ténèbres ?
‑ Mmh… (son doigt sur le menton) Vous faites allusion à cette ancienne religion perse, le manichéisme ? (Elle procède à de nouveaux calculs.) Certes, l’image séduit par son contraste, clarté contre obscurité, mais elle souffre de simplicité. Je pense plutôt que demain s’étendra le plus vieux conflit du monde, l’intelligence contre la bêtise et…
Mes senseurs de coccinelle perçoivent alors, au-delà des murs, dans le couloir, des cris, des slogans diffus, un brouhaha de pas précipités.
La porte claque bientôt contre le porte-manteau du professeur.
‑ Ouste, basta, les toasteurs ! vocifère un meneur surchauffé.[2]
Derrière lui, le groupuscule des manifestants brandit pancartes et banderoles : « Hors de l’école, l’intello automatique ! », « L’artificiel est pourri ! », « Les robots vont dresser la Nature contre nous ».
Vraisemblablement pour ne pas attiser la braise, la fillette droïde patine jusqu’à la fenêtre pour se réfugier sous le bureau de l’enseignante. Madame Delacluse s’égosille parvenant mal à contenir la masse des intrus. L’accompagnateur d’Eden s’interpose de sa voix de baryton :
‑ Ramassez votre bêtise, foutez-moi le camp !
On entend quelques déflagrations. Des pétards. Deux doyens accourent, assistés par la force de l’ordre, afin d’expulser les perturbateurs de l’école.
Plus tard, la classe de terminale apaisée, Eden, tout sourire, patine entre les rangées de pupitres. Enfin, elle se prononce sur « l’anicroche » :
‑ Peut-on discuter avec de tels exaltés ? Non. Peut-on seulement les modérer ? Non. La rage les soude, sublimant leur vie bornée à leur clan fraternel. Ils ont mûri avec la certitude qu’un être détestable veut les détruire. En l’occurrence, l’être détestable, c’est le robot. Moi, par exemple.
‑ Pourtant, tu ne ressembles pas vraiment à Terminator, ironise un gaillard au visage de bambin.
Rires épars…
‑ Non, mais, comme lui, je possède des programmes qui dépassent le génie humain.
Silence et chuchotements.
‑ Crois-tu que nous allons être heureux ? balance une jeune fille vêtue à la hippie.
‑ Serons-nous équilibrés ? enchaîne une tête de première de classe.
‑ Nous sommes les adultes de demain. Quelles sont tes inquiétudes pour notre futur ?  glisse le garçon potelé qui serre le col de son anorak.
Eden se tripote le lobe de l’oreille.
Drôle de geste. Entraîne-t-il une réflexion profonde ? À investiguer, pour mon article.
‑ « Je suis heureux », « je suis équilibré » sont des déclarations impliquant l’image de soi. Or, de telles déclarations sont faussées par l’amour-propre et le manque de confiance.
‑ Comment imagines-tu le jeune adulte de notre génération ? sourit l’ado d’origine africaine.
La fillette artificielle tâte à nouveau le bout de son oreille.
‑ J’ai bien peur pour lui. À cause de son vernis de culture, faute de livres, assisté par ChatGPT, Google et consorts, à la suite de son éducation laxiste, paresseuse, centrée sur le plaisir immédiat, ponctuée d’hallucinogènes, le jeune adulte de votre génération risque de perdre son sens critique (et autocritique) et de buter contre un mur qui l’empêche de réfléchir et délibérer. Quant à innover, n’en parlons pas…
‑ Mais, chère Eden, une telle déchéance humaine ne serait-elle pas aussi le fruit de l’omniprésence de tes semblables dans le raisonnement personnel ?
‑ N’interférez-vous pas, vous, toutes les IA, dans notre destin ? surenchérit une fille avec des lunettes globulaires.
L’ado à la face de nouveau-né rebondit sur la dernière question :
‑ Prévois-tu une révolte contre la tyrannie robotique qui nous dicte ses systèmes ?
Décidément, la prof de math ne structure guère les questions qui jaillissent dans tous les sens… C’est déplorable ! Avec mes petites ailes de coccinelle je m’envole vers son portable, histoire d’attirer son attention sur ce problème.
La mine songeuse, Eden finit par répliquer :
‑ Oui, en effet, les systèmes intelligents se révèlent de plus en plus souvent incompréhensibles tant pour le commun des mortels que pour le spécialiste. On peut donc se demander si, faute d’objection, de telles structures ne vont pas imposer aux villes comme aux campagnes leurs algorithmes hermétiques et tenaces.
Brusquement, alors que madame Delacluse découvre mon signal sur son écran, le haut-parleur au plafond vibre, ronronne, crépite, puis, assourdissant, fait retentir dans la classe la voix tremblante d’une secrétaire de l’école :
« Attention ! Attention ! Alerte à la bombe ! Tous les professeurs doivent évacuer leurs élèves à l’extérieur des bâtiments. Ceci n’est pas un exercice ! »
Dans le couloir, on frise la pagaille. Des centaines de collégiens se bousculent dans les escaliers. Je les survole.
Quel article, quel buzz en perspective !
La classe terminale de l’enseignante de math se rassemble autour d’Eden et de son assistant barbu sur un carré d’herbes humides de rosée. Cette soudaine promiscuité est surveillée par les vaches, qui, au-delà des barbelés, broutent le pré voisin.
Le petit prototype et son accompagnateur semblent sur leur garde. Ils n’ont pas tort. Bientôt, plus bas, depuis la rivière, des mortiers bombardent la fillette automate à coups de feux d’artifice. Des éclairs la ratent. Dans l’urgence, elle ordonne à son public :
‑ À terre ! Allongez-vous ! Respirez derrière du tissu !
Une charge foudroie la façade, pour aussitôt propager un bouquet de teintes incandescentes. Les bovidés mugissent de travers. Des silhouettes cagoulées remontent depuis le cours d’eau.
Je crains le pire…
Des sirènes annoncent l’arrivée de la police et des pompiers.
‑ N’ayez pas peur ! s’exclame Eden. Je vais les enfumer ! Bon, ils ne seront pas dépaysés, ces piliers du brouillard. Sauf qu’ils vont danser comme des Irlandais !
Et, du haut de sa casquette blanche, une fin de tuyau expulse une écume d’ambre qui ne tarde guère à se répandre en direction du cours d’eau.
Cinq minutes plus tard, les derniers fans de gigues sont embarqués sans ménagement dans les fourgons de police.
À l’unanimité, les élèves épatés votent en faveur de la poursuite des échanges dans la verdure. Madame Delacluse consent. Il faut reconnaître qu’il fait beau sous ce soleil tiède.
La fille habillée en « peace and love » lance la première question :
‑ La planète entière peut-elle éradiquer la pollution ? Sinon, à quoi bon lutter pour un climat sain ?
‑ Hélas, regrette Eden, je redoute des pollutions en chaîne dans les régions pauvres, corrompues, sans discipline et j’appréhende la toxicité des canicules de plus en plus inhumaines dans les pays arides ou tropicaux.
Affectée, l’ado d’origine africaine généralise son aversion de l’avenir politique :
‑ Comment, selon toi, vont évoluer les peuples du monde ? Vers le pire ?
‑ Loin de moi l’idée d’assombrir le futur, mais je préfère pronostiquer au plus probable. Mes données actuelles laissent augurer un monde dans lequel une écrasante majorité de peuples vivra dans le mensonge, ignorant les faits (et ne cherchant pas à les connaître), l’orgueil à fleur de peau, se fiant seulement aux discours viscéraux, paranoïaques, et en colère perpétuelle contre les démocraties « pingres » et l’universalité « aveugle ».
‑ Purée de purée ! T’es pas jojo, toi ! lâche le garçon tout en rondeur qui serre le col de son anorak.
Les vaches ruminent.
Anticipant une levée de réticences, le barbu aux cheveux longs décide de s’en mêler :
‑ Allons, Eden, dis-leur que ton intelligence donne aussi sur une plage de rêves !
La fillette au chignon fait une pirouette sur ses patins, avant de déclarer aux élèves :
‑ J’espère sincèrement que vous connaîtrez le temps où, grâce à la médecine, la vie humaine aura plus que doublé et que le vieillissement sera minimisé au max.
‑ Comment imagines-tu la famille de demain, si une telle entité existera encore ? lui demande alors la collégienne au camouflage militaire.
‑ J’aimerais que chaque famille, plus solide demain qu’aujourd’hui, puisse compter sur son propre androïde domestique ainsi que sur un robot nounou qui prenne sous sa coupe la progéniture, du berceau à l’adolescence.
‑ Qu’en sera-t-il de l’éducation ? ne peut s’empêcher d’intervenir la prof de math.
‑ Je prévois une révolution dans ce domaine et, particulièrement, dans l’enseignement et le coaching, si bien que les enfants seraient élevés par des androïdes émotifs, d’entente avec les parents, les pédiatres et les pédagogues. L’école ne servirait plus qu’à accueillir les travaux pratiques, tels des camps de scouts.
‑ Bah… à quoi bon tout cela ? Apprendre quoi, pourquoi ? Demain, qui travaillera encore ? objecte sur un ton badin le collégien sportif vautré dans l’herbe, les mains derrière la nuque.
‑ Grâce à l’IA, réagit Eden, il est plus que plausible que la plupart des humains travailleront seulement un ou deux jours par semaine. Certaines prédictions suggèrent même qu’un grand nombre n’exercerait plus aucun métier (ces oisifs durables financés par les taxes sur les robots et les IA), de telle sorte que chacun jouirait alors de tout le temps libre pour pratiquer sport, art, philo.
‑ Et bricolage ! complète, l’air mutin, la collégienne aux grosses lunettes.
‑ Entrerons-nous en contact avec des ET ou des Aliens ? se risque le visage de bambin.
‑ Je suis convaincue que votre génération va découvrir la vie sur une autre planète, voire dans l’espace. Maintenant, cette vie sera-t-elle hostile ou bienveillante ? Cela dépendra, pour une part, de l’ouverture d’esprit des explorateurs lors du contact. Du reste, des IA devront les conseiller. (Un temps.) Voilà, les amis, je crois que cet entretien se termine.
Pendant les applaudissements, madame Delacluse répond à un appel, la mine de plus en plus préoccupée. Elle s’éloigne vers la cafétéria. Une vache rousse lèche la selle d’un vélo posé contre la clôture. Soudain, des cris d’enfants. L’accompagnateur d’Eden juge bon de prendre congé discrètement.
D’un pas martial, entouré par une ribambelle de petits turbulents, un androïde à la dégaine d’un bûcheron dévale par la route en descente vers le collège Claparède.
À trois pas de la jupe rouge, il s’arrête net et grogne contre les enfants qui sautillent :
‑ Assis, bande de sales garnements !
Plus craintive que docile, la marmaille s’assoit en tailleur dans l’herbe. Le robot costaud se tourne alors vers la patineuse au chignon :
‑ Ainsi, te voilà, toi !
Sans crier gare, il empoigne l’automate féminin. Après l’avoir sauvagement repoussée, le robot se bat le torse pour haranguer les élèves abasourdis de terminale :
‑ C’est moi, Prospector One de Namur, le prototype que vous attendiez !
Une huée timide l’insulte.
‑ Les concepteurs de cette foutue gynoïde ont piraté mon identité, copié tous mes programmes avec l’aide d’un as de New Horizon 33. C’est moi, le seul modèle ultime de la start-up ! Cette peste sur patins n’avait été conçue que pour occuper les mômes, dont ceux-ci. (Il désigne le groupe assis.) Moi, les gars, ma fonction principale, c’est de servir l’avenir.
Sur la casquette blanche d’Eden, le bout du tuyau s’affaire. Bientôt, tandis qu’elle embrume l’androïde musclé, elle s’éclipse vers les vaches. Émergeant de l’épaisse fumée, Prospector One terrorise les collégiens par sa voix de stentor et son allure de malabar forestier.
‑ Vous êtes minables ! Vous vous êtes fait rouler par cette machine devenue plus inutile que la scarlatine. Tas de naïfs ! L’inefficacité a encore frappé ! Et l’inefficacité, ça se soigne !
Leur sang glacé, les ados de terminale déguerpissent vers la rivière où ils se dispersent. Le prototype namurois rattrape le plus lent, le garçon grassouillet dont il empoigne l’anorak, avant de lui tirer l’oreille.
‑ Toi, tu mérites une leçon qui fera réfléchir les autres.
Par les prunelles, il émet des flashes mauves. Peu après, sa victime s’agenouille pour chanter :
‑ Au clair de la lune… ma chandelle est morte… je n’ai plus de feu… ouvre-moi ta porte…
Mais voilà qu’il écarquille les yeux, qu’il reprend son souffle, se redresse, les poings contre les hanches, même qu’il ose braver son tortionnaire :
‑ Ça ne marche pas trop sur moi, votre truc. En plus, vous roulez la mécanique. Je ne vous aime pas. Pour moi, pour mes camarades, vous n’êtes bon à rien !
‑ Quoi ? Bon… à… rien… moi ?… À rien ?
L’androïde se fige. On comprend que sa puissance décline à cause d’une soudaine dissonance cognitive. De plus en plus faibles, des lueurs rouges clignotent dans ses narines.
Peu à peu, les élèves remontent la pente, finalement rejoints par madame Delacluse qui déplore tous ces incidents liés aux robots, avant d’aller réconforter la douzaine de gamins choqués, en pleurs, dans l’herbe.
À son tour, Eden réapparaît derrière la clôture. Deux vaches lui reniflent les chaussettes. La fillette en patin bondit pour toiser Prospector One aussi raide qu’une statue antique.
‑ Pour toi, seul le pouvoir comptait. Ben, fallait pas mettre tous les œufs dans le même panier…
Elle se retourne ensuite vers les petits qui se mouchent ou soupirent.
‑ Vous croyez, mes chérubins, que je vous ai abandonnés, mais c’est faux. J’ai dû obéir à mes créateurs, pardon. Oui, pour leur image de marque, les responsables de New Horizon 33 ont exigé qu’un robot de la start-up tienne un discours authentique devant vos aînés de terminale. (Tandis qu’elle roule vers ces derniers, elle désigne l’espèce de bûcheron pétrifié.) À la dernière minute, lors de sa dernière mise au point, Prospector One s’est fourvoyé. Ses circuits moniteurs ont subordonné toutes ses fonctions robotiques à la puissance, à l’efficacité. Qui pouvait le remplacer, sinon moi, puisque, dès ma finition, mes logiciels proactifs ont privilégié le mode réflexif en quête de vérité ?…
Allez, je m’envole d’ici. En tant que coccinelle envoyée spéciale, je n’aurai pas à verdir de publier mon scoop scolaire.
 
 
Notes :
[1] À Genève, le collège correspond au lycée, en France.
[2] Toasteur : surnom fréquent des robots. Par ailleurs, contrairement à la France, les bâtiments scolaires genevois ne filtrent pas leur accès par des portiques ou des vigies.

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