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Mon Voyage à la Lune | Napoléon Aubin | 1839

Par | 22/03/2019 | Lu 926 fois


Présentation de "MON VOYAGE A LA LUNE", tiré du Journal satirique « le Fantasque », écrit par Napoléon Aubin (1839).




Introduction

En littérature je fus fasciné par un auteur dont je crus qu’il fut emblématiquement responsable de la Science-Fiction moderne, grâce à la vulgarisation scientifique qu’il sut répandre dans ses histoires ; ce sont « ses fruits » juteux et délicieux dont on aime mordre à pleines dents, de goûter à tous ces plaisirs intellectuels portés par une lecture fictionnelle reposant sur des progrès scientifiques et techniques. À la suite de sa curiosité et de ses découvertes, je prenais conscience de mon amour pour le genre. Le grand auteur prouva, grâce aux bouleversements techniques de son temps, que le « Merveilleux Scientifique » ne devait pas être la seule réponse aux conclusions admises dans certains livres de fiction. Jules Verne plaça son roman « De la Terre à la Lune » sur une admission commune explicitant de l’importance de scientifiser la littérature, voilà pourquoi celui-ci resta l’une des références originelles de la science-fiction.
 
C’est en me plongeant dans une réflexion personnelle, autour de ce voyage sur la Lune, que je constatais au détour de mon inculture à ce sujet, d’une explication collective trop abrupte ; celle d’affirmer définitivement l’émergence d’un genre, aussi puissant que la science-fiction, uniquement grâce à la vision de deux auteurs, Jules Verne et H. G. Wells (si différents soient-ils dans leur approche intrinsèque du genre). C’est en me penchant sur l’œuvre « presque » journalistique d’un autre « fondateur » du nom de Napoléon Aubin que je m’aperçus qu’il ne fallait rien figer, mais nuancer les avis. Il développa une pensée dite d’Anticipation, d’un devenir possible. L’expérience de lecture de ce « réformateur » (cet éditeur, journaliste, poète, scientifique inventeur Québécois) ajouta aux flous d’informations prétendants expliquer les origines de ce courant littéraire. Cette écriture, exagérait, sans ménagement, sa prise de position satirique de la fiction, la faisant évoluer vers un genre appelé (sous un nom barbare) ; science-fiction archaïque, ou proto-science-fiction. C’était avant qu’elle ne se réalise dans la science-fiction telle que nous l’entendons et la formulons aujourd’hui.

La science-fiction avant la science-fiction se présentait sous apparence diverse, dissimulée derrière des récits de voyages imaginaires, de contes philosophiques à connotation moraliste et de multitude de connaissances scientifiques, historiques aussi en rapport avec la révolution industrielle (la première avec l’invention de la machine à vapeur et l’exploitation du charbon et la deuxième avec l’apparition du pétrole, de l’électricité puis l’exploration plus poussée de la chimie).

En parallèle de ces interrogations sur les fondements et les transformations de cette Proto-science-fiction en Science-fiction (Proto du grec Protos veut dire premier), je me suis enthousiasmé à rechercher ce fameux texte inabouti de Napoléon Aubin « Mon voyage à la Lune » (1839) dont la filiation avec les autres récits établi unanimement un rapport d’un voyage sur la Lune ; comme l’avait fait avant lui Lucien de Samosate et Cyrano de Bergerac (tout en restant dans le contexte de la satire comme moyen d’expression et de moyen d’usage de la science-fiction pour réprimer et ridiculiser la pensée des autres).

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Je soulignerai que je n’ai aucune envie de m’autoriser à rapporter « la vérité » dans un rappel méthodique par une classification d’œuvres autour des précurseurs de la science-fiction. Aussi loin que l’on puisse aller, au-delà de la frise du temps, les œuvres mythologiques anciennes furent au berceau de ce grand chamboulement de l’imaginaire ; des récits voulant expliquer la création du cosmos (la cosmogonie), jusqu’à l’apparition de la théogonie (création et généalogie des dieux d’une religion polythéiste) en passant par le fantastique médiéval ou le merveilleux scientifique, il est indéniable que les prémices du genre se révèlent complexes.

Napoléon Aubin

(né à Chêne-Bougeries en Suisse le 9 novembre 1812, décédé à Montréal le 12 juin 1890) 

C’est avec une grande affection pour la terre « l’accueillant », au nord de la frontière américaine, qu’il s’installa au Canada en un premier temps, puis au Québec en 1835. S’employant à délivrer des articles pour certains journaux locaux (La Minerve, l’ami du peuple, de l’ordre et des lois, Canadien etc…) avec cette détermination à définir sa pensée politique en tant qu’homme d’opposition, le rédacteur en chef fondera plusieurs journaux et avec celui intitulé « Le fantasque » délivrera son « voyage à la Lune ».
 
Parler de science-fiction avec « la plume acidifiée » voir acerbe de Napoléon Aubin, de cet artiste des mots qui tranche dans son imagination le moyen d’exprimer sa rancœur envers un système politique, peut paraître anecdotique. Pourtant son investissement à vouloir modérer les propos dangereusement extrémistes de ses adversaires, qu’ils soient du côté français ou anglais à l’aube de la rébellion (insurrections de 1837-1838) lui valut quelques soucis d’ordres journalistiques.
 
La publication du « Fantasque » nait à la veille de la Rébellion du bas-Canada (1837) d’où sortira une neutralisation de l’expression politique des « insurgés » et d’une suspension du processus politique officiel. Par ce fait si contraignant, il trouva le moyen de s’exprimer sans se faire censurer. Le satiriste dépeindra ses convictions en s’arrangeant avec les histoires invraisemblables basées sur l’humour, la moquerie se parant d’une imagination débridée, fantastique et science-fictionnelle (mêlant également uchronie et dystopie « joyeuse »). De ce style propre à commenter l’actualité, Napoléon Aubin stabilisera son journal qui survivra aux événements. Il défendit avec ses armes les intérêts des Canadiens Français avec beaucoup d’intelligence malgré la déception d’une victoire du Conseil spécial, ce conseil législatif temporaire dont il voyait à travers leur fonctionnement et de l’application de leur lois (particulièrement l’unification des deux Canadas, Haut et Bas) la destruction du Canada français. Rédigé, imprimé et publié par Napoléon Aubin « Le fantasque » fut le reflet d’une forte personnalité voué à instruire ses idées « terre à terre » par la faculté de manier les mots « imaginaires »
 
« Je n’obéis ni ne commande à personne, je vais ou je veux, je fais ce qui me plait, je vis comme je peux et je meurs quand il le faut. »

Napoléon Aubin en orbite

La publication en 1839 de « Mon voyage à la Lune » ne présente qu’un rapport lunaire, dans le sens où toute justification scientifique est soustraite au récit. On a plutôt affaire à la description méthodique d’un songe éveillé si j’ose dire. Une rêverie particulièrement rebelle où l’imagination de l’auteur se mêle à un choix irrévérencieux de dénoncer une société qui manque de partialité.
 
A l’inverse de Jules Verne avec son diptyque « Autour de la Lune » et d’une spécialisation de la science-fiction avérée par son explication scientifique, Napoléon Aubin marche plutôt dans les pas de Cyrano de Bergerac et des points humoristiques dans son « Histoire comique des états de la Lune » comme arme contre une pensée politique déviante contraire à ses propres valeurs.
 
26 ans séparent l’œuvre de jules Verne de celle du satiriste et de 184 ans de celle de Cyrano de Bergerac.
 
Être véhiculé par un cheval « shooté » par un gaz hilarant et profitant de cette pratique « magique » pour atteindre le plafond céleste prouve le délaissement d’une quelconque cohérence scientifique. Rejoignant les habitants de la Lune afin d’en analyser les us et coutumes, l’auteur Québécois développe sa satire en montrant que les aspects financiers et sociétaux de ces êtres à la peau verte (les cheveux blancs et les yeux rouges), malgré une représentation heureuse par ses habitants assujettis à un système trompeur, est la révélation par effet miroir que les Terriens s’en approche ; malgré leurs airs de supériorités.
 
Entre la morale insidieuse par l’absurdité des lois émises par les gens de Lune et celle de la décision catastrophique d’unifier deux territoires diamétralement opposés sur la planète Terre (Haut-Canada/Bas-Canada), l’auteur fait un parallèle avec la société sous l’emprise Britannique après la chute de la rébellion du Bas-Canada. Pour une sortie d’une crise et de son système de conseil législatif l’auteur grossit à la loupe, grossièrement et avec le sens de la vulgarisation son histoire de « science-fiction » transformée (atrophiée) en pamphlets déguisés.
 
En ce qui concerne Napoléon Aubin et de son journal « le fantasque », l’imagerie d’un apport aux astres n’est que prétexte à observer, par un moyen divertissement, le sarcasme humoristique et corrosif sur le devenir de nos sociétés. Mais à une époque si dangereuse de penser librement que ce fut le seul moyen pour lui de dénoncer sans en avoir l’air, une sorte de « lanceur d’Alerte » comme on les nomme aujourd’hui.
 
« Il est si dangereux maintenant de parler des choses de ce monde que je me vois forcé de m’occuper presque exclusivement des habitants des astres »
 
La charge satirique mène la danse dans cet écrit inachevé « Mon voyage à la Lune ». Entre la façon de vivre des gens de la Lune et les gens de la Terre, d’où l’impression d’une drôle autodérision de celui qui juge de son piédestal sans vraiment regarder. Pour répondre à une censure, le « journal-fiction » a su poser les pierres d’un nouvel édifice, donc précurseur, de ce que l’ironie littéraire au moyen d’une imagination débridée a pu, dans sa phase imaginaire, donner aux origines de la Science-fiction sans l’avoir souhaité.

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