Penelcoto | B.R. Bruss | 1975





Illustration et quatrième de couverture

Penelcoto @ 1975 Fleuve Noir | Illustration de couverture @ René Brantonne | Photo @ J.-M. Archaimbault, scan collection privée
Qui est « le maître sans visage » dont si peu d'hommes, dans l'immense Empire Galactique, connaissent l'existence ?

La « programmation psychique », qui délivre de tout souci dans le travail et de tout souvenir de ce qu'on a fait, est-elle un bien ou un mal ?

Que se passe-t-il sur la planète Norga ? La planète Zernil est-elle un lieu de déportation ?

Que sont les Pros, les Cos ? Et les B 18 ?

C'est ce que voudraient savoir deux jeunes ethnologues, Hart Melmohrt et Elrina Dohufo, qui s'aiment et vont se marier le jour même de leur départ pour Norga avec un important groupe d'études au sein duquel ils sont les seuls à ne pas s'être fait « programmer » – ce qui était leur droit, mais leur vaudra des ennuis.

Des ennuis, ils en auront très vite qui, finalement, deviendront dramatiques car les jeunes époux seront brutalement séparés.

Mais ils iront de surprise en surprise. La plus forte, la plus stupéfiante, sera la dernière...

Fiche de lecture

Vers l’an 2740, la Terre est le monde central d’un vaste empire galactique dont la cohésion et la stabilité semblent bien établies. En réalité, des dissensions et des oppositions existent au niveau même des hautes instances gouvernementales où se heurtent les Pros, adeptes de la « programmation », et les Cos qui lui sont hostiles. Pourtant, bien rares sont les « non programmés » qui choisissent de garder le souvenir de leurs tâches quotidiennes et de les exécuter avec moins d’efficacité que les autres… Difficile de dire s’il s’agit d’une forme d’asservissement des populations, ou d’une sorte de remède à l’ennui et aux erreurs découlant de la routine, ou d’autre chose encore…

Au sein de l’Empire, dont une infime minorité des citoyens prétend qu’il serait dirigé par un mystérieux « maître sans visage », les troubles sont rares. Vers le milieu des années 2710, une « certaine effervescence » sur plusieurs planètes du système des Quatre-Soleils a conduit à isoler trois d’entre elles derrière un écran catyllique. Aujourd’hui, environ trois mois après que ce barrage a été levé, il est jugé pertinent et nécessaire d’aller voir, notamment sur Norga, comment la situation a évolué durant le quart de siècle écoulé et de renouer le contact. Tel est le but de la mission 115, de nature essentiellement ethnologique et sociologique, à laquelle sont affectés Hart et Elrina qui, détail d’importance, ont refusé la « programmation » préalable.

Ce qui les met en état quasi permanent de questionnement et d’interrogation quant à la finalité de l’expédition, à la vérité de ce qui s’est réellement produit jadis sur Norga, et les confronte à une dissimulation savamment orchestrée de faits dont les rares enregistrements accessibles donnent une version plus qu’édulcorée. L’ignorance est entretenue avec soin et ingéniosité, a fortiori sur ce que certains membres de la mission – les B 18 au comportement froid et détaché – accomplissent sur ce monde à l’allure bien tranquille. Et tout pousse à croire qu'ils y sélectionnent une partie de la population pour préparer sa déportation sur une autre planète, Zernil, à la réputation d’enfer mortel…

Bien évidemment, Hart et surtout Elrina, native de Norga que ses parents lui ont fait quitter dès sa naissance, juste avant l’édification de l’écran catyllique, ne vont pas résister à la pression de la curiosité et du besoin de savoir. La disparition de la jeune femme pousse son compagnon à embarquer sur le vaisseau de déportation, dans des conditions a priori très risquées. À l'arrivée, Hart découvrira tout le contraire de ce que disaient les rumeurs. Zernil est un monde paisible et idyllique où, sans courir le moindre danger, il retrouvera très vite Elrina et, avec elle, sera informé en détail du plan à long terme dont ils sont deux des innombrables rouages inconscients – mais non des moindres.

Il y a un peu plus d’un siècle, une épidémie d’ordre psychique s’est déclarée sur cinq ou six planètes d’un secteur galactique, puis propagée à une vingtaine d’autres. Morts subites, suicides, cas de folie, troubles en tous genres, ont été bien plus nombreux que ne le disent les archives officielles. Certes, le phénomène s’est atténué jusqu’à disparaître après une dizaine d’années. Quelque temps avant l’apparition du mystérieux fléau, Surly Pen, un très brillant savant pluridisciplinaire, s’était installé sur Zernil avec ses équipes pour y mener ses recherches dans le calme absolu, à l’écart. Il a déterminé que l’origine du problème devait être une entité non humaine, très probablement d'origine extragalactique, qui aurait échoué quelque part dans la Voie Lactée, et dont les influx mentaux provoquaient les catastrophes observées. Victime d’un terrible accident mais sauvé par ses assistants et intégré à une sorte de superordinateur-robot, Pen est devenu quasi immortel et, reprenant son vrai nom de Penelcoto, s’est vu octroyer le rôle de maître sans visage de l’Empire, omniprésent et omniscient, laissant courir la rumeur selon laquelle Penelcoto ne serait que l’acronyme de Penseur Électronique à Conscience (ou Compétence) Totale.

Il a d’abord découvert que la « programmation » mettait les Humains à l’abri de l’influence destructrice, puis localisé et identifié la créature monstrueuse dénuée d’intelligence qui, de taille planétaire, a essayé d’étendre son contrôle instinctif et aveugle à l’espace environnant. Une menace généralisée, cyclique, responsable de ces agitations, effervescences et tensions qui perturbent l’Empire en y semant le désordre et, à terme, lui seront fatales.

Tout le plan que Penelcoto a échafaudé, et qui aboutira bientôt, consistait à repérer, rassembler puis conduire sur Zernil les individus les plus doués sur le plan de la force psychique. Il s'agissait de constituer et d'entraîner une imparable puissance offensive qui, emmenée par des vaisseaux hypervéloces jusqu’à la planète occupée par le monstre, va être capable de focaliser contre lui toute l’énergie mentale nécessaire à le détruire.

C’est à ce prix que l’Empire pourra retrouver la sérénité et bientôt sortir, une fois pour toutes, de l’ère controversée de la « programmation ».
 
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L’ultime Anticipation de B. R. Bruss (1895-1980, de son vrai nom René Bonnefoy) n’est certes pas le meilleur de sa longue et remarquable contribution à la collection. L’idée sous-jacente du plan à très long terme pour lutter contre une menace insidieuse a déjà été vue ailleurs, il y a peu d’actions marquantes dans le cours de la narration, l’ennemi très caricatural et simpliste est très rapidement éliminé en deux coups de cuillère à pot et quelques lignes finales par un égrégore dont il n’a rien senti de la venue et contre lequel il ne luttera pas un seul instant… Alors, qu’est-ce qui rend ce livre attachant, qu’est-ce qui lui confère un intérêt non négligeable ?

D’abord, ses personnages principaux réunis par l’amour et l’envie irrépressible de savoir, de comprendre. L’empilement de questions, d’énigmes, de mystères et de faux-semblants, ensuite. Plus on avance, plus les fausses pistes se multiplient et les zones d'ombre s'étendent. Des protagonistes à jeu trouble nourrissent une angoisse diffuse, une oppression croissante. Le contraste est frappant avec l’ambiance générale de la Terre puis de Norga où tout est calme et sérénité, où l’on prend son temps pour regarder, ressentir, éprouver, décrire, se poser dans des décors où prédominent les composantes naturelles. S’ajoutent à ces tonalités déstabilisantes les considérations sur l’exercice du pouvoir, sur l’utilisation de moyens discutables pour éviter les dérives comportementales et maintenir l’équilibre d’ensemble, comme cette déportation positive mise en place dans le secret absolu. Et enfin, l’idée du « grand maître sans visage », du gouvernant invisible dont on se demandera jusqu’au bout s’il incarne le Bien ou le Mal, et au nom de quels motifs il a pris la souveraineté.

Ici, comme dans nombre de livres déjà lus, le rôle clef est endossé par un savant exceptionnel, doué dans tous les domaines, omniprésent et omniscient, rendu quasi immortel suite à l’accident qui a failli lui être fatal. Penelcoto, c’est un peu – en moins équivoque – Lavoisseur dans Le monde des à de van Vogt, pour n’en citer qu’un. Dommage que Bruss ait joué assez maladroitement sur son patronyme, le présentant comme l’anagramme d’une I.A. puis parlant de « Surly Pen » et revenant annoncer que « Penelcoto » était en réalité son vrai nom d’origine. Ce détail sonne décalé et tombe quelque peu comme un cheveu sur la soupe.

Sur le thème du pouvoir occulte, Bruss a jadis fait beaucoup plus convaincant, mieux bâti, rythmé, abouti et plus rationnel avec Le mystère des Sups (même collection, n°318 et Hors-Série n°9, avril 1967). Son dernier Anticipation paraît manquer de développement, de rigueur dans la construction, comme s’il s’était pressé pour le mener à terme et le faire entrer dans le format imposé de la collection. Avec cinquante ou cent pages de plus,  le livre serait devenu un incontournable d'Anticipation et de l'auteur. Peut-être celui-ci s'est-il aussi hâté de tourner la page du Fleuve pour pouvoir se consacrer, dans les quatre ans qui lui restaient alors à vivre, à des romans plus élaborés et littéraires. De fait, il y en aura deux, pas davantage, et plutôt exceptionnels (sous le nom de Roger Blondel, « Les fontaines pétrifiantes », Jean-Claude Lattès, 1978 et, signé une dernière fois B. R. Bruss, le surréaliste « Les espaces enchevêtrés », Nouvelles Éditions Oswald, Fantastique - Science-Fiction - Aventures n°4, 1979)…

Dernier point caractéristique du livre, la belle et harmonieuse composition visuelle et chromatique de son illustration de couverture où René Brantonne déploie toute sa palette de coloriste. Un élément qui, chez les anciens tels que nous, a grandement aidé, et aide toujours, à la mémorisation durable et positive.

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