Peur de rien ! | Jean-Marc de Vos | 2022

Par | 18/12/2022 | Lu 233 fois




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Montage @ 2022 Le Galion des Etoiles | Peur de rien, une nouvelle de Jean-Marc De Vos extrait du recueil "La dernière machine"
"Peur de rien !" est une petite nouvelle que je vous propose de découvrir ci-dessous. Elle est issue de mon recueil de nouvelles "La dernière Machine".
 

"Peur de rien !" fut ma première participation à un concours de nouvelles.

Le thème : Phobie.

Contrainte : entre 3.000 et 5.000 caractères, un peu plus de deux pages A4 !

Pour contenir l’histoire dans un espace aussi réduit, il fallut y aller au chausse-pied. N’y cherchez donc pas trop de détails ou d’analyse, vous allez être déçu.

Un texte léger, sans prétention, l’idéal pour une mise en bouche…

Bonne lecture !


Peur de rien !

— Écoutez mon p’tit gars, je me fiche de savoir pour qui vous vous prenez, pour quel service vous travaillez et même de qui vous pensez tenir votre autorité. Je suis le général Paterson, vous entendez : Gé-né-ral. Commandant du corps des Marines des États-Unis. Donc, votre « secret défense », vous pouvez vous le carrer dans le fion ! Donnez-moi la raison de vous fournir cet homme ou cassez-vous !
Garry n’avait plus le choix, l’officier ne céderait pas. Il lui raconta alors l’histoire la plus incroyable que celui-ci ait jamais entendue…
 
— Voici un an, le radiotélescope d’Arecibo a perçu un signal radio en provenance de Sirius, à plus de neuf années-lumière, envoyé par une entité intelligente, les Chtarrouk. Ils annonçaient avoir capté nos émissions, souhaitaient entrer en contact, ne nourrissaient que des intentions amicales, et bla-bla. Venons-en à l’essentiel : du fait de la distance, afin d’éviter dans nos conversations un silence de dix-neuf ans entre une question et sa réponse, ils proposèrent un « échange de conscience » basé sur un céphalotransmetteur dont ils avaient fourni les plans. L’engin devait permettre à l’esprit d’un Humain, sur Terre, d’occuper celui d’un Chtarrouk là-bas, et réciproquement. Chaque émissaire discuterait ainsi directement avec les représentants de l’autre peuple. Après un an, chacun rejoindrait sa propre tête et rapporterait tout ce qu’il avait vu, appris, etc.
— En quoi cela concerne-t-il les Marines ? Vous avez besoin de scientifiques, pas de soldats.
— J’y viens, Général. La méthode révéla un problème de taille : le transfert de conscience vers l’hôte restait soumis à la limite de la vitesse-lumière, d’où un voyage de presque une dizaine d’années dans le vide absolu, coupé de toute perception sensorielle. Et autant pour le retour.
— Je vois, nous avons déjà torturé des gens avec cette méthode, ils devenaient dingos au bout de trois jours ! Alors, dix ans, deux fois…
— Vous avez mis le doigt dessus. Selon nos psychologues, la perte de raison résulte en grande partie des craintes et des phobies qui, dans un tel environnement, finissent par prendre l’apparence du réel. Par contre, un être dépourvu de peur traverserait cette épreuve sans le moindre dommage.
— Et vous avez pensé que le corps des Marines des États-Unis abritait cette perle rare. Pour sûr, des gars avec des couilles, on en a ! Vous avez frappé à la bonne porte. Donnez-moi deux jours !
 
Le surlendemain Garry retrouva le général. À ses côtés, au garde-à-vous, se tenait une carcasse haute de deux mètres, fruit d’un improbable accouplement entre une ourse kodiak et un coureur des bois.
— Laissez-moi vous présenter le sergent Goliath Pershing, le militaire toujours en vie le plus décoré des États-Unis. Sergent, de quoi avez-vous peur ?
L’homme bomba le torse, se tendit et gagna encore quelques centimètres.
— De rien, mon Général ! aboya-t-il.
— Sergent, que craignez-vous ?
— Rien, mon Général !
— Sergent, quel est l’objet de votre pire phobie ?
— Rien, mon Général !
Paterson se tourna vers Garry, exhibant un sourire de vainqueur.
— Alors, satisfait ?
— Il se montre très… affirmatif. Mais à part ses dires ?
— Ses états de service ne laissent aucune place au doute. Il a tout enduré : les blessures, la noyade, la torture, la faim. Il a tué un requin à mains nues et mangé des mygales vivantes. Aucune de ces épreuves n’a atteint son mental. S’il existe un homme sur cette Terre que rien n’impressionne, il se tient devant vous !
 
Trois jours plus tard, les techniciens s’affairaient à installer Goliath dans le céphalo-transmetteur. Au moment de poser le casque sur sa tête, Garry s’adressa à lui une dernière fois :
— Sergent, de quoi avez-vous peur ?
— De rien, Monsieur ! répondit Goliath en riant.
— Rendez-vous dans vingt ans, Sergent !

***

Garry avait vieilli au cours des deux dernières décennies, il avait quitté la vie active. Son ancien service l’invita toutefois à assister au retour de conscience de Goliath Pershing, le premier homme à avoir établi un contact hors du système solaire ! Dieu seul savait quelles connaissances et révélations il ramenait.
À l’heure dite, Goliath ouvrit les yeux. Une seconde plus tard, il hurla !
Un hurlement que jamais aucun humain n’avait entendu, un cri d’horreur refoulé depuis vingt ans qui paraissait ne jamais devoir s’arrêter. Le docteur se précipita sur lui, lui injecta un sédatif. Goliath perdit conscience.

***

— Allons, Garry, ne restez pas là ! Vous vous faites du mal. Vous ne devriez plus venir, il ne vous reconnaît pas.
Le médecin de la clinique psychiatrique se tenait derrière lui, bienveillant, la main posée sur son épaule. Garry, le front collé contre la vitre de la chambre, regardait Goliath, prostré, assis par terre dans un coin, un filet de bave à la commissure des lèvres.
— Nous sommes responsables de son état, j’aurais dû le prévoir, il nous l’avait dit !
— Comment ça ?
— Sa réponse n’a jamais changé chaque fois que nous lui demandions de quoi il avait peur : « de rien, mon Général ! »
— Oui, et alors ?
— Alors ? Pendant vingt ans, dans le vide de l’espace, nous l’avons condamné à l’enfermement avec sa seule phobie : rien !

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