Planète à Gogos | The Space Merchants | C. M. Kornbluth, Frederik Pohl | 1953

Par | 28/07/2021 | Lu 631 fois




Illustration et quatrième de couverture

Planète à Gogos @ 1958 Hachette/Gallimard, Le Rayon Fantastique
Il y a bien longtemps que la Terre n'est plus gouvernée par les politiciens mais par les publicitaires. À coups d'annonces directes sur la rétine ou de pin-up en trois dimensions qui vous susurrent des slogans à l'oreille. Et qu'importe si notre planète est polluée jusqu'à l'os ! Seul problème : l'espace. Où loger les consommateurs nécessaires ? Sur Vénus ! Il suffit de les persuader que l'existence y est délicieuse. Ce à quoi s'emploie Mitchell Courtenay. Jusqu'au jour où une agence rivale tente de l'éliminer en toute illégalité — c'est-à-dire sans notification de meurtre préalable — et ébranle du même coup ses certitudes...

Fiche de lecture

Ecrit alors que l’économie américaine était en plein essor, que les miracles de la technique – alliés à sa suprématie – ouvraient grandes les portes de la consommation effrénée à ses citoyens, ce livre est comme une fausse note dans le concert merveilleux du mercantilisme triomphant.

Ce récit, ou plus exactement ce pamphlet, réalisé à quatre mains, met en avant le courage et la lucidité des auteurs, lancés à contre courant des étincelantes aventures interstellaires de l’époque. Tout y est : la pollution, la surpopulation, le gaspillage, l’exploitation forcenée de la main d’œuvre, l’avidité sans limite des possédants, la corruption des pouvoirs publics, la fuite en avant de l’humanité. On peut rapprocher cet ouvrage d’un titre comme 1984, où le totalitarisme ici dénoncé découle d’une évolution à la fois terrible et logique du capitalisme.

L’action se déroule dans un futur distant de quelques siècles, où subsistent deux catégories d’individus : les publicistes et les consommateurs. Les premiers imposent leur loi aux industries et achètent les politiques. Réunis en cartels concurrents qui se livrent parfois à la guerre en décimant légalement leurs employés réciproques, les grandes maisons de publicité n’ont d’autre objet social que de manipuler la masse des consommateurs, abrutis par une nourriture synthétique bourrée d’alcaloïdes et un bourrage de crâne ininterrompu. Travailler revient ainsi à tomber en esclavage, puisque tout est conçu pour piéger le malheureux qui n’a pas d’autre choix pour survivre. Tout est calculé pour accélérer sa dépendance ; le crédit facile accumule les dettes et le lie pieds et mains à son employeur. Appartenant de fait à l’entreprise qui l’exploite, l’employé peut voir, sans qu’il ait son mot à dire, son contrat de travail passer de main en main au gré des relations commerciales entre entreprises, et être contraint, sans appel, d'éxécuter les tâches les plus avilissantes.

Ce monde riant, qui pouvait paraître utopique à l’aube des années cinquante, est aujourd’hui d’une certaine actualité. Pourtant les auteurs ont voulu que l’espoir demeure, avec l’existence de groupuscules clandestins, les « consers » qui prônent ce que l’on désigne de nos jours sous le terme de décroissance : le retour à la raison et à une certaine forme d’humilité

La planète à gogos, c’est Vénus, nouveau terrain ouvert aux ambitions commerciales des terriens. Peu importe que cette planète soit inhospitalière et n’abrite pas la vie, pourvu que les affaires marchent. Aux publicistes de convaincre la populace d’y aller, à elle de trouver des solutions pour rendre habitable cet enfer et l’exploiter à outrance.

Les «consers» pourront-ils saisir leur chance et y établir un monde meilleur ? C’est tout le sujet de ce livre exceptionnel, une des pépites de la mythique collection du «Rayon Fantastique».

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Illustration du roman @ nooSFere

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