Semailles humaines | The Seedling Stars | James Blish | 1957



GALAXIE-BIS n°6, 02/1968
J’AI LU Science-Fiction n°752, 05/1977, 02/1986, 03/1993
FOLIO S.-F. 248, 05/2006
Traduction par Michel Deutsch de « The Seedling Stars », première édition GNOME PRESS, 1957 (hardcover)



Semailles humaines @ 1968 Galaxie Bis | Illustration de couverture @ Bruce Wayne | Photo @ J.-M. Archaimbault, scan collection privée
Fix up de quatre nouvelles révisées, initialement parues en magazines dans l’ordre suivant :

« Surface Tension », Galaxy Science-Fiction, 08/1952 (avec ajout d’éléments tirés de la nouvelle « Sunken Universe », Super Science Stories, 1942), 3ème partie de la V.F. sous le titre « Hydrot »

« The Thing in the Attic », IF, 07/1954, 2ème partie de la V.F. sous le titre « Tellura »

« Watershed », IF, 05/1955, 4ème partie de la V.F. sous le titre « Ligne de Partage »

« Seeding Program », The Magazine of Fantasy and Science-Fiction, 02/1956, 1ère partie de la V.F. sous le titre « Le Programme », déjà parue sous le titre « Survivance » dans Fiction n°45, 08/1957.

Fiche de lecture

Le Programme

XXIIIe ou XXIVe siècle (non précisé) : la pantropie ou « métamorphose idéale » est un ensemble de processus longs et compliqués permettant de faire muter, génération après génération, toutes les cellules du corps humain afin de le rendre capable de vivre dans n’importe quel environnement, même le plus inhospitalier. C’est la solution la plus astucieuse et économique pour coloniser des planètes autres que la Terre, dans le Système Solaire ou hors de celui-ci. Plus besoin de terraformation ni de cités sous globe : façonné selon les contingences du monde à occuper, l’Homme Adapté supportera toutes les conditions ambiantes de température, de pesanteur, de pression, d’éclairement, de milieu, d’atmosphère, de présence ou d’absence de surface solide…

Menées dans un complexe lunaire très sophistiqué, les premières expérimentations ont abouti à une population apte à s’installer sur Ganymède. Mais ce succès initial de la pantropie a suscité l’opposition de l’Autorité, le non-gouvernement terrestre qui régule la totalité des transports, échanges, douanes, taxes… Une grosse partie de ses entrées financières vient des droits acquittés par les usagers des ports spatiaux et des liaisons conventionnelles entre mondes colonisés. Or, les Hommes Adaptés seraient trop rapidement autonomes, indépendants, sans besoin de norias de ravitaillement ni de matériel. À cause du manque à gagner qui en résulterait, le Projet dirigé par le docteur Rullmann a donc été déclaré comme suspendu. Mais le savant et ses « créatures » ont réussi à fuir et à se réfugier sur Ganymède juste avant que le bras armé de l’Autorité ne frappe pour les éliminer. Depuis lors, nul ne sait ce qui se trame sur le satellite de Jupiter, quelles recherches poursuit Rullmann, quelle menace couve là-bas.

C’est pourquoi Donald Sweeney a été adapté, dans les laboratoires lunaires préservés en grand secret, et conditionné en vue d’une mission d’infiltration dans la colonie de Ganymède. L’objectif est de ramener sur Terre Rullmann et sa troupe de « monstres » afin qu’ils subissent la transformation inverse et redeviennent humains, ce dont Sweeney bénéficiera lui aussi en paiement de son intervention. Il va cependant découvrir que le processus est impossible et rallier la cause des Adaptés, orchestrant la destruction simulée de leur base juste avant que n’arrivent les vaisseaux de rapatriement et les unités de guerre devant ensuite raser le complexe. Grâce à la trahison de Sweeney envers l'Autorité, le Projet sera sauvé car le « navire de survivance » emportant des enfants adaptés aura eu le temps de décoller et de s’éloigner vers six lointaines planètes, toutes différentes, où le Programme d’implantation d’Humains modifiés pourra se dérouler pour, un jour, donner à la Terre la clef des étoiles.
 
Tellura

Quelques millénaires plus tard, les Adaptés de Tellura, satellite de l’étoile double Spica, vivent dans la canopée d’une forêt primitive. Toute leur existence obéit au Livre des Lois jadis écrit par les Géants qui les ont installés dans les hauteurs de ce monde à la surface hostile, peuplée de démons redoutables et monstrueux. Parmi les arboricoles, il y en a qui doutent et n’hésitent pas à clamer que les Géants sont une légende, qu’il faut s’affranchir de la croyance et de lois réductrices. Ainsi Honath le Faiseur de Bourses et Mathild la Fourrageuse, que leur hérésie condamne à l’exil en Enfer avec trois autres révoltés.

Après des jours de fuite vers une région montagneuse, la confrontation à de terrifiants périls et une âpre lutte pour survivre, Honath et Mathild atteindront leur but et se retrouveront face aux Géants, revenus sur Tellura afin de surveiller l’évolution des Adaptés locaux. Loin de punir les deux incroyants pour avoir transgressé leurs lois, les Humains feront d’eux les guides de leur peuple pour la conquête de la surface. Car tel était ici le schéma du Programme d’Ensemencement, qui s’avère un succès total.
 
Hydrot

Sous les rayons de Tau Ceti, Hydrot est une planète-océan dotée d’un unique et minuscule continent presque entièrement marécageux. Un navire du Programme y a fait naufrage, réussissant à se poser sur le seul promontoire rocheux qui émerge des lacs et bourbiers environnants. Les banques germinales du vaisseau ont été détruites, aucun contact n’est possible avec quelque autre unité que ce soit parmi les centaines de nefs ensemenceuses sillonnant ce secteur de la Galaxie. Le docteur Chatvieux et ses six équipiers sont condamnés à l’échec de leur mission et à l’oubli dans ce cimetière marin. Et pourtant, ils ne mourront pas complètement… Grâce à la pantropie, ils vont engendrer à partir de leurs propres cellules de minuscules créatures parfaitement adaptées à la vie dans les eaux douces d’Hydrot, des êtres doués de conscience, d’intelligence, d’un fort potentiel d’évolution, capables de s’entendre avec des protozoaires peuplant déjà le milieu et de lutter contre d’autres espèces hostiles, comme les Rotifères dévorants.

Bien plus tard, dans la mare où ils se sont développés, près de deux cents Adaptés d’origine humaine conduisent des multitudes de Protos au combat contre les Dicranes prédatrices, les éliminent et s’installent durablement dans leur forteresse solide. Puis Lavon, le plus audacieux des transformés, s’aventure par hasard au-dessus du « ciel », dans un domaine où ses semblables ne peuvent vivre. Peu à peu, les Adaptés d’Hydrot décryptent en partie le sens des textes gravés sur les plaques historiques laissées par ceux qui les ont créés, apprennent quelle est leur origine céleste, et construisent le premier engin qui leur permettra de quitter les profondeurs aquatiques. Bien à l’abri dans ce vaisseau de bois rendu totalement étanche, ils vont émerger à la surface, découvrir la terre ferme, voir pour la première fois le ciel, le soleil, la nuit et les étoiles, appréhender la réalité de l’Univers. Peu après, ils rejoindront une mare voisine où ils rencontreront d’autres Adaptés et pourront les aider dans leur combat contre les Dévorants.
 
Ligne de partage

Dans un futur encore plus lointain où des milliers de planètes ont été ensemencées par des Adaptés de tous les types possibles, une expédition venue d’Altaïr s’approche d’un monde solitaire, dépeuplé, désertifié et bouleversé par ce que lui a infligé son espèce intelligente dominante. Le but est d’y débarquer un contingent d’hommes-phoques aptes à survivre dans un environnement hostile aux Humains, mais qui ne leur est pas totalement interdit. Ainsi débute la première étape du retour de l’Homme à sa planète natale, la Terre…

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L’ordre de lecture proposé dans ce livre ne suit donc pas la chronologie des dates de parution originale des quatre nouvelles mais celle de cette histoire du futur, petite en apparence mais vaste et riche dans ses perspectives et ses implications. Une fois les bases et le contexte scientifico-politique posés, d’une manière classique et efficace, dans un texte que Blish a écrit après les trois autres et qui fournit son unité dramatique à l’ensemble, deux visites à des mondes exotiques sont évoquées avec un degré d’étrangeté croissant. La sylve primitive de Tellura offre son lot de bonnes surprises, avec des personnages centraux attachants, mais les plus grandes nous attendent dans les eaux douces d’Hydrot où l’auteur nous transporte véritablement ailleurs. Certes, l’adaptation d’Humains à une taille microscopique (au maximum un quart de millimètre) avec conservation morphologique d’ensemble et préservation du potentiel intellectuel peut paraître improbable sinon impossible. Néanmoins, il est aisé de se laisser prendre à la narration et de visualiser ce qui se déroule dans une mare où grouille déjà une vie organique intense. Dans ces deux récits où Blish ne se perd pas dans les détails en matière de descriptions mais donne l’essentiel et laisse souvent le lecteur voir à sa guise, c’est avant tout le processus d’évolution et de refus des règles ou contingences arbitraires qui compte. Pour avancer, il faut se rebeller et dénoncer les dogmes. Enfin, le dernier texte, très court, constitue une sorte de synthèse de l’ensemble et rappelle les principes à retenir de cette expansion galactique.
« (La pantropie) a permis à l’Homme de conquérir des milliers de planètes qui, sans elle, lui seraient demeurées fermées. Elle a accru dans des proportions considérables nos chances de devenir les maîtres de la Galaxie, de l’occuper dans sa quasi-totalité sans voler une seule planète à quiconque. Une occupation sans expropriation – et sans effusion de sang (…) » (p.215 de l’édition J’Ai Lu).

Le message principal est clair : nous sommes à des années-lumière de Pandora ! Et une adaptation cinématographique de « Semailles Humaines » aurait été, à mon avis, bien plus originale et percutante, en termes de scénario, que les variations rebattues proposées par la série des « Avatar »…

Enfin, dans les dernières pages, l’auteur pose aussi la problématique de l’égalité par-delà les différences. Alors que le type humain de base se considère toujours comme supérieur, la pantropie lui prouve qu’il ne peut rivaliser avec les Adaptés et doit les accepter comme des hommes à part entière, égaux à lui-même et en rien inférieurs à cause de leurs morphologies étrangères qui les écartent en apparence de ceux qui les ont fait naître. Car, avant tout, c’est l’esprit qui prévaut en tant qu’apanage de l’espèce.

Une leçon à méditer, toujours plus actuelle…
 
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Pour l’anecdote, j’ai lu « Semailles Humaines » à sa sortie en Galaxie Bis en 1968 (j’avais à peine neuf ans et je n’ai pas tout compris, loin de là, mais cela m’avait fasciné…). Puis, aux États-Unis en juillet 1974, j’ai acheté l’édition Signet de 1973 et l’ai lue dans la foulée. Malgré le petit obstacle de la langue, c’est devenu beaucoup plus clair ! La relecture récente de la V.F., pour rédiger cette note et mieux expliquer ma déception lorsque j’ai découvert que le premier « Avatar » n’était pas du tout une adaptation de ce livre, m’a conforté dans la pertinence de classer « Semailles Humaines » parmi les incontournables intemporels de la S.F. classique.

J’ai trouvé l’édition Signet de 1959 sur un marché d’été, ici, dans le Sud-Ouest, et l’ai acheté pour simple cause de collectionnite…
Signet/New American Library, 1959, illustration de Paul Lehr | Signet/New American Library, 1973, illustration de Vincent di Fate ou Dean Ellis | Photo montage @ J.-M. Archaimbault, scans collection privée

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