Six années dans ma très longue vie...

Par | 11/08/2024 | Lu 676 fois


Si je suis mondialement connu, pratiquement tout le monde a oublié comment je suis arrivé là. Avec mes 23 mètres et 230 tonnes, mon arrivée ici est le résultat d'une prouesse technique haute en couleur pour l'époque.

Sous la proposition de Christobal Columbus du Galion des Etoiles, je vais vous raconter mon histoire.

Non, je ne suis pas un bateau mais je suis lié à tout jamais au navire qui m'a amené ici...



Vue de l'abattage de l'obélisque dans Campagne du Luxor (1835). Estampe, 1831, Léon de Joannis © A. Fux Musée national de la Marine | Source : Par Leon de Joannis — © A. Fux Musée national de la Marine, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=68253714

L'obélisque de Louxor, place de la Concorde, Paris | Source photo : Par Dennis Jarvis from Halifax, Canada — France-000122 - Luxor Obelisk, CC BY-SA 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=34808462
Bien le bonjour à vous chers lecteurs ! Je me présente : je suis l'obélisque de Louxor et je trône fièrement depuis près de deux siècles sur la Place de la Concorde à Paris.
 
Ma naissance date d'il y a bien longtemps, 1250 ans avant "votre ère" - comme vous dites - et j'ai été construit à l'initiative du pharaon Ramsès II en Egypte. Eh oui, vous l'imaginez bien, cela me fait presque 3300 ans au compteur.
 
J'ai été offert en cadeau au roi de France Charles X en 1830 par le vice-roi d'Egypte Méhémet Ali en guise de bonne entente entre nos pays respectifs. Jusque-là, mon frère jumeau et moi étions fièrement dressés depuis tant de siècles de chaque côté de l'entrée du temple d'Amon à Louxor. Cette décision de m'offrir en cadeau aura changé ma destinée et engendré un travail de titan pour effectuer mon déplacement.
 
Comme je vous l'ai dit, je suis lié à tout jamais à un navire qui fut construit uniquement pour moi. C'est d'un bateau très particulier dont je vais vous parler. Bienvenue à bord du Louxor !
 
Tout d'abord, il a fallu bien penser à ce que ce navire allait devoir affronter et donc, voici dans l'ordre son périple :
 
- La mer Méditerranée
- Le Nil en Egypte
- La mer Méditerranée
- L'océan Atlantique
- Et enfin la Seine jusqu'à Paris
 
Tout cela avec à son bord un bloc de granit de 230 tonnes et des hauteurs de fonds très réduits pour la Seine et le Nil, ce qui engendre donc un tirant d'eau minime et un problème identique pour son tirant d'air pour les passages des ponts surplombant la Seine.
 
Deux ingénieurs furent chargés de l'étude de cette merveille maritime : Jean Tupinier et Apollinaire Lebas. Ces deux génies parviendront à créer un navire de 9 m de large permettant le passage entre les pilasses des ponts, 43 mètres de longueur le tout construit sur une coque plate renforcée par cinq quilles. Les bateaux traditionnels n'ont qu'une seule quille.

Le Louxor était aussi un navire à trois mâts ! Ceux-ci avaient dû être surélevés pour laisser le maximum de place pour le précieux chargement que j'étais.

Justement, pour assurer ce précieux trésor ancestral, le Louxor avait été escorté par le Sphinx, un navire à voiles et roues. Grâce à sa propulsion à vapeur, il a pu remorquer ce navire très spécial qui - équipé de simples voiles - n'était pas prévu pour les vents de travers ni la navigation sur fleuve.
 
Lancé le 26 juillet 1830, le Louxor a pris le large pour l'Egypte au printemps 1831 pour arriver à Louxor en août. Quatre mois ont alors été nécessaires à mon "abattage" en toute propreté et délicatesse. Un canal creusé par 300 fellahs (paysans) a permis mon déplacement de mon temple jusqu'à mon fameux navire. Je n'avais plus bougé depuis trois millénaires, vous vous rendez compte ?!! Comment sont-ils parvenus à me faire entrer dans mon embarcation ?? Hé bien là est l'un des nombreux éléments qui font de ma présence en France une véritable prouesse humaine et technologique ! Ils ont scié la proue du Louxor, m'y ont fait entrer et l'on replacée et recolmatée pour mon voyage maritime ! Ainsi le Louxor était de devenu sans le savoir le tout premier navire de type "Car-ferries" ou des "Ro-Ro" à proue amovible ! (note de Christobal Columbus : Ro-Ro = Roll-on/Roll-off transporteur de véhicules)
 
Une fois à l'intérieur de MON bateau rien qu'à moi, je n'étais néanmoins pas pressé de quitter mon pays et il faut croire que le Nil ne voulait pas non plus que je le quitte : huit mois d'attente ont été nécessaires pour que le Louxor puisse profiter de la crue du gigantesque fleuve pour pouvoir repartir ! Nous étions alors en août 1832 lorsque je suis enfin parti.

À la suite de tempêtes et des bancs de sable du Nil, je n'ai pu quitter le port d'Alexandrie que le 1er avril 1833 en direction de mon nouveau pays, la France.

Ayant fait escale à Toulon le 11 mai 1833 (lieu de naissance de mon bateau), je suis arrivé à Paris grâce à mon fidèle escorteur-remorqueur le Sphinx le 23 décembre 1833 ! Déjà presque deux ans de mission pour le Louxor.

A gauche : le Louxor | A droite : le Sphinx et le Louxor en remorque | Illustrations : Bateaux.com, magazine de la plaisance (merci !) https://www.bateaux.com | Montage @ Le Galion des Etoiles

A gauche : la proue du Louxor découpée pour laisser entrer l'obélisque | A droite : Le chargement du Louxor | Illustrations : Bateaux.com, magazine de la plaisance (merci !) https://www.bateaux.com | Montage @ Le Galion des Etoiles
La fin du XVIIIè siècle et le début du XIXè sont une période de grands bouleversements pour la France et ses alentours. Si les Belges se révoltaient pour leur indépendance en boutant les Hollandais hors de leur frontière en juillet 1830, en France était l'heure pratiquement au même moment d'une nouvelle révolution parisienne appelée "Les trois Glorieuses". Cette révolution qui a duré trois jours avait causé l'abdication du Roi Charles X.

Dans toute cette agitation, je n'étais donc plus une priorité et je n'ai donc été érigé sur la Place de la Concorde que le 25 juin 1836 sous le règne de Louis-Philippe Ier - se faisant appeler "Roi des Français" - qui, par peur du ridicule en cas d'échec de mon placement, avait assisté à l'évènement en restant à l'écart, à partir des fenêtres de l'hôtel de la Marine.
 
Entre mon déchargement et ma mise en place, mon bateau le Louxor a de nouveau été sollicité en 1835 pour aller chercher mon futur piédestal composé de cinq blocs de granit dans le Finistère en Bretagne. Sa proue avait de nouveau été sciée, enlevée, replacée et recolmatée telle qu'elle le fût pour moi. Je n'ai ensuite jamais plus entendu parler de mon navire. Certainement que celui-ci, fait en "bois blanc" et non en bon chêne, n'était pas fait pour continuer d'autres services maritimes...
 
Si mon orientation originelle a été décalée de 90° lors de mon placement (ma face Est s'est retrouvée au Nord), j'ai d'autres nombreuses particularités que je vous invite à découvrir dans ce monde étrange que vous appelez le "Net" où toute l'Histoire en général y est répertoriée.

Vous apprendrez ainsi que mon frère jumeau, prévu aussi pour faire le même voyage, n'est jamais venu me retrouver en France en raison d'un périple trop coûteux.

Je vous invite vivement aussi à venir me voir en personne, vous découvrirez, gravées sur mon socle de granit, les dernières traces de mon bateau que je regrette tant...

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