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Récits maritimes

        

Six années dans ma très longue vie...


Une fiche ajoutée dans nos cales par | 11/08/2024 | Lu 584 fois




Si je suis mondialement connu, pratiquement tout le monde a oublié comment je suis arrivé là. Avec mes 23 mètres et 230 tonnes, mon arrivée ici est le résultat d'une prouesse technique haute en couleur pour l'époque.

Sous la proposition de Christobal Columbus du Galion des Etoiles, je vais vous raconter mon histoire.

Non, je ne suis pas un bateau mais je suis lié à tout jamais au navire qui m'a amené ici...



Vue de l'abattage de l'obélisque dans Campagne du Luxor (1835). Estampe, 1831, Léon de Joannis © A. Fux Musée national de la Marine | Source : Par Leon de Joannis — © A. Fux Musée national de la Marine, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=68253714
Vue de l'abattage de l'obélisque dans Campagne du Luxor (1835). Estampe, 1831, Léon de Joannis © A. Fux Musée national de la Marine | Source : Par Leon de Joannis — © A. Fux Musée national de la Marine, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=68253714

L'obélisque de Louxor, place de la Concorde, Paris | Source photo : Par Dennis Jarvis from Halifax, Canada — France-000122 - Luxor Obelisk, CC BY-SA 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=34808462
L'obélisque de Louxor, place de la Concorde, Paris | Source photo : Par Dennis Jarvis from Halifax, Canada — France-000122 - Luxor Obelisk, CC BY-SA 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=34808462
Bien le bonjour à vous chers lecteurs ! Je me présente : je suis l'obélisque de Louxor et je trône fièrement depuis près de deux siècles sur la Place de la Concorde à Paris.
 
Ma naissance date d'il y a bien longtemps, 1250 ans avant "votre ère" - comme vous dites - et j'ai été construit à l'initiative du pharaon Ramsès II en Egypte. Eh oui, vous l'imaginez bien, cela me fait presque 3300 ans au compteur.
 
J'ai été offert en cadeau au roi de France Charles X en 1830 par le vice-roi d'Egypte Méhémet Ali en guise de bonne entente entre nos pays respectifs. Jusque-là, mon frère jumeau et moi étions fièrement dressés depuis tant de siècles de chaque côté de l'entrée du temple d'Amon à Louxor. Cette décision de m'offrir en cadeau aura changé ma destinée et engendré un travail de titan pour effectuer mon déplacement.
 
Comme je vous l'ai dit, je suis lié à tout jamais à un navire qui fut construit uniquement pour moi. C'est d'un bateau très particulier dont je vais vous parler. Bienvenue à bord du Louxor !
 
Tout d'abord, il a fallu bien penser à ce que ce navire allait devoir affronter et donc, voici dans l'ordre son périple :
 
- La mer Méditerranée
- Le Nil en Egypte
- La mer Méditerranée
- L'océan Atlantique
- Et enfin la Seine jusqu'à Paris
 
Tout cela avec à son bord un bloc de granit de 230 tonnes et des hauteurs de fonds très réduits pour la Seine et le Nil, ce qui engendre donc un tirant d'eau minime et un problème identique pour son tirant d'air pour les passages des ponts surplombant la Seine.
 
Deux ingénieurs furent chargés de l'étude de cette merveille maritime : Jean Tupinier et Apollinaire Lebas. Ces deux génies parviendront à créer un navire de 9 m de large permettant le passage entre les pilasses des ponts, 43 mètres de longueur le tout construit sur une coque plate renforcée par cinq quilles. Les bateaux traditionnels n'ont qu'une seule quille.

Le Louxor était aussi un navire à trois mâts ! Ceux-ci avaient dû être surélevés pour laisser le maximum de place pour le précieux chargement que j'étais.

Justement, pour assurer ce précieux trésor ancestral, le Louxor avait été escorté par le Sphinx, un navire à voiles et roues. Grâce à sa propulsion à vapeur, il a pu remorquer ce navire très spécial qui - équipé de simples voiles - n'était pas prévu pour les vents de travers ni la navigation sur fleuve.
 
Lancé le 26 juillet 1830, le Louxor a pris le large pour l'Egypte au printemps 1831 pour arriver à Louxor en août. Quatre mois ont alors été nécessaires à mon "abattage" en toute propreté et délicatesse. Un canal creusé par 300 fellahs (paysans) a permis mon déplacement de mon temple jusqu'à mon fameux navire. Je n'avais plus bougé depuis trois millénaires, vous vous rendez compte ?!! Comment sont-ils parvenus à me faire entrer dans mon embarcation ?? Hé bien là est l'un des nombreux éléments qui font de ma présence en France une véritable prouesse humaine et technologique ! Ils ont scié la proue du Louxor, m'y ont fait entrer et l'on replacée et recolmatée pour mon voyage maritime ! Ainsi le Louxor était de devenu sans le savoir le tout premier navire de type "Car-ferries" ou des "Ro-Ro" à proue amovible ! (note de Christobal Columbus : Ro-Ro = Roll-on/Roll-off transporteur de véhicules)
 
Une fois à l'intérieur de MON bateau rien qu'à moi, je n'étais néanmoins pas pressé de quitter mon pays et il faut croire que le Nil ne voulait pas non plus que je le quitte : huit mois d'attente ont été nécessaires pour que le Louxor puisse profiter de la crue du gigantesque fleuve pour pouvoir repartir ! Nous étions alors en août 1832 lorsque je suis enfin parti.

À la suite de tempêtes et des bancs de sable du Nil, je n'ai pu quitter le port d'Alexandrie que le 1er avril 1833 en direction de mon nouveau pays, la France.

Ayant fait escale à Toulon le 11 mai 1833 (lieu de naissance de mon bateau), je suis arrivé à Paris grâce à mon fidèle escorteur-remorqueur le Sphinx le 23 décembre 1833 ! Déjà presque deux ans de mission pour le Louxor.

A gauche : le Louxor | A droite : le Sphinx et le Louxor en remorque | Illustrations : Bateaux.com, magazine de la plaisance (merci !) https://www.bateaux.com | Montage @ Le Galion des Etoiles
A gauche : le Louxor | A droite : le Sphinx et le Louxor en remorque | Illustrations : Bateaux.com, magazine de la plaisance (merci !) https://www.bateaux.com | Montage @ Le Galion des Etoiles

A gauche : la proue du Louxor découpée pour laisser entrer l'obélisque | A droite : Le chargement du Louxor | Illustrations : Bateaux.com, magazine de la plaisance (merci !) https://www.bateaux.com | Montage @ Le Galion des Etoiles
A gauche : la proue du Louxor découpée pour laisser entrer l'obélisque | A droite : Le chargement du Louxor | Illustrations : Bateaux.com, magazine de la plaisance (merci !) https://www.bateaux.com | Montage @ Le Galion des Etoiles
La fin du XVIIIè siècle et le début du XIXè sont une période de grands bouleversements pour la France et ses alentours. Si les Belges se révoltaient pour leur indépendance en boutant les Hollandais hors de leur frontière en juillet 1830, en France était l'heure pratiquement au même moment d'une nouvelle révolution parisienne appelée "Les trois Glorieuses". Cette révolution qui a duré trois jours avait causé l'abdication du Roi Charles X.

Dans toute cette agitation, je n'étais donc plus une priorité et je n'ai donc été érigé sur la Place de la Concorde que le 25 juin 1836 sous le règne de Louis-Philippe Ier - se faisant appeler "Roi des Français" - qui, par peur du ridicule en cas d'échec de mon placement, avait assisté à l'évènement en restant à l'écart, à partir des fenêtres de l'hôtel de la Marine.
 
Entre mon déchargement et ma mise en place, mon bateau le Louxor a de nouveau été sollicité en 1835 pour aller chercher mon futur piédestal composé de cinq blocs de granit dans le Finistère en Bretagne. Sa proue avait de nouveau été sciée, enlevée, replacée et recolmatée telle qu'elle le fût pour moi. Je n'ai ensuite jamais plus entendu parler de mon navire. Certainement que celui-ci, fait en "bois blanc" et non en bon chêne, n'était pas fait pour continuer d'autres services maritimes...
 
Si mon orientation originelle a été décalée de 90° lors de mon placement (ma face Est s'est retrouvée au Nord), j'ai d'autres nombreuses particularités que je vous invite à découvrir dans ce monde étrange que vous appelez le "Net" où toute l'Histoire en général y est répertoriée.

Vous apprendrez ainsi que mon frère jumeau, prévu aussi pour faire le même voyage, n'est jamais venu me retrouver en France en raison d'un périple trop coûteux.

Je vous invite vivement aussi à venir me voir en personne, vous découvrirez, gravées sur mon socle de granit, les dernières traces de mon bateau que je regrette tant...

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💬Commentaires

1.Posté par Éric MARIE le 11/08/2024 13:05 | Alerter
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ATRAVERSLESPACE
Très belle histoire mariant intimement architecture et navigation.. Qui pourrait imaginer cela en regardant l'obélisque ? Pas grand monde je suppose. Les bateaux ont une âme et Christobal Columbus a la plume gracile pour nous le démontrer. Merci pour le partage.

2.Posté par Jean Christophe GAPDY le 11/08/2024 14:15 | Alerter
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JCGapdy
Un très grand plaisir de relire cette histoire que j'avais découverte il y a déjà 10 ans, lors de l'exposition sur le voyage de l'Obélisque (1829-1836), exposition qui s'était déroulée au musée national de la Marine à Paris en 2014 donc. Un très grand merci à Columbus Christobalus pour cette agréable remémoration ! 👍
D'autant plus agréable qu'elle est complète, bien documentée et chouettement illustrée (top la recherche et la compilation de tout cela) 👍👍

3.Posté par Siebella CHTH le 11/08/2024 17:09 | Alerter
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Sieb
C'est toujours avec un grand plaisir que je découvre les récits historiques de Christobal Columbus, et celui-ci n'échappe pas à la règle. Car c'est une découverte, et pas des moindres, pour moi qui suis fascinée par l'histoire des personnages et monuments égyptiens. Voilà un récit développé avec passion, clair et très intéressant à plus d'un titre. Imaginer toutes ces péripéties est difficile de nos jours, mais chaque étape est si bien décrite par l'auteur (sans oublier les belles illustrations) que finalement, l'on parvient à se projeter dans le temps. Quelle belle et trépidante aventure pour l'Obélisque ! Et pour son "berceau" le Louxor, quel honneur, quel voyage !

Nous voici donc très fiers d'arborer cette magnifique parure égyptienne sur le sol français, mais, j'ai pourtant toujours pensé que sa place n'était pas ici, mais bel et bien dans son pays d'origine. Il y avait d'autres cadeaux à offrir, moins extraordinaires certes, mais, nous avons, pourrait-on dire, un peu amputé le monument d'où on l'a arraché. (Ceci dit, je pense la même chose pour toutes ces magnifiques momies que l'on arrache de leurs divers tombeaux, pour les enfermer dans des cages de verre).

Récit et illustrations captivants, comme toujours, j'attends le prochain avec impatience. Merci beaucoup à l'auteur, qui m'a permis de voguer et rêver sur le Nil, le temps de cette lecture...

4.Posté par Christobal COLUMBUS le 13/08/2024 18:17 | Alerter
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ChristoColumbus
Je vous remercie pour les commentaires. Et je voulais ajouter que Eric Marie met le doigt sur un détail bien précis et que j'apprécie d'autant plus dans le sens où il dit que "les bateaux ont une âme" et bien, étant très peu croyant, c'est ce que j'ai néanmoins toujours pensé. Je suis en admiration lorsque je vois un bateau et j'ai toujours dit : "Petits ou grands navires, tous les bateaux ont une âme".
Mes petits récits ( "résumés" est plus correct ) maritimes ont toujours été écrits avec ce sentiment de faire pour quelques instants revivre dans l'imaginaire des lecteurs, un navire que bien souvent, tout le monde a oublié... Ma mission semble donc réussie 🙂

5.Posté par Michel MAILLOT le 18/08/2024 14:48 | Alerter
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mmaillot
Bravo pour ce retour du voyage narré par l’obélisque en personne. Oui, les bateaux ont une âme, j’ajouterai qu’inanimés ou non, tous les objets en possèdent une, et donc cet obélisque qui a traversé les siècles et les millénaires en aurait à nous en raconter de belles. De cette époque antique balayée par le vent et le sable de l’histoire à celle sûrement moins silencieuse de notre ère moderne. Que de poussière, de fumée et de bruits de klaxons par tous ces énergumènes qui pestent de ne pas avancer dans leurs charrettes métalliques. De quoi éternuer et hausser les yeux au ciel si on en disposait !

Rêve-t-il, cet obélisque de retrouver un jour sa sœur jumelle là-bas au pays des Pharaons ?

On pourrait toujours construire une réplique pour que la place ne devienne pas orpheline.
En tout cas merci d'avoir partagé avec nous ce long et passionnant voyage mouvementé.

6.Posté par B BLANZAT le 21/08/2024 11:24 | Alerter
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Blanzat
Et encore une belle histoire de Tonton Christobal ! Je ne connaissais pas du tout le périple du Louxor, c'est même assez dingue qu'ils aient dû le démonter comme un Lego pour faire entre la colonne.
Mon oncle racontait souvent le moment de l'érection sur la place de la Concorde. Ils avaient vu trop juste au niveau du treuil, et l'obélisque n'était pas encore d'aplomb mais ils n'avaient plus de marge de manœuvre. Alors un marin dans la foule a hurlé : "mouillez les cordes !" En séchant, elles se sont suffisamment rétrécies pour finir de dresser le monument. Pour moi, le marin a la gueule de bouledogue de mon oncle.
Entièrement d'accord avec l'âme des bateaux, je pense qu'il faudrait désormais écrire la fin de l'histoire du Louxor. Si toute trace a disparue, il nous reste l'imagination !

7.Posté par Christobal COLUMBUS le 21/08/2024 11:41 | Alerter
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Merci à Bruno Blanzat et Michel Maillot pour leur retour.
Bruno : Effectivement, je n'ai pas cherché plus loin la destinée du bateau car après 2 démontages/remontages de la proue pour charger/décharger l'obélisque et 2 démontages/remontages pour charger/décharger les blocs en granit du socle, je doute que ce navire ait pu continuer d'autres missions, comme je le dis, il était fait en "bois blanc".
Michel : Oui, je pense aussi comme vous pour ce qui est des objets, et c'est logique pour le "multi-collectionneur" que je suis en bateaux, épées, figurines de DA des années 70-80 🙂

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