USS Constitution - Le doyen des mers

Par | 07/05/2022 | Lu 620 fois




Par U.S. Navy photo by Mass Communication Specialist 3rd Class Kathryn E. Macdonald — Cette image a été publiée par l'United States Navy sous l’identifiant 101021-N-7642M-317. Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=11857301
Je suis un vieux de la vieille. J’en ai connu des mers et combattu des navires !

Il y a longtemps, j’ai même connu les premiers grands géants à quatre cheminées soi-disant si puissants. Aujourd’hui, ils sont encore plus gros et bien plus affreux, la mode ne s’améliore pas. Enfin, la mode dans le civil car côté militaire, là c’est la classe ! Des lignes superbes, de la fierté et de la vraie puissance !

Ouais, je suis militaire et de la même trempe que ce redoutable HMS Victory. Lui, je ne l’ai jamais rencontré, mais j’ai moult fois entendu parler de sa bravoure et de son terrible combat du 21 octobre 1805. Il y a très longtemps que ce vieux vétéran a pris sa retraite en cale sèche et c’est bien dommage. Sans doute a-t-il eu peur de me croiser sur son chemin ? J’ai 35 ans de moins que lui et bien qu’un peu plus petit, je suis toujours en service, moi !

J’ai pris naissance de 1794 à 1797 à Philadelphie en Pennsylvanie. À l’époque, mon pays n’était pas encore vraiment ce qu’il est devenu aujourd’hui et il était aussi en conflit avec l’Angleterre. Vingt ans auparavant, avec l’aide des Français, plusieurs navires de commerce avaient été armés pour contrer l’avancée britannique. C’était la première flotte américaine, la « Continental Navy ». Lors de la Déclaration d’indépendance, cette première flotte a été dissoute, faute de moyens financiers. Une belle connerie, vu la présence des chantiers navals de la côte atlantique ! Ils savaient bâtir de puissants navires ces gars-là, ce sont eux qui ont construit les bateaux de cette foutue Royal Navy !

Heureusement, à mon époque, le président Georges Washington avait décidé de réinstaurer une force militaire navale. L’entente avec la France n’était plus au beau fixe. Elle avait d’autres préoccupations car elle s’était également retrouvée en pleine période de révolution. De plus, notre commerce étant grandement tourné vers le nord de l’Afrique, les actes de pirateries devenaient de plus en plus nombreux contre nos navires.

En 1794, six frégates ont été commandées et douze de plus en 1798. Ainsi (re)naissait la fameuse flotte américaine sous le nom de US Navy. Parmi les six premiers bateaux de guerre, personne n’aurait pu imaginer qu’il en resterait toujours un aujourd’hui et ce navire c’est moi : USS Constitution.

La plus ancienne photographie connue de la Constitution en cours de réparations en 1858 | Par Auteur inconnu — Carpenter, Edmund J. (November 1897). "Old Ironsides". The New England Magazine XVII (3): 263-82., Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4688642
Je ne suis pas à comparer avec ce vieux loup de mer de HMS Victory qui lui, était un vaisseau de ligne, un mastodonte à 104 canons, prévu pour encaisser les coups et en donner. Je suis de type frégate, moitié moins armé mais beaucoup plus vicelard; le genre qui vous passe par-derrière pour vous balancer toute une bordée de canons sans que vous ayez eu le temps de vous en apercevoir. Croyez-moi, mes 60 mètres de long et ma cinquantaine de canons en ont terrassé plus d’un ! Et avec ma coque de 53 centimètres d’épaisseur, je n’ai jamais craint personne !
 
J’ai donc vu le jour à partir de 1794 et j’ai touché mon milieu naturel pour la première fois le 10 octobre 1797. C’est l’année suivante que j’ai découvert réellement ce qu’allait être mon véritable milieu naturel : le combat naval.

Mon premier conflit s’appelait la « Quasi-War », c’est-à-dire la quasi-guerre entre les USA et la France. Une tiraillerie maritime commerciale qu’aucun des deux pays ne voulait attiser, mais qui était tout de même bien présente et qui a duré jusqu’en 1800. J’y ai d’ailleurs fait huit prises de navires français et anglais et escorté douze navires commerciaux jusqu’à Philadelphie où l’on m’a équipé d’un nouveau gréement et de nouvelles voiles en 1801.

Je suis immédiatement reparti en guerre durant quatre ans de 1801 à 1805 sur ordre de mon président Thomas Jefferson; nos bateaux commerciaux étant constamment attaqués par les pirates barbaresques au large des côtes de l’Afrique du Nord. Malgré de sérieux dégâts, nous avons bombardé intensément le port de Tripoli. Les premiers marines de l’histoire ont pu débarquer pour la toute première fois et ont fait tomber la ville. Jamais le drapeau américain n’avait encore flotté sur une terre étrangère.

J’ai été bâti pour faire la guerre et j’ai fait la guerre ! Celle contre les Anglais de 1812 à 1815 a été l’une des plus terribles et je m’y suis battu avec rage ! Par mille sabords, j’vous l’aurai fait trembler, moi, cette Royal Navy !

Je venais à peine de connaître une très importante rénovation lorsque j’ai pris la direction de la France avec qui l’entente se passait mieux. Ma mission était d’y amener notre ambassadeur et lors de mon passage à Cherbourg, les Français n’ont pas manqué de me visiter dans le but de copier leurs futures frégates à mon image.

La guerre anglo-américaine a éclaté le 18 juin 1812 et c’est le 17 juillet que - de retour vers mon pays - j’ai été repéré et poursuivi durant plus de deux jours par une escadre de cinq navires britanniques. J’ai réussi à les semer très péniblement.

Ça a bardé le 19 août avec la HMS Guerriere, une frégate française prise par les Anglais. Elle était coriace cette anglaise, mais je suis tout de même parvenu à abattre son mât d’artimon. Elle a foutu le feu à ma cabine de capitaine mais cela a vite été réglé. Avec son mât dans l’eau, nous en sommes venus à nous percuter, mon mât de misaine s’étant emberlificoté dans son gréement, son grand mât s’est également couché dans l’eau. Cette coriace m’a alors tiré une dernière bordée de désespoir, mais ses boulets ont rebondi sur ma coque. L’un de mes marins s’est alors écrié « Hourra ! Ses flancs sont en fer ! », ce qui m’a valu mon surnom de Old Ironsides (Vieux Flancs de Fer). Coup de grâce pour la Guerriere, son équipage a fini par se rendre et on a fait un grand feu de joie avec sa coque ! Bien fait pour elle !

L'USS Constitution capture et incendie la HMS Guerriere en août 1812 | Par Auteur inconnu ou non renseigné — U.S. National Archives and Records Administration, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=15975350

Combat contre la HMS Guerriere | Par Anton Otto Fischer — DEPARTMENT OF THE NAVY -- NAVAL HISTORICAL CENTERPhoto image obtained, enlarged and rendered by Gwillhickers., Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=12031242
Vingt jours plus tard, il en a été de même avec sa sœur la HMS Java, passée du côté anglais également. Elle avait détruit ma barre avec un boulet, mes marins ont dû manœuvrer manuellement mon timon. Cette farouche était venue à son tour empêtrer son mât de misaine dans mon gréement, mais mes canons ont été plus efficaces que ceux de la Guerriere au mois d’août ! J’vous l’ai fait valser, moi, la Java ! Même sort : grand feu de joie après avoir récupéré sa barre. Non mais ! On ne me la fait pas à moi !

Combat contre le HMS Java | Par Montardier [French, active 1814-ca.1823] — [1], Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=5037430

Le HMS Java en feu après sa défaite face à l'USS Constitution | Par Auteur inconnu ou non renseigné — U.S. National Archives and Records Administration, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=15975391
De nouveau retapé en 1813, j’ai fait plusieurs prises de navires marchands anglais. J’étais devenu le cauchemar des Britishs. Je leur ai d’ailleurs pris leur navire marchand Lord Nelson, tout un symbole ! Cette prise a permis à mes matelots de prendre un bon repas de Noël ce 24 décembre 1814.

Malgré la signature du Traité de Gand le 8 février 1815 dans la future Belgique appartenant encore au Pays-Bas, mon capitaine Stewart - qui ne l’entendait pas de cette oreille - continua le combat en me faisant attaquer deux navires en même temps : les HMS Cyane et Levant. Le 28 avril, Stewart a appris la ratification confirmée du Traité de Gand ; la guerre était bel et bien finie.

Capture des HMS Cyane et Levant | Par Lithograph by James Queen after a painting by Thomas Birch, published circa the mid-19th Century by P.S. Duval, Philadelphia, Pennsylvania. — US Naval History and Heritage Command: Photo #: NH 86692-KN (color), Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=16267664
Les années qui ont suivi ont été plus monotones : une restauration, et même un essai de roues à aubes sur ma coque a été tenté. Qu’est-ce que je détestais ces affreuses roues ! Heureusement, elles m’ont été très vite enlevées.

J’ai bien manqué passer de vie à trépas en 1830. Un article du 14 septembre annonçait que l’US Navy prévoyait ma démolition malgré mes si bons et loyaux services. C’est l’écrivain-médecin et poète Olivier Wendell Holmes qui m’a sauvé grâce à un poème me concernant et publié deux jours plus tard. Le peuple m’aimait et je me suis alors retrouvé une nouvelle fois en cale sèche pour ma restauration avec une nouvelle figure de proue à l’image du président Jackson qui avait d’ailleurs fait grand bruit, jusqu’à me la couper cette tête !

J’ai alors participé à plusieurs voyages diplomatiques à travers le monde et j’ai tiré mes derniers coups de canons sur un village bgarbo au large des côtes du Libéria, afin de faire accepter un traité entre tribus.

Lorsque la guerre de Sécession a été déclenchée en 1861, j’étais devenu trop vieux pour encore me battre. L’on m’a même déplacé plus au nord, car ces sudistes confédérés avaient prévu de me détruire, moi le symbole de la puissance des nordistes. Je venais d’être encore réparé en 1858 lorsque l’on a pris ma toute première photographie.

En 1865, j’ai perdu le dernier frère qu’il me restait : l’USS United States. De cette fière fratrie des six premiers navires de l’US Navy, il ne restait plus que moi.

Après une énième rénovation, j’ai servi de navire de transport de divers objets américains pour l’Exposition Universelle de Paris de 1878. Cette année-là au Havre, je suis entré en collision avec le puissant navire de guerre à 120 canons « Ville de Paris », il fallait la faire celle-là ! Heureusement que nous n’étions plus en discorde, je n’aurais eu aucune chance !

Nouvelle convalescence en cale sèche en France pour réparation jusqu’au 16 janvier 1879 après laquelle je me suis échoué à cause d’une erreur de navigation. J’ai été réparé au chantier naval de Portsmouth en Angleterre, mon ancien ennemi que j’avais tant combattu ! Un supplice pour moi, crébondieu de mille sabordages ! Ensuite, un problème de gouvernail m’a obligé à faire escale à Lisbonne de nouveau pour réparation. À croire que je devenais vraiment un vieux rafiot…

En 1900, plus personne ne voulait de moi. On a même voulu m’utiliser en 1905 pour des exercices de tir. J’ai cru cette fois-ci que c’était ma fin. Le peuple de mon pays m’a une nouvelle fois sauvé avec ses protestations contre le Congrès. J’ai alors été réhabilité en navire-caserne. Bon dieu que cet équipement dont on m’avait affublé était horrible ! J’en suis devenu par la suite un musée.

La vapeur était utilisée depuis plusieurs années pour la propulsion des roues à aubes et j’avais entendu parler de ces nouveaux grands paquebots à hélices. Ces géants des mers soi-disant si puissants venaient de prendre la suprématie des mers. J’étais devenu bien petit en comparaison. Ils ont tout de même fait les frais de collisions entre eux et l’un d’eux a même coulé avec un iceberg, vous vous imaginez un peu ça ?!

Côté militaire, les différentes marines de guerre n’étaient pas en reste. En Europe, ils recommençaient à se taper sur la gueule avec ce qu’ils avaient appelé « La Grande Guerre ». Au moins là, j’étais sûr qu’on n’allait plus me demander de me battre. La vapeur avait pris le dessus sur le vent et les canons ne lançaient plus des boulets mais des obus bien plus dévastateurs.

Je n’ai retrouvé mon aspect d’origine qu’entre 1925 et 1930 grâce à des fonds privés soutenus par l’Elks Lodge, une fraternité d’actions sociales.

J’ai repris du service en 1940 sur ordre du président Franklin Roosevelt et j’ai servi de prison aux officiers condamnés à la cour martiale durant la Deuxième Guerre mondiale.

Dans les années 50 et 70, ils ont continué à m’entretenir avec des rénovations, respectivement au bois de chêne rouge et chêne blanc.

De nouveau restauré en 1995 et en 2010, mon équipage est composé aujourd’hui de 55 marins de l’US Navy et je sers de navire-école comme de musée ouvert gratuitement au public, ainsi qu’aux démonstrations historiques pour sensibiliser le public à l’importance de la Marine à travers le monde.

Non, je n’ai jamais rencontré le HMS Victory de l’amiral Nelson. Que ce serait-il passé si tel avait été le cas ? La réponse reste un mystère encore aujourd’hui. Il était plus puissant, j’étais plus rapide.

Je ne vous ai fait ici qu’un bref résumé de mon histoire. Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à visiter les nombreux sites Internet qui me sont consacrés et peut-être qu’un jour, nous aurons l’occasion de nous rencontrer. Je crèche au Boston Navy Yard de Boston.

Vue du pont depuis la hune du grand-mât | Par U.S. Navy photo by Mass Communication Specialist Airman Nick Lyman — http://www.navy.mil, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1765733

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