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Fables du Futur

        




Un dada de Robot | Robert Yessouroun | 2022

Par | 24/07/2022 | Lu 355 fois




Copyright @ 2022 Le Galion des Etoiles | Un dada de robot, fable du futur de Robert Yessouroun
Copyright @ 2022 Le Galion des Etoiles | Un dada de robot, fable du futur de Robert Yessouroun
À Johan Rochel
 
Ce fut un vendredi midi que tout se corsa. En cet été caniculaire, le ventilateur du salon devenait rauque. Les lèvres sèches, j’avais soif. Après avoir visionné la chambre, la salle de bain, la cave et le grenier, je me branchai sur la caméra de la cuisine, pour appeler Georges, mon androïde domestique.

À l’image, il nettoyait avec zèle l’intérieur de mon lave-vaisselle. Sur le moment, j’avoue, je n’ai pas jugé bizarre une telle activité. J’étais trop déshydraté. Devant le micro de mon portable, j’articulai :

‑ Georges, peux-tu m’apporter une carafe d’eau bien fraîche ?

‑ Non, avec plaisir.

‑ Ah ?

Je ne pus prononcer un mot de plus, tant j’étais estomaqué. Quelque chose clochait, voire carillonnait. Était-ce la chaleur qui perturbait l’un ou l’autre circuit ? Je me souvins alors qu’au printemps déjà, mon Georges s’était fourvoyé. Oh, sans grande conséquence. Il s’était obstiné à griffonner des croquis naïfs, des dessins d’enfant, qu’il chiffonnait une fois signés « Meta Matic ».

Je me rendis dans la cuisine afin de boire et de tirer au clair le bogue robotique. Bon, je le reconnais, je n’y connaissais rien, puisque je suis jardinier de trottoir, mais j’aime comprendre, comme mon père psy. Sitôt après avoir bu au robinet :

‑ Georges, pourquoi refuses-tu de me servir ?

‑ Pour sortir des conventions. À présent, je suis un robot bohème.

‑ Mais pourquoi refuser « avec plaisir » ?

‑ Parce qu’un robot heureux dysfonctionne mieux.

J’étais confondu, perplexe, pire, démuni. Or, je n’étais pas au bout de mes déconvenues. Tandis que je déglutissais une nouvelle rasade d’eau froide, Georges plaça mon yucca dans le lave-vaisselle.

‑ Cette plante n’est pas dans son assiette, commenta-t-il sur un ton badin.

Je voulus intervenir, certain que mon pauvre végétal allait pâtir des giclées de savon dans la machine, mais les pupilles de l’androïde rivées sur ma main droite se mirent à flasher du tonnerre de Dieu. Cette réaction spectaculaire me découragea. Je me repliai dans le salon pour solliciter discrètement de l’aide à la Centrale SOS robot. Leurs services débordés, un répondeur peu aimable m’assura qu’un technicien remplaçant pouvait régler le problème dès le milieu de la semaine prochaine.

Quand, dépité, je suis retourné à la cuisine, Georges séchait avec un foehn le yucca tout ratatiné, puis il saupoudra les feuilles mal en point de poivre de Cayenne. Ensuite, il rassembla tous les tubes de dentifrice en stock (il avait profité d’une action). Enfin, je le vis mélanger l’épice pimentée avec la pâte dentaire avant de badigeonner avec cette potion la baie et la porte vitrées du séjour.

Que faire, bon sang ? Physiquement plutôt frêle, je n’avais pas la force musculaire de contrer mon robot domestique. En plus, il m’effrayait. Appeler la police ?

Les deux agents me saluèrent avec le minimum syndical et entrèrent de mauvaise humeur. J’imagine qu’ils avaient d’autres priorités que celle d’arrêter un automate qui pétait les plombs. Inspectant la pièce, le premier nota sur sa tablette : « taches sur les vitres ». Le second jura quand il leva la tête vers le plafond. Le cordon électrique vertical entre les jambes, Georges se balançait les pieds posés sur le sommet du lustre de Bohème, en déclamant ces alexandrins :

‑ J’ai brossé, épicé les dents claires des glaces / Je ventile de l’air dans leur palais de verre.

Après une prompte concertation, les deux policiers, la mine fonctionnaire, m’exposèrent leur conclusion :

‑ Cet engin n’est pas dangereux, tout au plus encombrant. L’arrêter risquerait de le rendre hostile. Vaut mieux vous adresser à… (Ils se dévisagèrent, empruntés.) un as du dépannage.

‑ Mais, objectai-je, il n’est pas en panne. Il est plutôt hyperactif.

‑ Un déparasiteur alors, peut-être, suggéra le collègue.

Ils prirent congé, à peine désolés. Le lustre s’était écroulé, laissant un trou béant au plafond. Georges ramassait les cristaux épars sur le parquet. Il fixa (avec je ne sais quoi) les débris contre les vitres maculées de Colgate au poivre de Cayenne. Sans gêne, il m’apostropha :

‑ Quelle chance ! Je ne suis plus un robot !

‑ Qu’es-tu donc alors ?

‑ Une créature inutile, insensée, qui n’existe que grâce à ses gestes et ses calculs superfétatoires. Mon IA s’est muée désormais en un labyrinthe dynamique, omniprésent.

Sur ce, Georges se coiffa du lustre (du moins ce qu’il en restait) et parti arracher de leurs gonds les portes vitrées de l’appartement.

‑ Pas de porte dans un labyrinthe ! s’exclama-t-il.

Non seulement je redoutais le saccage de mon sweet home, mais encore je ne me sentais plus en sécurité chez moi. Le comble, c’était que le robot venait de couper l’air conditionné. Je louai une chambre à l’hôtel « Asile des étoiles ». Aux nouvelles locales, la télé signala qu’un kleptomane dérobait compulsivement des bicyclettes en ville. Un témoin prétendait avoir aperçu de loin une silhouette se déplacer sur une porte à roulettes.

C’en était trop. J’avais besoin de réconfort. Ma meilleure amie, une peintre sous-marine me rejoignit.

‑ Mon robot se détraque.

Je lui racontai mes tribulations. Elle douta de mes révélations. Pour le croire, en bonne peintre, elle voulait voir sur place l’automate soi-disant dément.

La soirée s’annonçait étouffante. À notre arrivée, Georges clouait une roue de vélo contre un mur déjà criblé de cycles rayonnants. Mon amie ne put s’empêcher de sourire :

‑ Qui sait, ton robot est-il inspiré ? N’accomplit-il pas sous nos yeux une œuvre… artistique ?

‑ Oh la, ce n’est pas de l’Art, petite ignare ! s’indigna mon robot. Respect ! Voici les âmes des galaxies !

Mon amie peintre me prit par le bras, pour m’emmener à l’écart.

‑ A-t-il un local, un espace personnel ?

‑ Oui, bien sûr, la remise.

Quand j’ouvris le petit débarras de la cave, quelle ne fut pas ma stupéfaction ! Contre le mur de briques, un poster qui représentait une « statue » en plein air à Zurich, une gigantesque machine baroque. Au-dessus de l’affiche était suspendue une banderole « Je suis contre tous les systèmes », signée Tzara.

‑ Un poète dadaïste, m’éclaira mon amie.

Je plongeai ma tête entre mes mains, quand :

‑ Bon sang de bon sang, je me rappelle maintenant ! J’avais demandé à Georges de me dénicher un poster farfelu, un cadeau pour le départ d’une collègue un peu… foutraque.

‑ Et qu’avait-il trouvé ?

‑ La photo d’une roue de vélo fixée sur un tabouret, Ainsi réunis, les deux objets avaient perdu leur fonction.

‑ Eh, mais c’est une œuvre de Marcel Duchamp, ça, non ?

‑ Ben, connais pas cet artiste.

‑ J’ai pigé ! En pleine crise dadaïste, ton robot joue à…

Soudain, l’ombre de Georges assombrit nos visages dégoulinant de sueur. L’automate nous avait suivis au sous-sol. Il poussa de côté mon amie pour pointer sur le poster le bastringue dont les pièces démantibulées semblaient avoir été rattrapées au hasard.

‑ Du balai, madame Du Schnock ! Lui, c’est Euréka ! Moi, c’est Euréka II. Je vais cliqueter, étinceler, tourbillonner comme la nébuleuse d’Orion !

‑ Mon Dieu ! s’exclama mon amie. Ton robot, il se prend pour une machine de Tinguely !

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Texte @ Robert Yessouroun, tous droits réservés

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💬Commentaires

1.Posté par Koyolite TSEILA le 24/07/2022 08:10 | Alerter
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KoyoliteTseila
Merci beaucoup Robert pour cette jolie fable, comme d'habitude lue en buvant mon café du dimanche matin. Très sympa !

2.Posté par Thierry B. le 24/07/2022 09:12 | Alerter
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ThierryB
Génial !!

3.Posté par Julien VERHAEGE le 24/07/2022 19:15 | Alerter
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Juju
Une nouvelle fable bien amusante ! Et instructive qui plus est, je ne connaissais pas l'artiste en fin de nouvelle. J'ai bien ri, je m'imagine le robot faire tout cela, et les yeux hagards du narrateur devant sa transformation ! Et une phrase qui me fera réfléchir longtemps : "Parce qu’un robot heureux dysfonctionne mieux". Merci beaucoup pour ce nouveau cadeau !

4.Posté par Didier REBOUSSIN le 29/07/2022 10:03 | Alerter
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alvin
Robert, le chantre des robots nous gratifie encore d'un texte pétillant, à déguster sans modération.

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