Un monde d'azur | The Blue World | Jack Vance | 1966

Par | 24/07/2023 | Lu 172 fois


Le Livre de poche #7273 édition 2016 (texte VIE) 286 pages
Traduit par Patrick Dusoulier | Préface de Gerard Klein | Couverture : Alain Brion
1ère édition USA : The Blue World 1966 | 1ère édition Fr : Laffont-Ailleurs & Demain 1970



Illustration et quatrième de couverture

Un monde d'azur, réédition @ 2016 Le Livre de Poche | Illustration de couverture @ Alain Brion
Il y a treize générations, un astronef-prison s’est écrasé sur un monde d’azur.

Un vrai paradis. Du soleil, la mer à perte de vue, des îles flottantes, des nourritures marines à profusion. Les castes des Détourneurs, des Voyous, des Canailles et des Publicistes se sont adaptées sans peine à cet environnement enchanteur.

Mais tout paradis a ses démons. Les Kragens sont des monstres marins semi-intelligents qui dévorent volontiers les réserves des humains.

Le plus redoutable d’entre eux est le Roi Kragen qui protège les humains s’ils le nourrissent.

Un protecteur de plus en plus avide à mesure qu’il grossit.

Mais comment s’en débarrasser sans armes et sur un monde liquide où le métal est introuvable ?

Un monde d’azur est l’œuvre maîtresse de Jack Vance dont on a déjà lu dans la même collection le cycle fameux des Princes-Démons.

Fiche de lecture

Ce roman, souvent considéré comme important dans l’œuvre de Jack Vance de par son originalité, a été réédité cinq fois en France. 

Cette édition bénéficie d’une traduction émérite de Patrick Dusoulier d’après un texte révisé dans les années 2000 par Vance et l’équipe du projet Vance Integral Edition. La couverture originale d’Alain Brion est époustouflante et totalement en rapport avec le contenu. Le Livre de Poche nous « gratifie » d’une préface de Gérard Klein savante mais un brin bavarde et mi-figue mi-raisin.

Le contexte

L’action se déroule sur un monde-océan : aucune terre à l’exception d’îles formées par les feuilles d’une plante marine flottante gigantesque et supportant toute une flore exubérante.

Deux siècles plus tôt, un navire spatial naufragé suite à une mutinerie s’est écrasé à la surface et les survivants se sont dispersés sur une douzaine d’îlots, se groupant en castes formant un peuple besogneux et ingénieux, exploitant toutes les possibilités offertes par l’environnement végétal et marin. Ils forment une petite société plutôt libre et naturelle (pas de métal) et communiquent par sémaphores dans un langage élaboré. Le seul frein est la présence de Kragens : des créatures marines semi-intelligentes, sorte de croisement entre pieuvre et cachalot, qui ponctionnent un bonne part de leur production d’éponges, le principal aliment des iliens. Une des castes, les intercesseurs, servent de médiateurs avec le plus gros des Kragen, qui en échange de nourriture abondante est censé chasser les autres Kragens des îles.

Le héros

Sklar Hast est un transmetteur : il envoie des messages vers les autres îles dans les tours-sémaphore. Il vit sur l’île de Tranque et possède un bungalow sur son îlot personnel. Son âge est incertain : il est assez jeune, compétent entreprenant et assez sûr de lui (une constante chez l’auteur).

L’histoire

Le héros décide de se rebeller contre les exactions des Kragens et surtout du roi Kragen et de son diabolique protecteur l’intercesseur Barquan Blasdel, qui se sert de la terreur du roi Kragen pour imposer sa domination sur les autres castes. Sa confrontation avec Sklar Hast qui veut tuer le roi Kragen engendrera une scission importante dans la société des îles et lui fera goûter à l’ivresse du pouvoir malgré l’opposition générale.

Si l’intrigue soutient bien le cheminement de l’histoire, le plus intéressant c’est la description de ce monde si différent et de l’adaptation des humains, une société originale, démocratique, presque idyllique mais qui va se transformer sous les coups de l’adversité.

Les dialogues, les personnages, l’environnement, tout concourt à un livre dépaysant, passionnant et étonnant : un roman écologique avant l’heure.

Extraits
"Zander Rohan prendrait bientôt sa retraite, et Sklar Hast deviendrait Maître Transmetteur le moment venu. Il n’était pas pressé ; dans ce monde placide, limpide et immuable, où le temps semblait aller paresseusement à la dérive, il n’y avait rien à gagner en se hâtant."
"Sklar Hast possédait un petit îlot dont il était le seul occupant. Cet îlot, une surface spongieuse en forme de cœur d’environ trente mètres de diamètre, flottait au nord du lagon. Le petit bungalow de Sklar était bâti selon des normes standard ; des branches d’osier pliées et liées ensemble, puis recouvertes de plaques formées de la membrane translucide que l’on découpait dans la partie immergée de la plante marine. Le tout était ensuite enduit d’une couche de vernis obtenu à partir de la sève de plantes marines, portée à ébullition jusqu’à évaporation complète de l’eau afin de ne laisser qu’un résidu de résines amalgamées.
D’autres végétaux poussaient dans le tissu spongieux de l’îlot : des buissons, des fourrés d’une espèce de bambous qui fournissaient un osier de bonne qualité, ainsi que des épiphytes retombant de la tige centrale de la plante marine. Sur d’autres îlots les plantes pouvaient être disposées selon des critères esthétiques, mais Sklar Hast avait peu de goût en la matière, et le centre de son îlot était un taillis désordonné de diverses tiges, frondes, lianes et feuilles, dans tous les tons de noir, vert et roux."
"Sklar Hast se versa une deuxième coupe de vin et, se penchant en arrière, leva les yeux vers les constellations qui scintillaient déjà de mille feux. Dans la direction du sud, il pouvait voir un groupe de vingt-cinq étoiles brillantes d’où seraient venus, à en croire la tradition, ses ancêtres fuyant les persécutions de tyrans mégalomanes. Deux cents personnes de différentes castes avaient réussi à débarquer du Vaisseau de l’Espace avant qu’il ne sombre dans l’océan qui entourait ce monde tout entier. Maintenant, douze générations plus tard, les deux cents étaient devenus vingt mille, répartis sur les quatre-vingts kilomètres de plante marine flottante. Jalousement différenciées pendant les quelques premières générations, les castes s’étaient progressivement adaptées les unes aux autres, et commençaient même à se mélanger. Il n’y avait pas grand-chose pour venir troubler le cours de cette vie tranquille, rien de pénible ou de déplaisant – sauf, peut-être, le Roi Kragen."
"Ce sont là des remarques bien impertinentes, à propos d’un Intercesseur ! dit Semm Voiderveg sur un ton de reproche. Quoi que vous puissiez penser de la personne, sa fonction mérite le respect !
— Quelle fonction ? Qu’est-ce que vous faites ?
— J’intercède en faveur de la population de Tranque ; je nous assure à tous la bienveillance du Roi Kragen.
Sklar fit entendre un rire insultant. "Je me demande toujours si vous croyez vraiment à vos propres théories.
— “Théorie” n’est pas le mot exact, répondit Semm Voiderveg d’un ton sentencieux. Le terme “science”, ou “doxologie”, est préférable. (Il poursuivit d’une voix glaciale.) Les faits sont irréfutables. Le Roi Kragen règne sur l’océan, il nous accorde sa protection ; en contrepartie nous lui offrons avec joie une partie de nos provendes. Tels sont les termes du Pacte."
"… la milice offrait un spectacle magnifique, quoique un peu sinistre, lorsque ses hommes défilaient par pelotons de vingt, la pique inclinée sur l’épaule, ou lorsqu’ils ramaient à douze dans leurs nouveaux coracles, fendant l’océan à grande vitesse quand le Roi Kragen n’était pas dans les parages…/… Barquan Blasdel avait le grade de Commandant en chef de la milice, et arborait un uniforme encore plus saisissant que celui des Exemplaires : une tunique fendue blanche et noire, attachée aux chevilles avec des boutons en tue-cloche lustrée, des épaulettes pourpres sculptées en forme de mandibules de kragen, et un casque violet dont la crête représentait la gueule du Roi Kragen avec ses mandibules et ses palpes écartés ; une vision effrayante."

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