Une oeuvre, un regard...
L’approche de toute œuvre artistique, notamment picturale, s’opère pour moi sur le plan du ressenti, de l’émotion et des résonances. Les aspects contextuels, historiques, techniques sont secondaires dans un premier temps. Les approfondissements peuvent se faire par la suite, s’il me paraît utile ou nécessaire de les rechercher pour atteindre un autre degré de compréhension de l’œuvre.
Le regard d’abord, l’analyse plus tard…
Dans le domaine de la peinture et du dessin, je suis depuis toujours attiré par les paysages vides. Rarement, les personnages m’intéressent. Peut-être est-ce parce que je souhaite pouvoir entrer dans le tableau et m’y promener seul, sans être dérangé par d’autres présences, ni les gêner, ni devoir partager avec elles.
Le choc pictural le plus récent m’a été procuré par l’Américain Edward Hopper, il y a une quinzaine d’années. Vers 1980, il y avait eu Arnold Boecklin et sa série « L’île des morts », dont j’avais eu connaissance à travers certaines lectures et compositions musicales. Plus loin encore se situe ma rencontre avec Caspar David Friedrich (Greifswald, 1774 - Dresde, 1840), dont j’ai choisi de vous parler aujourd’hui. L’homme, le peintre, son parcours et son œuvre sont assez largement connus et font l’objet de publications en nombre suffisant pour que j’économise un temps précieux en ne les rappelant pas.
Ma découverte de Friedrich remonte aux années 1970. C’est l’une de ces « bulles d’oxygène » offertes durant mes années de lycée par des livres dont regorgeaient les bibliothèques de mon père, et les miennes. Dans le cas précis que j’évoque aujourd’hui, il s’agit d’un volume de l’Encyclopedia Universalis pioché au hasard, pour m’aérer l’esprit, entre deux exercices de maths ou de physique. Quelques articles parcourus, des photos, dessins et reproductions contemplés au passage – jusqu’à un « arrêt sur image » où, littéralement, le temps a suspendu son vol.
Froideur d’un ciel bleu et presque vide, hormis une demi-ellipse de nuages derrière lesquels se cache un soleil pâle, chaos de glaces brisées semblables à des récifs, impression renforcée par ces plaques fracturées qui, au premier plan, ont revêtu des couleurs de terre et de roche.
Et, sur la droite, à peine discernable si l’on ne fait pas l’effort de la voir, une partie du château arrière d’un navire à voile qui a fait naufrage. C’est « La mer de glace », 1824, Caspar David Friedrich. Pour des raisons qui m’échappent encore, cet univers figé m’a capturé à jamais.
Le regard d’abord, l’analyse plus tard…
Dans le domaine de la peinture et du dessin, je suis depuis toujours attiré par les paysages vides. Rarement, les personnages m’intéressent. Peut-être est-ce parce que je souhaite pouvoir entrer dans le tableau et m’y promener seul, sans être dérangé par d’autres présences, ni les gêner, ni devoir partager avec elles.
Le choc pictural le plus récent m’a été procuré par l’Américain Edward Hopper, il y a une quinzaine d’années. Vers 1980, il y avait eu Arnold Boecklin et sa série « L’île des morts », dont j’avais eu connaissance à travers certaines lectures et compositions musicales. Plus loin encore se situe ma rencontre avec Caspar David Friedrich (Greifswald, 1774 - Dresde, 1840), dont j’ai choisi de vous parler aujourd’hui. L’homme, le peintre, son parcours et son œuvre sont assez largement connus et font l’objet de publications en nombre suffisant pour que j’économise un temps précieux en ne les rappelant pas.
Ma découverte de Friedrich remonte aux années 1970. C’est l’une de ces « bulles d’oxygène » offertes durant mes années de lycée par des livres dont regorgeaient les bibliothèques de mon père, et les miennes. Dans le cas précis que j’évoque aujourd’hui, il s’agit d’un volume de l’Encyclopedia Universalis pioché au hasard, pour m’aérer l’esprit, entre deux exercices de maths ou de physique. Quelques articles parcourus, des photos, dessins et reproductions contemplés au passage – jusqu’à un « arrêt sur image » où, littéralement, le temps a suspendu son vol.
Froideur d’un ciel bleu et presque vide, hormis une demi-ellipse de nuages derrière lesquels se cache un soleil pâle, chaos de glaces brisées semblables à des récifs, impression renforcée par ces plaques fracturées qui, au premier plan, ont revêtu des couleurs de terre et de roche.
Et, sur la droite, à peine discernable si l’on ne fait pas l’effort de la voir, une partie du château arrière d’un navire à voile qui a fait naufrage. C’est « La mer de glace », 1824, Caspar David Friedrich. Pour des raisons qui m’échappent encore, cet univers figé m’a capturé à jamais.
Copyright @ 1824 Caspar David Friedrich | Peinture de La Mer de Glace, Das Eismeer
Même si le tableau représente un paysage de l’Arctique, et le bateau est l’un de ceux de William Edward Parry lancés en 1819-1820 à la recherche du passage du Nord-Ouest, l’œuvre s’associera pour moi, quelques années plus tard, à la « Sinfonia Antartica » de l’Anglais Ralph Vaughan Williams, à Arthur Gordon Pym d’Edgar Poe et aux Montagnes Hallucinées de Howard Phillips Lovecraft.
Le point culminant de ma fascination pour Friedrich est une œuvre bien moins dramatique, plus apaisante, beaucoup plus proche de notre environnement européen. C’est « La Grande Réserve » ou « La Grande Réserve d’Ostra », de son titre original « Das Grosse Gehege » ou « Das Grosse Ostra-Gehege ».
Le point culminant de ma fascination pour Friedrich est une œuvre bien moins dramatique, plus apaisante, beaucoup plus proche de notre environnement européen. C’est « La Grande Réserve » ou « La Grande Réserve d’Ostra », de son titre original « Das Grosse Gehege » ou « Das Grosse Ostra-Gehege ».
Copyright @ Caspar David Friedrich | Peinture de La Grande Réserve, Das Grosse Gehege
Cette huile sur toile de 73 x 102 cm peinte vers 1832 est inspirée de plusieurs fragments de paysages situés dans un même secteur, aux environs de Dresde. À proximité du confluent de l’Elbe et de la Weisseritz, ce sont des terres inondables couvertes de prairies humides et, par endroits, de zones arborées. En période de basses eaux, seul le cours de l’Elbe est navigable pour de petits bateaux à voile transportant des marchandises, tel celui que l’on peut discerner sur le tableau.
Il n’y a pas de personnage visible, pas même la Rückenfigur (silhouette de dos) assez fréquente dans les œuvres de Friedrich, ce contemplateur figé, sans visage, en lequel on peut se projeter pour « entrer » dans ce qu’il regarde. L’impression de vastitude, d’immensité de la Nature en est d’autant renforcée.
En cela, « Das Grosse Gehege » comble mon attente inconsciente, non dite, de promeneur solitaire et égoïste en résonance avec l’un des états d’esprit formulés par Friedrich.
Ce « paysage recomposé » répond également à l’un des credos exprimés par le peintre.
Il nous offre donc ici sa « relecture intérieure » d’une esquisse réalisée environ deux ans plus tôt.
Il n’y a pas de personnage visible, pas même la Rückenfigur (silhouette de dos) assez fréquente dans les œuvres de Friedrich, ce contemplateur figé, sans visage, en lequel on peut se projeter pour « entrer » dans ce qu’il regarde. L’impression de vastitude, d’immensité de la Nature en est d’autant renforcée.
En cela, « Das Grosse Gehege » comble mon attente inconsciente, non dite, de promeneur solitaire et égoïste en résonance avec l’un des états d’esprit formulés par Friedrich.
« Je dois rester seul et savoir que je suis seul pour contempler et ressentir pleinement la nature. Je dois m’abandonner à ce qui m’entoure, je dois me confondre avec mes nuages et mes rochers pour être ce que je suis. »
Ce « paysage recomposé » répond également à l’un des credos exprimés par le peintre.
« L’artiste doit peindre non seulement ce qu’il a devant lui, mais aussi ce qu’il voit à l’intérieur de lui-même. S’il ne voit rien à l’intérieur, alors il devrait s’arrêter de peindre ce qu’il a devant lui. »
Il nous offre donc ici sa « relecture intérieure » d’une esquisse réalisée environ deux ans plus tôt.
Copyright @ Caspar David Friedrich | Esquisse
Pour le simple « sensitif » que je suis, la première caractéristique marquante du tableau se situe dans l’harmonie des couleurs et l’atmosphère résultante : paisible, rassérénante, invitation à méditer et à s’élever vers ce ciel bien plus clair que la terre, d’une clarté croissant avec l’altitude. Pureté, harmonie, transparence, dégradés : restitution parfaite du crépuscule annonciateur de la nuit – éternelle ? – et du repos – ultime ?
La seconde caractéristique frappante est la construction de l’image. Deux tiers de ciel, un tiers de terre, règle d’or respectée. Une ligne horizontale sépare les deux domaines. De part et d’autre se dessinent trois hyperboles symétriques. L’on peut ensuite compléter en traçant, dans le ciel, au moins deux autres hyperboles identiques à leurs homologues dessinées dans la partie « terre ».
La géométrie sous-jacente se révèle sans réticence, et encore davantage si l’on compare l’œuvre finale avec l’esquisse mentionnée plus haut.
La seconde caractéristique frappante est la construction de l’image. Deux tiers de ciel, un tiers de terre, règle d’or respectée. Une ligne horizontale sépare les deux domaines. De part et d’autre se dessinent trois hyperboles symétriques. L’on peut ensuite compléter en traçant, dans le ciel, au moins deux autres hyperboles identiques à leurs homologues dessinées dans la partie « terre ».
La géométrie sous-jacente se révèle sans réticence, et encore davantage si l’on compare l’œuvre finale avec l’esquisse mentionnée plus haut.
La Grande Réserve | Das Grosse Gehege | Construction
Entre les deux se produit ce que l’on peut appeler une spatialisation, l’apparition d’une dimension complémentaire notamment perceptible dans la courbure des eaux des marais en avant du cours de l’Elbe. L’impression, étrange, est de voir la terre sembler s’arrondir sous nos yeux, ce qui renforce encore la sensation de se rapprocher du ciel.
Nous sommes tout près de ce que donne aujourd’hui l’utilisation d’objectifs photographiques particuliers, tel le « fish eye ». Ce qui peut amener à s’interroger sur la perception de l’artiste et l’étonnant processus de métamorphose de l’image contemplée en celle qu’il a figurée sur la toile.
Nous sommes tout près de ce que donne aujourd’hui l’utilisation d’objectifs photographiques particuliers, tel le « fish eye ». Ce qui peut amener à s’interroger sur la perception de l’artiste et l’étonnant processus de métamorphose de l’image contemplée en celle qu’il a figurée sur la toile.
Copyright @ Jean-Michel Archaimbault | Photo personnelle
Monde d’en bas et monde d’en haut se répondent. Observation que chacun de nous peut faire, peut capturer par des photographies naturelles, sans artifice. Et parfois intensifier en se livrant à quelques petites « manipulations » en jouant sur les symétries et les « images au miroir ».
La Grande Réserve | Das Grosse Gehege | Anamorphose
Copyright @ Jean-Michel Archaimbault | Réflexion, photo personnelle
Copyright @ Jean-Michel Archaimbault | Réflexion, photo personnelle
Quant à restituer ces correspondances avec l’art et le talent de Caspar David Friedrich, ceci est une autre histoire…
Enfin, le hasard m’ayant très récemment permis de découvrir cette « curiosité », voici une œuvre graphique quasi contemporaine dont l’auteur, Jean-Michel Nicollet, a puisé son inspiration dans « La Grande Réserve ».
Il s’agit de la première case des trois planches de sa bande dessinée « H.P.L. » publiée dans le numéro 33 bis « Spécial Lovecraft » du magazine « Métal Hurlant », paru le 1er septembre 1978.
Enfin, le hasard m’ayant très récemment permis de découvrir cette « curiosité », voici une œuvre graphique quasi contemporaine dont l’auteur, Jean-Michel Nicollet, a puisé son inspiration dans « La Grande Réserve ».
Il s’agit de la première case des trois planches de sa bande dessinée « H.P.L. » publiée dans le numéro 33 bis « Spécial Lovecraft » du magazine « Métal Hurlant », paru le 1er septembre 1978.
Copyright @ 1978 Jean-Michel Nicollet | Planche BD HPL publiée dans le numéro 33 bis « Spécial Lovecraft » du magazine « Métal Hurlant » le 1er septembre 1978
La voici avec un ciel légèrement retouché pour lui rendre son immensité originelle.
Copyright @ 1978 Jean-Michel Nicollet | Planche BD HPL publiée dans le numéro 33 bis « Spécial Lovecraft » du magazine « Métal Hurlant » le 1er septembre 1978 | Modifications apportées par Jean-Michel Archaimbault
Note
J'ai rédigé ce texte dans le cadre d'une présentation que j'ai fait le 10 octobre 2022 à la séance mensuelle à l'Académie Montesquieu de Bordeaux, dont je suis membre depuis 2010.
Sources
- « La Mer de Glace » (« Das Eismeer », 1823-1824, Kunsthalle Hamburg)
- « La Grande Réserve » (« Das Grosse Gehege », 1832, Albertinum Dresden)
- Photos personnelles de J.-M. Archaimbault