Câbles | Source illustration : By Steel_wire_rope.png: Johannes Hemmerleinderivative work: Materialscientist (talk) - Steel_wire_rope.png, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=7438668
Le câble
Mon menton s’écrase brutalement sur le sol de ciment dur et rugueux, tandis que j'entends l’horrible plainte de la porte qui se referme derrière moi, coulissant sur un rail si déformé et si encrassé que je me demande toujours comment la porte pouvait être fermée.
Je me relève avec peine, sous le rire gras et sadique du maton qui s’éloigne. Mon souffle est court, précipité. Ma bouche est emplie de sang, mélangé, semble-t-il, à des débris de dents.
Je recrache le tout pour éviter l’étouffement, et me traîne avec peine jusqu’à la couchette. Les capteurs qui y sont disposés détectent le poids de mon corps.
Les caméras thermiques dissimulées dans les anfractuosités des murs de pierre rendent compte de la chaleur de mon corps au Central.
Je me mets lentement en position réglementaire, le dos droit, le ventre rentré (enfin, ce qu’il en reste), les jambes et les bras écartés, comme l’Homme de Vitruve. Quelle ironie...
Un capteur kinesthésique détecte mon immobilité.
C’est alors à ce moment, sauf si un des contrôleurs du Central est encore ivre, que les câbles standards doivent me sangler à ma couchette, dure comme du roc.
J’attends, redoutant le sifflement aigu de ces serpents de métal. Le front brûlant, je respire à pleins poumons, cherchant de l'air…
Et ils arrivent : rapides, précis et terriblement douloureux.
Ils m'enserrent telle une momie, mais me laissent suffisamment de mou pour pouvoir respirer et pour permettre à mon sang de continuer à irriguer mon corps meurtri autant que faire se peut.
« Vous êtes peut-être un parasite, pompant l’air des héros de la Révolution; mais au moins vous ne le polluez pas plus que d’autres. Alors vous n’allez pas rejoindre Notre Sainte Mère la Terre ! Du moins, pas tout de suite ».
Voilà ce que l’on m’a dit quand je suis arrivé ici.
Un rire nerveux me secoue. Ce n’est pas que ce que l’on m’ait dit était drôle, loin de là.
Je ris parce que je constate que les enfants aujourd’hui apprennent bien et ont bien compris leurs leçons : renier aux « traîtres" » leur humanité. Les réduire à des animaux. À des objets. À des choses.
À rien.
Le procédé était toujours le même, mais à chaque fois emballé dans d’autres papiers, garni d’autres couleurs. Et à chaque fois il y avait des gens assez stupides pour tout avaler. Ou plutôt, des gens assez stupides pour qu’ils avalent le bonbon sans se rendre compte qu’ils y étaient forcés.
Cela avait commencé à la fin du siècle dernier. Les gens s’inquiétaient depuis peu de l’avenir de leur planète. Et ils avaient raison. On commençait à dire aux enfants, que trier c’est bien, polluer c’est mal. Protéger la nature et les animaux...
Petit à petit, la notion de développement durable était apparue.
Au départ, ce n’était pas méchant. Se développer en faisant en sorte que les générations futures arrivent à en faire autant. C’était noble. C’était louable. Après tout, les gens prenaient enfin conscience qu’ils n’étaient pas éternels, mais que leurs conneries pouvaient l’être.
Ce n’était pas idiot, et j’avais à l’époque un espoir sincère en une humanité meilleure. Mais hélas ! Je me suis rapidement mordu la langue.
Cela était devenu un argument commercial. Un attrape-nigaud, auquel s’étaient mêlées pléthores d’autres appellations : « Bio », « Naturel », « Respectueux de l’environnement ».
Ces qualificatifs étaient les spores de nouveaux champignons toxiques, d’une nouvelle drogue.
Petit à petit, des jeunes s’engagèrent dans des associations écologistes, pro-environnementales, protégeant les animaux. « La Nature avant tout », «Vert-itable », « Les Amis de la Nature », « Fraternité Vivante »...
Ces associations se radicalisèrent de plus en plus : couler des pétroliers pour protester contre la pollution, assassiner un préfet afin de dévier une autoroute sous prétexte qu’il y a une petite famille de trois lapins blonds de Poméranie Orientale. Dépenser des millions et des millions pour sauver une espèce de rongeur rarissime, alors que des millions et des millions d’êtres humains meurent de faim. Vouloir donner des droits aux animaux alors que ceux de l’Homme ne sont déjà pas universellement respectés.
Nous basculions. Sans retours. Sans espoirs. La montée au pouvoir de « Révolution Verte ».
Disparitions. Exécutions. Emprisonnements à vie. Haine contre les « ennemis de la nature » ! Les foules de « Bataillons verts » déchaînées.
« Les Bataillons passant, l'herbe est nourrie de sang »
« Bataillons en avant : l'Homme est un mécréant »
Tout ça pourquoi ? Et pour quoi ?
Pour prouver que la seule chose qui était recyclable, qu’on pouvait tout le temps utiliser, et qui marcherait à tous les coups portait un nom. La Peur.
Revenons à moi :
Petit à petit, je m’arrange, difficilement, pour glisser vers le bas de ma couchette... Ma tête est à présent couverte de câbles...
- Alerte ! Il essaye de bouger !
Une manette s’abaisse dans le Central.
Un câble qui se resserre sur ma gorge, d’un coup sec.
Bleu. Blanc. Et mon sang : Rouge.
Je me relève avec peine, sous le rire gras et sadique du maton qui s’éloigne. Mon souffle est court, précipité. Ma bouche est emplie de sang, mélangé, semble-t-il, à des débris de dents.
Je recrache le tout pour éviter l’étouffement, et me traîne avec peine jusqu’à la couchette. Les capteurs qui y sont disposés détectent le poids de mon corps.
Les caméras thermiques dissimulées dans les anfractuosités des murs de pierre rendent compte de la chaleur de mon corps au Central.
Je me mets lentement en position réglementaire, le dos droit, le ventre rentré (enfin, ce qu’il en reste), les jambes et les bras écartés, comme l’Homme de Vitruve. Quelle ironie...
Un capteur kinesthésique détecte mon immobilité.
C’est alors à ce moment, sauf si un des contrôleurs du Central est encore ivre, que les câbles standards doivent me sangler à ma couchette, dure comme du roc.
J’attends, redoutant le sifflement aigu de ces serpents de métal. Le front brûlant, je respire à pleins poumons, cherchant de l'air…
Et ils arrivent : rapides, précis et terriblement douloureux.
Ils m'enserrent telle une momie, mais me laissent suffisamment de mou pour pouvoir respirer et pour permettre à mon sang de continuer à irriguer mon corps meurtri autant que faire se peut.
« Vous êtes peut-être un parasite, pompant l’air des héros de la Révolution; mais au moins vous ne le polluez pas plus que d’autres. Alors vous n’allez pas rejoindre Notre Sainte Mère la Terre ! Du moins, pas tout de suite ».
Voilà ce que l’on m’a dit quand je suis arrivé ici.
Un rire nerveux me secoue. Ce n’est pas que ce que l’on m’ait dit était drôle, loin de là.
Je ris parce que je constate que les enfants aujourd’hui apprennent bien et ont bien compris leurs leçons : renier aux « traîtres" » leur humanité. Les réduire à des animaux. À des objets. À des choses.
À rien.
Le procédé était toujours le même, mais à chaque fois emballé dans d’autres papiers, garni d’autres couleurs. Et à chaque fois il y avait des gens assez stupides pour tout avaler. Ou plutôt, des gens assez stupides pour qu’ils avalent le bonbon sans se rendre compte qu’ils y étaient forcés.
Cela avait commencé à la fin du siècle dernier. Les gens s’inquiétaient depuis peu de l’avenir de leur planète. Et ils avaient raison. On commençait à dire aux enfants, que trier c’est bien, polluer c’est mal. Protéger la nature et les animaux...
Petit à petit, la notion de développement durable était apparue.
Au départ, ce n’était pas méchant. Se développer en faisant en sorte que les générations futures arrivent à en faire autant. C’était noble. C’était louable. Après tout, les gens prenaient enfin conscience qu’ils n’étaient pas éternels, mais que leurs conneries pouvaient l’être.
Ce n’était pas idiot, et j’avais à l’époque un espoir sincère en une humanité meilleure. Mais hélas ! Je me suis rapidement mordu la langue.
Cela était devenu un argument commercial. Un attrape-nigaud, auquel s’étaient mêlées pléthores d’autres appellations : « Bio », « Naturel », « Respectueux de l’environnement ».
Ces qualificatifs étaient les spores de nouveaux champignons toxiques, d’une nouvelle drogue.
Petit à petit, des jeunes s’engagèrent dans des associations écologistes, pro-environnementales, protégeant les animaux. « La Nature avant tout », «Vert-itable », « Les Amis de la Nature », « Fraternité Vivante »...
Ces associations se radicalisèrent de plus en plus : couler des pétroliers pour protester contre la pollution, assassiner un préfet afin de dévier une autoroute sous prétexte qu’il y a une petite famille de trois lapins blonds de Poméranie Orientale. Dépenser des millions et des millions pour sauver une espèce de rongeur rarissime, alors que des millions et des millions d’êtres humains meurent de faim. Vouloir donner des droits aux animaux alors que ceux de l’Homme ne sont déjà pas universellement respectés.
Nous basculions. Sans retours. Sans espoirs. La montée au pouvoir de « Révolution Verte ».
Disparitions. Exécutions. Emprisonnements à vie. Haine contre les « ennemis de la nature » ! Les foules de « Bataillons verts » déchaînées.
« Les Bataillons passant, l'herbe est nourrie de sang »
« Bataillons en avant : l'Homme est un mécréant »
Tout ça pourquoi ? Et pour quoi ?
Pour prouver que la seule chose qui était recyclable, qu’on pouvait tout le temps utiliser, et qui marcherait à tous les coups portait un nom. La Peur.
Revenons à moi :
Petit à petit, je m’arrange, difficilement, pour glisser vers le bas de ma couchette... Ma tête est à présent couverte de câbles...
- Alerte ! Il essaye de bouger !
Une manette s’abaisse dans le Central.
Un câble qui se resserre sur ma gorge, d’un coup sec.
Bleu. Blanc. Et mon sang : Rouge.