Chasseuse de Cristaux | Julie Derussy | 2015

Un monde dur et froid, prêt à sombrer, une quête étrange et mystérieuse, des personnages au bord de la folie… voilà ce que nous propose Julie Derussy pour ce premier tome de "Chasseuse de cristaux".

A Rivrene, archipel de glace et d'eau, univers sans pitié où les plus pauvres luttent pour survivre tandis que les puissants mènent une vie de plaisirs et de débauches, une jeune voleuse solitaire gagne sa vie en cambriolant de riches demeures. Mais tout bascule en une seule nuit. Enlevée, elle est conduite sur le navire d’une reine éplorée qui lui impose une étrange mission : retrouver trois cristaux perdus, trois cristaux aux pouvoirs mystérieux. Mue par une volonté qui n’est pas la sienne, la jeune voleuse se lance dans un long périple qui lui fera rencontrer des individus baroques, excentriques et sans morale. Dans une chasse aux cristaux qui la conduira au bout de ses peurs, au plus profond de ses désirs et aux limites de la mort.

Elle voulait des cristaux. Trois, exactement. Ils étaient aux mains de trois personnages de haut rang : le Baron, Esther et Yvain. Logiquement, les cristaux devaient se trouver avec eux, dans leur demeure. Mission simple : m'introduire, dérober, ramener mon butin. Et moi qui avais passé me vie à faucher, je l'ai regardée avec de grands yeux, indignée qu'une créature comme elle s'abaisse à voler.
(Julie Derussy, Vestiges de Neige)

 
Sur ordre de la Reine, une jeune voleuse se lance à la recherche de trois cristaux aux pouvoirs étranges. En effet, ils pourraient permettre de guérir le fils de la Reine qui est malade. Tout comme le nombre de cristaux à trouver, cette quête est divisée en trois parties bien distinctes. La première se déroule dans un château où la voleuse se fait engager comme domestique avec la ferme intention de subtiliser le cristal au Baron. La seconde trouve place dans un palais de débauche où la voleuse y est docilement emmenée par Léo, un jeune homme dont elle va tomber amoureuse. Rebaptisée « Tourelle » suite à une partie de jeux d’échecs, elle fera la connaissance d’Esther, la propriétaire des lieux, une vieille peau qui vit au milieu de fourrures et qui aime à se rincer l’œil en mâtant les corps nus de ses hôtes pendant qu'ils lui font la lecture. Et pour finir, c’est dans la maison de la famille du vieux Yvain, qui lui a sauvé la vie grâce à un remède qu'il a inventé, que Tourelle sera hébergée. Yvain lui remettra le cristal, à condition qu'elle reste auprès de lui jusqu'à sa mort...
 
J’ai apprécié la diversité des lieux, des personnages et des us et coutumes de chacune des étapes de cette chasse aux cristaux. C'est un peu comme si chaque île était un monde à part entière au coeur de Rivrene. Ce pays de neige et d'eau que parcourt Tourelle à bord de sa petite embarcation se déploie d’archipel en archipel, tel un puzzle géant aux pièces éparpillées. L'idée de présenter de telles différences d'une île à l'autre est non seulement distrayante, mais surtout intéressante, parce que chaque partie du récit pourrait être associée à une étape de la vie. Après l'euphorie d'une trop grande confiance en soi, viennent l'imprudence et l’exagération qui conduisent à l’irréversible, puis se succèdent les phases d’oubli, d’acceptation, de tristesse, puis enfin d’apaisement.
 
« Chasseuse de Cristaux » met en scène une héroïne atypique. Elle n'est franchement pas sympathique, elle est insociable et sujette à des crises de violence qui peuvent surprendre, voire choquer. Difficile de s'identifier à elle. Cela m'aurait plu d'en savoir un peu plus son vécu, de sorte à pouvoir mieux cerner son caractère et mieux comprendre ses réactions. Le fait qu’elle soit pauvre et devenue voleuse n’explique quand même pas tout. Le roman présente par contre des personnages secondaires fort attachants, comme Yvain, Anja et Martial, à qui il est plus facile de s'identifier. On découvre aussi des personnages pittoresques, comme Hortense (alias Madame « un point c'est tout ») ou Esther, et d'autres qui nous touchent et que l'on prend en pitié, comme la Reine, Julieth, Léo, numéro 7, ...
 
Le style de Julie Derussy est concis, parfois même un peu saccadé, mais l'auteure ne pouvait pas être plus juste dans le ton, puisque cet ouvrage est écrit à la première personne. Ce franc parlé, ponctué régulièrement par des piques d'humour ou d'ironie, sied donc à merveille au caractère de son héroïne. J'ajouterai également que son texte ne comporte pas une seule faute, ni coquille, chose plutôt rare de nos jours et qui mérite d'être mentionnée.
 
En conclusion, un pays imaginaire, des lieux surprenants, une quête, du suspense, des personnages intéressants, des situations cocasses et de l’érotisme, ce roman au bénéfice d'une narration dynamique est très plaisant à lire.

Tourelle a tourné le dos à Rivrene et vogue à présent vers un continent brûlant sous un soleil implacable, entre dunes de sable et mines noires d’obsilène.

Pourtant elle ne peut se défaire ni de ses fantômes, ni de ses désirs. Dans ce nouveau pays, exact opposé de son passé de glace et de blancheur et qui semble l'attendre, elle devra partir à la recherche d'elle-même autant que de nouveaux cristaux. Car la quête qu’elle croit avoir laissée derrière elle est loin d’être terminée. Et cette fois-ci, il y va de l'avenir du monde.

Après "Vestiges de neige", Julie Derussy nous propose de suivre son héroïne dans ses "Rêves de sable", le second et dernier volet de sa "Chasseuse de cristaux".

J'habite mes rêves. Obscurité colorée. Parfois j'ouvre les yeux, je m'éveille d'un rêve - ou est-ce le rêve qui m'éveille ? Des yeux de lune s'occupent de moi. Ils me nourrissent et le monde s'accroche à moi. Je suis là, je suis toujours là.
Mais je reviens. Je me sens revenir. C'est plus fort que moi. La vie m'habite. Il faut que je bouge. Je vois ma main se lever, je roule sur moi-même - je suis tombée sur le parquet.
Je reviens.
Je suis une mauvaise herbe.
(Julie Derussy, Rêves de Sable)

Tel le phénix, Tourelle renaît petit à petit de ses cendres et émerge de ses rêves, pour réaliser qu'elle se trouve à bord du bateau de la Reine, aux petits soins d'Hazi, la servante. Lorsque la jeune femme est enfin capable de marcher, elle tente des sorties hors de la chambre et s'aventure sur le pont. Lors de ses escapades quotidiennes, elle fait la connaissance de Renalto, un marin à la barbe rousse, qui lui propose un marché douteux (aux airs de coup d'état !) : la Reine n'étant plus vraiment elle-même depuis qu'elle est accro aux cristaux, il faut la remplacer par une "copie" (déjà toute trouvée) et la faire disparaître en l'emmenant loin de Rivrene. En échange de ce service, Tourelle pourra retrouver sa liberté et quitter le navire. Tourelle, n'aspirant qu'à partir, craque et finit par accepter ce marché. Chose promise, chose due : à la Porte des Vents (port de Rivrene), Renalto débarque Tourelle et la Reine et les informe qu'un bateau les attend pour assurer leur passage pour prendre la mer. Mais au dernier moment, Tourelle décide d'un changement de programme ! En apercevant un homme à la peau noire dans le port, elle choisit d'embarquer sur le navire sur lequel l'homme est en train de monter. Destination : Sirah, une cité située dans sur une terre immense et brûlée par le soleil. C'est donc dans ce pays de sable, au climat à l'opposé de celui de Rivrene, que Tourelle va se lancer à la recherche de nouveaux cristaux et... d'elle-même...

Ce second tome s'ouvre sur la "renaissance" de Tourelle. Je dois dire que l'état "vaseux" de la jeune femme, qui se trouve aux frontières de la conscience et oscille entre rêves et réalité, est bien rendu grâce à une introspection poussée. Ce prologue permet également au lecteur de faire le lien avec les événements et les personnages du premier tome. 

Si j'ai bien aimé le premier livre, j'ai encore plus apprécié celui-ci, et ceci pour plusieurs raisons.

La première concerne Tourelle. Je trouvais l'héroïne pas franchement sympathique, agressive et violente. Il semblerait que ce "voyage intérieur" au pays de l'inconscience lui ait été bénéfique. Après cette renaissance, elle a changé, et en ce qui me concerne, c'est un bon point. Elle conserve bien sûr certains traits de caractère pas toujours plaisants (mais nul n'est parfait !), cependant elle sait mieux gérer ses pulsions et arrondir les angles quand c'est nécessaire. Bref, la maturité lui va bien. Je la trouve même très touchante ainsi.

Ensuite, j'ai bien aimé cette double quête. D'abord celle des cristaux, truffée d'aventure, de rencontres exotiques et brûlantes dans des décors et des cités, certes arides, mais somptueux. Puis celle de la recherche de soi, par le biais de réflexions et grâce à de précieuses amitiés.

Troisièmement, j'ai trouvé l'ensemble du récit plus harmonieux que dans le tome précédent, peut-être du fait que les lieux visités ne sont pas aussi diamétralement différents que précédemment. Je trouve aussi que la narration est moins hachée, ce qui confère une lecture bien agréable. Et les pointes d'humour : géniales !

Et pour finir, un autre point fort de ce tome, ce sont ses personnages secondaires hauts en couleurs et fort attachants. Silve est tout simplement magnifique !

Un petit regret peut-être concerne la fin de cette histoire : elle est un peu rapide, et plutôt qu'ouverte à l'interprétation, je l'aurais préférée plus explicite, à l'instar du franc-parler de Tourelle.

En conclusion : une histoire originale, comprenant de l'aventure, de l'érotisme, des contrées imaginaires, une quête et des personnages atypiques, et le tout très bien écrit. Que demander de plus ? "Chasseuse de Cristaux" est une histoire divertissante qui m'a fait voyager loin de mon quotidien, et que j'ai eu beaucoup de plaisir à lire.