Revue Fiction no 71 | Photo @ Culture Martienne Erwelyn | Collection privée
Réédité une seule fois en 1974, « An premier, Ère spatiale » est un des romans les plus épiques de Nathalie Henneberg.
Combien de fois ai-je descendu de mes rayons ce numéro 71 de la revue Fiction, dont le dessin de couverture de Jean-Claude Forest annonçait le roman de Nathalie Henneberg « An premier, Ère spatiale » ? Encore aujourd’hui, je ressens la même émotion en feuilletant ces pages que le temps a jaunies mais qui recèlent le plus beau, le plus étrange et le plus échevelé de tous les space opéras.
Signé Charles Henneberg et présenté comme son roman posthume, ce livre, comme tout ce qui a été écrit sous son nom, est de la seule plume de sa femme, Nathalie. Elle me l’avait confirmé, Charles Moreau* l’a prouvé aussi de son côté. Cette œuvre n’est donc pas un dernier feu d’artifice, mais au contraire un couronnement, pour ne pas dire l’expression de la maturité d’un talent révélé alors à travers un cycle de nouvelles dans Fiction et par une série de romans : « La Naissance des Dieux », « Le Chant des Astronautes » et « La Rosée du Soleil ».
On fit beaucoup de bruit à l’époque autour de « La Naissance des Dieux » récompensé par le prix Rosny Ainé en 1954. En effet, l’apparition de cet auteur dans le petit monde de la SF française fut assez fracassante. Nathalie Henneberg n’était certes pas une débutante, ayant avant-guerre écrit dans les journaux de l’émigration Wrangel et donné au moins trois ouvrages en langue russe. Mais sa rencontre avec Charles eut une influence considérable sur son écriture et l’architecture de ses intrigues. Elle avait auparavant une approche littéraire typiquement slave, héritée de ses maîtres, Gogol, Dostoïevski ; c’est-à-dire flamboyante, portée par des vagues, à l’image des steppes sans horizon. Charles lui enseigna la méthode, le souci de la vraisemblance. De cette lente transformation sortirent deux excellents romans mêlant souvenirs de guerre et histoire romancée : « Trois Légionnaires » et « Le Sabre d’Islam », signés Dominique Hennemont. Quelques nouvelles et des poèmes précédèrent également ses premiers textes de science-fiction.
De l'alchimie combinant souffle épique et cartésianisme naquit un mariage heureux entre rigueur et fantaisie, ouvrant de nouvelles perspectives aux lecteurs de science-fiction de l’époque. Et ceux-ci ne s’y trompèrent pas, plébiscitant très vite cette œuvre, Nathalie Henneberg introduisant habilement dans ses textes une dimension historique rehaussant des intrigues très classiques. C’est ainsi que le merveilleux légendaire, transposé dans des situations futuristes, imprima à son œuvre une marque de fabrique bien particulière. Le sommet est sans nul doute atteint avec « An premier, Ère spatiale ».
Combien de fois ai-je descendu de mes rayons ce numéro 71 de la revue Fiction, dont le dessin de couverture de Jean-Claude Forest annonçait le roman de Nathalie Henneberg « An premier, Ère spatiale » ? Encore aujourd’hui, je ressens la même émotion en feuilletant ces pages que le temps a jaunies mais qui recèlent le plus beau, le plus étrange et le plus échevelé de tous les space opéras.
Signé Charles Henneberg et présenté comme son roman posthume, ce livre, comme tout ce qui a été écrit sous son nom, est de la seule plume de sa femme, Nathalie. Elle me l’avait confirmé, Charles Moreau* l’a prouvé aussi de son côté. Cette œuvre n’est donc pas un dernier feu d’artifice, mais au contraire un couronnement, pour ne pas dire l’expression de la maturité d’un talent révélé alors à travers un cycle de nouvelles dans Fiction et par une série de romans : « La Naissance des Dieux », « Le Chant des Astronautes » et « La Rosée du Soleil ».
On fit beaucoup de bruit à l’époque autour de « La Naissance des Dieux » récompensé par le prix Rosny Ainé en 1954. En effet, l’apparition de cet auteur dans le petit monde de la SF française fut assez fracassante. Nathalie Henneberg n’était certes pas une débutante, ayant avant-guerre écrit dans les journaux de l’émigration Wrangel et donné au moins trois ouvrages en langue russe. Mais sa rencontre avec Charles eut une influence considérable sur son écriture et l’architecture de ses intrigues. Elle avait auparavant une approche littéraire typiquement slave, héritée de ses maîtres, Gogol, Dostoïevski ; c’est-à-dire flamboyante, portée par des vagues, à l’image des steppes sans horizon. Charles lui enseigna la méthode, le souci de la vraisemblance. De cette lente transformation sortirent deux excellents romans mêlant souvenirs de guerre et histoire romancée : « Trois Légionnaires » et « Le Sabre d’Islam », signés Dominique Hennemont. Quelques nouvelles et des poèmes précédèrent également ses premiers textes de science-fiction.
De l'alchimie combinant souffle épique et cartésianisme naquit un mariage heureux entre rigueur et fantaisie, ouvrant de nouvelles perspectives aux lecteurs de science-fiction de l’époque. Et ceux-ci ne s’y trompèrent pas, plébiscitant très vite cette œuvre, Nathalie Henneberg introduisant habilement dans ses textes une dimension historique rehaussant des intrigues très classiques. C’est ainsi que le merveilleux légendaire, transposé dans des situations futuristes, imprima à son œuvre une marque de fabrique bien particulière. Le sommet est sans nul doute atteint avec « An premier, Ère spatiale ».
Laissons-nous donc emporter par ce récit et les aventures d’Anne de Nangis, mutante, à la fois fragile et impitoyable, qui s’affranchit de l’espace et du temps. Un panel de thèmes s’entrecroisent au fil des pages : l’avenir qui, quelles que soient les difficultés auxquelles ils se heurtent, appartient aux semblables d’Anne; la réincarnation d’amants venus d’un passé fabuleux; l’amour et la haine qui se nourrissent mutuellement et habitent à travers les âges des êtres que le destin s’efforce de réunir pour mieux les déchirer. Ajoutons-y de vertigineuses épopées stellaires, des pouvoirs monstrueux concentrés entre les mains des descendants de l’homme. Certes, on peut sourire à la description de la technologie de ce futur, où fleurissent micro-films, bélinos et autres gadgets désuets qui sentent bon la prospective des années 50. Mais cela a-t-il vraiment de l’importance ?
Car le récit est tout entier porté par une force d’évocation inégalée. Un vocabulaire somptueux conforte une imagination féconde qui nous restitue les rivages d’une Atlantide de rêve. Les mots sonnent comme les notes d’une symphonie, éclatent comme des bourgeons gorgés de sève, emportant le lecteur dans un torrent irrésistible, qui le rejette halluciné sur les rives d’un monde de légende.
Enfin cette histoire est largement autobiographique : on reconnaît dans la mère d’Anne de Nangis celle de l’auteure (avec laquelle elle entretenait des rapports détestables) ; et l'héroïne est une projection de Nathalie Henneberg qui, justement, exerça la profession qu’elle prête à son personnage. Cette mise en scène romancée d’elle-même et de ses proches se retrouve dans presque tous ses ouvrages, idéalisée, avec certainement le désir d’arracher ces gens à l’oubli – donc à la mort. Il y a ainsi plusieurs niveaux de lecture.
Alain Dorémieux** soulignait à juste titre, en présentant jadis cet ouvrage, qu’il ne voyait guère que Sturgeon pour avoir égalé Henneberg sur le plan de l’analyse psychologique, ce qui n’était pas un mince compliment. Ceux « d’An premier, Ère spatiale » sont pour le moins tourmentés, travaillés par des forces opposées, tour à tour faibles ou irrésistibles, terribles mais si… humains !
On peut parler d’épopée, de geste ou de fresque. Il y a dans ces pages le souffle d’un Tschaïkovski, la grandeur d’un Glinka. Union réussie entre envolée lyrique, space opéra, glissement temporel, réincarnation, évocation légendaire, ce roman est un bouquet magnifique.
Malheureusement réédité une seule fois chez Albin Michel en 1974, sous le titre idiot de « Le Mur de la Lumière » (probablement un caprice de G. H. Gallet*** qui voulait faire croire à un inédit), ce chef-d’œuvre n’est disponible qu’au hasard des sites de ventes en ligne, des brocantes ou des librairies spécialisées.
Car le récit est tout entier porté par une force d’évocation inégalée. Un vocabulaire somptueux conforte une imagination féconde qui nous restitue les rivages d’une Atlantide de rêve. Les mots sonnent comme les notes d’une symphonie, éclatent comme des bourgeons gorgés de sève, emportant le lecteur dans un torrent irrésistible, qui le rejette halluciné sur les rives d’un monde de légende.
Enfin cette histoire est largement autobiographique : on reconnaît dans la mère d’Anne de Nangis celle de l’auteure (avec laquelle elle entretenait des rapports détestables) ; et l'héroïne est une projection de Nathalie Henneberg qui, justement, exerça la profession qu’elle prête à son personnage. Cette mise en scène romancée d’elle-même et de ses proches se retrouve dans presque tous ses ouvrages, idéalisée, avec certainement le désir d’arracher ces gens à l’oubli – donc à la mort. Il y a ainsi plusieurs niveaux de lecture.
Alain Dorémieux** soulignait à juste titre, en présentant jadis cet ouvrage, qu’il ne voyait guère que Sturgeon pour avoir égalé Henneberg sur le plan de l’analyse psychologique, ce qui n’était pas un mince compliment. Ceux « d’An premier, Ère spatiale » sont pour le moins tourmentés, travaillés par des forces opposées, tour à tour faibles ou irrésistibles, terribles mais si… humains !
On peut parler d’épopée, de geste ou de fresque. Il y a dans ces pages le souffle d’un Tschaïkovski, la grandeur d’un Glinka. Union réussie entre envolée lyrique, space opéra, glissement temporel, réincarnation, évocation légendaire, ce roman est un bouquet magnifique.
Malheureusement réédité une seule fois chez Albin Michel en 1974, sous le titre idiot de « Le Mur de la Lumière » (probablement un caprice de G. H. Gallet*** qui voulait faire croire à un inédit), ce chef-d’œuvre n’est disponible qu’au hasard des sites de ventes en ligne, des brocantes ou des librairies spécialisées.
Notes
Fiction est une revue de science-fiction française publiée pour la première fois en octobre 1953.
* Charles Moreau : chroniqueur et l'un des plus vieux fans de SF en France
** Alain Dorémieux : rédacteur en chef de la revue Fiction durant 30 années, l'un des grands promoteurs de la SF en France
*** G. H. Gallet : fondateur de la collection Le Rayon Fantastique, l'un des pères de la SF en France
* Charles Moreau : chroniqueur et l'un des plus vieux fans de SF en France
** Alain Dorémieux : rédacteur en chef de la revue Fiction durant 30 années, l'un des grands promoteurs de la SF en France
*** G. H. Gallet : fondateur de la collection Le Rayon Fantastique, l'un des pères de la SF en France