Dimension Skylark 1
Edward Elmer "Doc" Smith (1890-1965) est, à juste titre, considéré comme l'un des pères du "space opera" aux côtés de Edmond Hamilton et de Jack Williamson.
Surtout connu en France pour sa saga des "Fulgur" (Lensmen), Smith est également l'auteur d'une autre série, celle des "Skylark", dont le premier tome fut rédigé en 1919, mais publié seulement en 1928 dans les pages du célèbre magazine Amazing Stories.
Les Skylark, c'est l'histoire de l'inventeur Richard Ballinger Seaton qui, après avoir découvert le secret de la libération contrôlée de l'énergie nucléaire, part avec sa fiancée et ses amis à la conquête de l'espace à bord d'un astronef nommé Skylark. Mais outre les complots de son diabolique rival, le Dr. DuQuesne, Seaton devra également déjouer ceux de maléfiques races extra-terrestres visant la conquête de l'Univers.
Ce volume présente les deux premiers romans de la série. Le premier, jadis publié au Rayon Fantastique en 1954 sous le titre "La Curée des astres", a été entièrement retraduit, réinsérant de nombreuses coupures effectuées dans la version d'Amazing pour la publication en volume. Le deuxième tome était demeuré inédit en France.
Cette édition inclut une préface de Jean-Marc Lofficier, une postface de John W. Campbell, et une bibliographie exhaustive de Smith.
Sommaire :
- Introduction par Jean-Marc Lofficier
- Bibliographie
- Le Skylark de l'Espace (traduction revue et complétée par Jean-Marc Lofficier)
- Skylark III (traduit par Martine Blond)
- Postface de John W. Campbell
The Skylark of Space @ 1973 Pyramid Books | Illustration de couverture @ Jack Gaughan
Analyse de l'oeuvre
📘 Le Skylark de l'Espace ou La Curée des Astres (The Skylark of Space, 1928)
La genèse de la saga Skylark ressemble à celle des super-héros. Un soir, un scientifique se livre à une expérience inédite et, emporté par son enthousiasme, ne prête aucune attention aux conséquences, qui seront cataclysmiques.
Ainsi Edward Elmer Smith, jeune chimiste salarié du Bureau National des Standards à Washington, entame-t-il en 1915 le récit des aventures de Richard « Dick » Seaton et son ami Martin « Mart » Crane. Ce couple masculin se double pour chacun de leurs moitiés, Dorothy « Dottie » Vaneman et Margaret « Peg » Spencer. Cette configuration semble calquée sur l’amitié que se portent les Smith et les Garby, puisque Doc Smith écrit le premier Skylark avec l’épouse de son ancien camarade de promo, Lee Hawkins Garby. On retrouvera le même schéma dans le one-shot The Galaxy Primes, 44 ans plus tard.
D’entrée, il s’agit d’un modèle de hard SF, dans lequel Smith pousse la vraisemblance au maximum des connaissances de son époque. Certes, il crée un matériau inconnu, à la manière de la cavorite de Wells, mais il lui impose de respecter autant que possible les lois de la physique. Tout au long de la saga, nous ne serons pas en reste de leçons sur le taux d’accroissement de la vitesse, la composition chimique d’une atmosphère à peu près respirable, ou encore l’énergie intra-atomique…
En bon conteur, « Doc » Smith crée également un méchant à la hauteur du héros : Marc « Blackie » DuQuesne, son collègue de bureau aussi intelligent qu’ambitieux. Très vite, il saisit l’ampleur des découvertes de Seaton, et s’ingénie à l’égaler en connaissances. C’est une véritable course à la prouesse technique et scientifique que se livrent ces deux hommes. Car c’est une histoire d’hommes, et il faudra bien y revenir.
Pour l’heure, Dick Seaton découvre par hasard les propriétés insoupçonnées du métal X, ce qui le pousse à demander l’appui de Crane, son ami milliardaire qui n’a que ça à faire. À eux deux, ils exploitent en quelques jours la découverte, parce que ce n’est pas un produit miracle à la Ubik, prêt à l’emploi. Il faut développer toute une ingénierie, tout un modèle économique, à la façon des départements R&D des grandes entreprises d’aujourd’hui. En parallèle, DuQuesne poursuit sa propre levée de fonds, plus ou moins légale, pour ne pas perdre de terrain.
L’aboutissement de ce travail acharné est la construction d’un engin spatial, le Skylark de l’espace, littéralement l’Alouette de l’espace. Un nom magnifique pour des aventures merveilleuses. Le sense of wonder opère à travers les yeux de la future Mme Seaton, pour laquelle il y a dans l’homme quelque chose de plus grand que le monde visible, « sinon nous ne voyagerions pas dans une merveille telle que le Skylark ». Merveille tout confort, soit dit en passant. Nous sommes avec des Américains modernes, qui voyagent avec leur cuisinier, ont l'eau courante et l'électricité, et du papier peint sur les murs de leurs cabines.
Le périple ne fait pas l’économie de rencontres inattendues. Nos aventuriers découvrent la planète Osnome, tels les explorateurs du XVIe siècle. Ils peuvent même procéder à du troc, puisque ces indigènes manquent de chlore et de sodium, une denrée si abondante pour les Terriens que l’échange ne leur coûte rien, mais rapporte gros. On vous l’a dit, ce sont des Occidentaux bon teint, les vieux réflexes de colons ne sont pas bien loin, et c’est à ça qu’on voit que certains futurs peuvent s’avérer dépassés.
De même, la religion osnomienne ressemble à un darwinisme élevé au rang de fétichisme, et elle est fondée sur un pur déterminisme économique. Ils croient en un Être Suprême qu’ils appellent Cause Première. Leur existence résulte d’une adaptation à leur environnement après des siècles d’eugénisme (élimination des handicapés et des faibles) et d’hygiénisme. Certaines idées circulaient déjà dans le monde occidental, avant la naissance du parti national socialiste en Allemagne…
Autre signe d’une époque révolue, l’évocation d’une race « à l’intelligence rudimentaire, qui ne peut subsister que dans la condition d’esclave » n’émeut pas plus que ça les explorateurs. Ils soutiendront les maîtres de ces esclaves dans leur guerre avec leurs principaux concurrents, leur assurant un monopole sur leur planète, et ne remettront jamais en cause leurs pratiques.
Plus largement, le soutien de Seaton au peuple de Kondal contre Mardonale ressemble à celui qu’apportent les États-Unis aux Alliés européens au cours de la Première Guerre Mondiale(1). Un équilibre de la Terreur trouve même sa justification, malgré l’escalade de l’armement. L’idée étant de dire que chaque guerre remet les compteurs à zéro, donc l’annihilation mutuelle n’arrive jamais, sauf dans le cas présent. Heureusement, Dick Seaton est là, et évite le pire.
Cette première aventure est de facture assez classique, avec l’enlèvement de la jeune femme par le méchant, puis son sauvetage par le héros, mais tous ces codes sont très bien maîtrisés par « Doc » Smith, et on suit les péripéties avec entrain. Ce qui semble neuf, c’est la façon de réhabiliter pour un temps le vilain DuQuesne, qui se retrouve membre à part entière de l’équipage du Skylark. Sa personnalité trouble nous fait craindre à chaque instant une vilenie, et nous tient en haleine jusqu’au bout.
S’il faut toujours être prudent quand on loue par rétrospection le prophétisme d’un récit d’anticipation, certaines trouvailles de Skylark étonnent par ce qu’elles préfigurent. On pense aux portables avec les radiotéléphones, ainsi qu’au GPS avec le très utile compas-guideur, capable de suivre à la trace n’importe quel objet (parfois à des années-lumière de distance !).
La genèse de la saga Skylark ressemble à celle des super-héros. Un soir, un scientifique se livre à une expérience inédite et, emporté par son enthousiasme, ne prête aucune attention aux conséquences, qui seront cataclysmiques.
Ainsi Edward Elmer Smith, jeune chimiste salarié du Bureau National des Standards à Washington, entame-t-il en 1915 le récit des aventures de Richard « Dick » Seaton et son ami Martin « Mart » Crane. Ce couple masculin se double pour chacun de leurs moitiés, Dorothy « Dottie » Vaneman et Margaret « Peg » Spencer. Cette configuration semble calquée sur l’amitié que se portent les Smith et les Garby, puisque Doc Smith écrit le premier Skylark avec l’épouse de son ancien camarade de promo, Lee Hawkins Garby. On retrouvera le même schéma dans le one-shot The Galaxy Primes, 44 ans plus tard.
D’entrée, il s’agit d’un modèle de hard SF, dans lequel Smith pousse la vraisemblance au maximum des connaissances de son époque. Certes, il crée un matériau inconnu, à la manière de la cavorite de Wells, mais il lui impose de respecter autant que possible les lois de la physique. Tout au long de la saga, nous ne serons pas en reste de leçons sur le taux d’accroissement de la vitesse, la composition chimique d’une atmosphère à peu près respirable, ou encore l’énergie intra-atomique…
En bon conteur, « Doc » Smith crée également un méchant à la hauteur du héros : Marc « Blackie » DuQuesne, son collègue de bureau aussi intelligent qu’ambitieux. Très vite, il saisit l’ampleur des découvertes de Seaton, et s’ingénie à l’égaler en connaissances. C’est une véritable course à la prouesse technique et scientifique que se livrent ces deux hommes. Car c’est une histoire d’hommes, et il faudra bien y revenir.
Pour l’heure, Dick Seaton découvre par hasard les propriétés insoupçonnées du métal X, ce qui le pousse à demander l’appui de Crane, son ami milliardaire qui n’a que ça à faire. À eux deux, ils exploitent en quelques jours la découverte, parce que ce n’est pas un produit miracle à la Ubik, prêt à l’emploi. Il faut développer toute une ingénierie, tout un modèle économique, à la façon des départements R&D des grandes entreprises d’aujourd’hui. En parallèle, DuQuesne poursuit sa propre levée de fonds, plus ou moins légale, pour ne pas perdre de terrain.
L’aboutissement de ce travail acharné est la construction d’un engin spatial, le Skylark de l’espace, littéralement l’Alouette de l’espace. Un nom magnifique pour des aventures merveilleuses. Le sense of wonder opère à travers les yeux de la future Mme Seaton, pour laquelle il y a dans l’homme quelque chose de plus grand que le monde visible, « sinon nous ne voyagerions pas dans une merveille telle que le Skylark ». Merveille tout confort, soit dit en passant. Nous sommes avec des Américains modernes, qui voyagent avec leur cuisinier, ont l'eau courante et l'électricité, et du papier peint sur les murs de leurs cabines.
Le périple ne fait pas l’économie de rencontres inattendues. Nos aventuriers découvrent la planète Osnome, tels les explorateurs du XVIe siècle. Ils peuvent même procéder à du troc, puisque ces indigènes manquent de chlore et de sodium, une denrée si abondante pour les Terriens que l’échange ne leur coûte rien, mais rapporte gros. On vous l’a dit, ce sont des Occidentaux bon teint, les vieux réflexes de colons ne sont pas bien loin, et c’est à ça qu’on voit que certains futurs peuvent s’avérer dépassés.
De même, la religion osnomienne ressemble à un darwinisme élevé au rang de fétichisme, et elle est fondée sur un pur déterminisme économique. Ils croient en un Être Suprême qu’ils appellent Cause Première. Leur existence résulte d’une adaptation à leur environnement après des siècles d’eugénisme (élimination des handicapés et des faibles) et d’hygiénisme. Certaines idées circulaient déjà dans le monde occidental, avant la naissance du parti national socialiste en Allemagne…
Autre signe d’une époque révolue, l’évocation d’une race « à l’intelligence rudimentaire, qui ne peut subsister que dans la condition d’esclave » n’émeut pas plus que ça les explorateurs. Ils soutiendront les maîtres de ces esclaves dans leur guerre avec leurs principaux concurrents, leur assurant un monopole sur leur planète, et ne remettront jamais en cause leurs pratiques.
Plus largement, le soutien de Seaton au peuple de Kondal contre Mardonale ressemble à celui qu’apportent les États-Unis aux Alliés européens au cours de la Première Guerre Mondiale(1). Un équilibre de la Terreur trouve même sa justification, malgré l’escalade de l’armement. L’idée étant de dire que chaque guerre remet les compteurs à zéro, donc l’annihilation mutuelle n’arrive jamais, sauf dans le cas présent. Heureusement, Dick Seaton est là, et évite le pire.
Cette première aventure est de facture assez classique, avec l’enlèvement de la jeune femme par le méchant, puis son sauvetage par le héros, mais tous ces codes sont très bien maîtrisés par « Doc » Smith, et on suit les péripéties avec entrain. Ce qui semble neuf, c’est la façon de réhabiliter pour un temps le vilain DuQuesne, qui se retrouve membre à part entière de l’équipage du Skylark. Sa personnalité trouble nous fait craindre à chaque instant une vilenie, et nous tient en haleine jusqu’au bout.
S’il faut toujours être prudent quand on loue par rétrospection le prophétisme d’un récit d’anticipation, certaines trouvailles de Skylark étonnent par ce qu’elles préfigurent. On pense aux portables avec les radiotéléphones, ainsi qu’au GPS avec le très utile compas-guideur, capable de suivre à la trace n’importe quel objet (parfois à des années-lumière de distance !).
Skylark Three @ 1973 Pyramid Books | Illustration de couverture @ Jack Gaughan
📘 Skylark III (Skylark Three, 1930)
« À tous les esprits avertis en matière de science qui auront l’occasion de lire Skylark III, bienvenue. » Avant de laisser entamer la lecture du deuxième volet de la saga, troublant par son titre même, « Doc » Smith prend le temps de répondre aux critiques soulevées par le premier roman. Certes, il a « pris certaines libertés avec plusieurs théories acceptées plus ou moins généralement », mais à dessein, notamment quand il fallait servir « le développement logique de l’histoire ». En outre, il ne confesse que deux impossibilités mathématiques, et soutient que tout le reste ne viole en rien le domaine des connaissances de son temps.
Cet avant-propos est plus que nécessaire pour la suite car son héros, Dick Seaton, va remplir son rôle de repousser les limites du possible. « Doc » Smith l’avoue en préambule : « mon but a été de dépeindre l’improbable extrême ». Alors, allons-y !
Nous retrouvons Blackie DuQuesne, de retour de l’aventure précédente. Malgré lui, il dut assister Seaton dans son combat sur la planète Osnome. Cantonné au second rôle, il compte bien rompre le pacte de non-agression scellé temporairement avec son ennemi juré. Il repart à la conquête du pouvoir !
Pendant ce temps, les Seaton et les Crane goûtent à la paix de la vie conjugale, sur Terre. Dick n’en trépigne pas moins, frustré par toutes les possibilités qui s’ouvrent à lui après les découvertes qu’il a effectuées. Après avoir mené une guerre planétaire, conçu un vaisseau spatial, rencontré des extraterrestres, peut-il reprendre une vie normale ? Question rhétorique.
Heureusement, leurs alliés d’Osnome viennent rompre leur ennui, avec un problème de taille : une nouvelle menace pèse sur leur système stellaire. Des méchants encore plus méchants que ceux d’avant, les Fenachrones, qui exterminent implacablement les Osnomiens. Nous sommes pourtant en 1930, mais c’est bien le jeu des alliances qui provoque un effet domino et amène à ce qui est textuellement désigné comme une « guerre totale ».
Qu’importe, il n’en fallait pas plus comme prétexte pour que Seaton se lance lui-même dans une guerre d’éradication, un génocide assumé, justifié par l’ignominie des principaux concernés(2). Il ira assez loin dans la compromission, déjà fort de son expérience lors du précédent conflit qui a fait des millions de morts. Ainsi son « éducateur », une machine qu’il a bricolée pour apprendre la langue des aliens, et réciproquement, devient un instrument par lequel il peut lire les pensées des autres, de gré ou de force, au risque même de « cramer le cerveau d’un homme »(3). Pire, à l’abri d’une alliance de circonstance, il prépare une solution finale, mais ce n’est pas lui qui appuiera sur le bouton. À cette époque, Oppenheimer n’est encore qu’un jeune prof de Berkeley, mais la question de la responsabilité des pères de la bombe est déjà posée, plus forte encore que Socrate pointant les incohérences de Gorgias(4).
Il faut s’arrêter un instant sur Dick Seaton. Omniprésent, omniscient, omnipotent, omnichiant. Il est athlétique, d’un naturel rapide, l’un des meilleurs magiciens amateurs du pays(5), mais aussi stratège, capable d’absorber le savoir de civilisations millénaires, et va jusqu’à s’autoproclamer Stellarque, le monarque de dimension stellaire. Sky is the limit, son royaume est l’Univers. N’oublions pas que nous sommes dans l’entre-deux guerres, le mythe du Surhomme n’infuse pas qu’en Allemagne. Seaton pourrait s’en sortir assez bien dans la réalité alternative du Maître du Haut-Château, je pourrais même lui trouver une parenté avec le Feric Jaggar de Rêve de fer. Mais c’est l’Amérique, la Destinée Manifeste a ceci de particulier qu’elle porte l’idéologie du Sauveur Blanc, tout en prétérition : « je n’avais pas envisagé de prendre un rôle actif dans la conduite des affaires de ce système, (…) mais j’ai décidé de prendre le contrôle de tout ce système et je vous laisse le choix, collaborer avec moi ou être privés de tous moyens d’agression » (sous-entendu anéantissement total).
On a beau dépeindre DuQuesne comme un homme cupide, sans foi ni loi, Seaton ne s’encombre pas plus de morale. Il faut voir le peu d’émotion que provoque la mort de celui qu’il torture : « pauvre diable, il a claqué…, cependant ça nous rend la tâche plus facile ». Les antagonistes partagent des valeurs proprement américaines. Si DuQuesne dit « mon propre monde qui est d’ores et déjà ma propriété privée », il n’est pas loin de la loi Stand-your-Ground de 2005 à laquelle souscrirait Seaton sans hésiter. Ces similarités ont certainement ceci de gênant que ces personnages nous ressemblent, aussi exceptionnels soient-ils. Ce sont des enragés, des acharnés, des types vénères, qui nous renvoient une image pas si déformée de nous-mêmes(6).
J’achève ce tableau de l’homme parfait par le sexisme qui émaille les récits de « Doc » Smith. S’il faut garder en tête que l’histoire a presque un siècle, on ne peut s’empêcher de bondir chaque fois que Seaton appelle sa femme « ma petite », la rabaisse ou lui coupe carrément le sifflet. Ainsi, quand il lui demande de narrer la cosmogonie osnomienne, Dottie s’acquitte assez bien de sa tâche jusqu’à ce qu’il l’interrompe en plein milieu de sa phrase : « c’est assez, notre adorable rouquine connaît parfaitement sa leçon » (il parle de sa femme, qui est dans la même pièce !) et il explique lui-même ce qu’elle n’a pas pu finir d’exposer. Le mansplaining à son meilleur. Et même si cela prête à rire tant Seaton est ridicule dans son masculinisme, il faut se rappeler que tout ça est au premier degré. « Doc » Smith ne brille pas davantage par son élégance quand il réécrit le premier Skylark en 1958, en supprimant toutes les parties créées par Lee Garby. Un vrai manque de classe consistant à invisibiliser une femme et à s’arroger tout le crédit de cette œuvre dont ils étaient co-auteurs(7).
Malgré tous ses travers, Skylark III est un grand récit d’aventures spatiales, du space opera avant même que le genre soit inventé. « Doc » Smith se déchaîne et invente mille merveilles. Outre l’éducateur dont nous avons parlé, il faut citer la visioplaque, les machines-outils osnomiennes (des robots industriels), le rayon de tantième magnitude(8), les univers-îles, et le moteur spatio-annihilateur des Fenachrones qui anticipe le warp-drive d’Alcubierre jusque dans la manière qu’il a d’agir sur chaque molécule autour du vaisseau. Il y a aussi les cristaux jumeaux synchronisés des Norlaminiens, une autre espèce extraterrestre qui semble avoir trouvé une application à l’intrication quantique, et les proto-ordinateurs de Rovol (« une machine qui ressemblait un peu à une calculatrice géante et extrêmement complexe »)(9). Et les intuitions scientifiques de « Doc » Smith : l’éditeur nous apprend qu’il pressent cinq ans à l’avance les expériences de Fermi qui conduiront à la fission nucléaire.
La force de l’auteur est de plonger ses personnages dans des situations inédites qu’il doit résoudre. Ainsi a-t-il l’obligation, à un moment donné de répondre à certaines contradictions. Il confie à Peg, l’épouse de Crane, le rôle de poser la question qui nous brûle les lèvres : pourquoi diable tous les êtres intelligents qu’ils croisent dans les coins les plus reculés des galaxies ressemblent-ils tous à des humains ? Que ce soient les Osnomiens, les Fenachrones, les Norlaminiens ou les habitants de Dasor, la forme bipède, deux-bras-deux-jambes, la tête en haut et le cul en bas, prévaut. Voilà Mansplainer-Seaton coincé dans les cordes ! Eh bien non ! Comme dirait le docteur Helmut Perchu, il a explication : « l’Homme est la plus haute forme de vie sur Terre… du moins selon notre opinion et pour ce que nous en savons » (humble Destinée Manifeste), donc s’ils rencontrent des planètes avec des conditions d’habitabilité similaires à la Terre, alors il est normal que la forme de vie la plus évoluée leur ressemble. CQFD sur un air de La Calva et Arcusa.
Parmi ces formes de vies, la rencontre des hommes-marsouins de Dasor est la plus incroyable décrite jusqu’ici. Du premier contact en orbite jusqu’à la plongée dans leur monde-océan, on voudrait presque voir tout ça sur grand écran. Leur système de transport urbain est d’ailleurs fascinant : six tubes convoient cinq mille personnes à la minute, parfois vingt tubes sur les secteurs les plus fréquentés, pour une traversée de la cité en moins de dix minutes. Et tout ça tourne à merveille, car le trafic est contrôlé par des machines avec des systèmes de déviation et de gestion des fortes charges.
Il ne manque au peuple de Dasor que l’énergie pour se développer davantage, ce que Seaton leur pourvoira. Il y a une évolution depuis The Skylark of Space, très colonial dans sa rencontre avec les peuples premiers. Ici, ils ont affaire à une civilisation déjà avancée, le visiteur ne leur apporte qu’une modernisation de leurs technologies, de la même manière que l’Amérique a inondé l’Europe de ses biens de consommation. Aujourd’hui, on penserait aux missions de développement international qui apportent l’industrie tels des Prométhées aux pays pauvres. Vous produisez votre électricité au charbon ? Passez au nucléaire !
Malgré tout, on suit cette histoire comme la précédente, accroché aux pages, secoué par les rebondissements qui surviennent à chaque paragraphe. Si ça finit mal, voire très mal, pour certains, on imagine bien que Seaton s’en sort sans une poussière sur ses godasses. Il a alors le temps d’envisager de retourner sur la première planète qu’ils ont visitée, et de l’explorer pacifiquement. Il le sent et le dit à Marty : dans ce monde en apparence inhabité, il pourrait se cacher « une forme de vie qui ferait retrousser les moustaches à ton grand-père. »
Au fait, qu’est-il arrivé à DuQuesne ?
« À tous les esprits avertis en matière de science qui auront l’occasion de lire Skylark III, bienvenue. » Avant de laisser entamer la lecture du deuxième volet de la saga, troublant par son titre même, « Doc » Smith prend le temps de répondre aux critiques soulevées par le premier roman. Certes, il a « pris certaines libertés avec plusieurs théories acceptées plus ou moins généralement », mais à dessein, notamment quand il fallait servir « le développement logique de l’histoire ». En outre, il ne confesse que deux impossibilités mathématiques, et soutient que tout le reste ne viole en rien le domaine des connaissances de son temps.
Cet avant-propos est plus que nécessaire pour la suite car son héros, Dick Seaton, va remplir son rôle de repousser les limites du possible. « Doc » Smith l’avoue en préambule : « mon but a été de dépeindre l’improbable extrême ». Alors, allons-y !
Nous retrouvons Blackie DuQuesne, de retour de l’aventure précédente. Malgré lui, il dut assister Seaton dans son combat sur la planète Osnome. Cantonné au second rôle, il compte bien rompre le pacte de non-agression scellé temporairement avec son ennemi juré. Il repart à la conquête du pouvoir !
Pendant ce temps, les Seaton et les Crane goûtent à la paix de la vie conjugale, sur Terre. Dick n’en trépigne pas moins, frustré par toutes les possibilités qui s’ouvrent à lui après les découvertes qu’il a effectuées. Après avoir mené une guerre planétaire, conçu un vaisseau spatial, rencontré des extraterrestres, peut-il reprendre une vie normale ? Question rhétorique.
Heureusement, leurs alliés d’Osnome viennent rompre leur ennui, avec un problème de taille : une nouvelle menace pèse sur leur système stellaire. Des méchants encore plus méchants que ceux d’avant, les Fenachrones, qui exterminent implacablement les Osnomiens. Nous sommes pourtant en 1930, mais c’est bien le jeu des alliances qui provoque un effet domino et amène à ce qui est textuellement désigné comme une « guerre totale ».
Qu’importe, il n’en fallait pas plus comme prétexte pour que Seaton se lance lui-même dans une guerre d’éradication, un génocide assumé, justifié par l’ignominie des principaux concernés(2). Il ira assez loin dans la compromission, déjà fort de son expérience lors du précédent conflit qui a fait des millions de morts. Ainsi son « éducateur », une machine qu’il a bricolée pour apprendre la langue des aliens, et réciproquement, devient un instrument par lequel il peut lire les pensées des autres, de gré ou de force, au risque même de « cramer le cerveau d’un homme »(3). Pire, à l’abri d’une alliance de circonstance, il prépare une solution finale, mais ce n’est pas lui qui appuiera sur le bouton. À cette époque, Oppenheimer n’est encore qu’un jeune prof de Berkeley, mais la question de la responsabilité des pères de la bombe est déjà posée, plus forte encore que Socrate pointant les incohérences de Gorgias(4).
Il faut s’arrêter un instant sur Dick Seaton. Omniprésent, omniscient, omnipotent, omnichiant. Il est athlétique, d’un naturel rapide, l’un des meilleurs magiciens amateurs du pays(5), mais aussi stratège, capable d’absorber le savoir de civilisations millénaires, et va jusqu’à s’autoproclamer Stellarque, le monarque de dimension stellaire. Sky is the limit, son royaume est l’Univers. N’oublions pas que nous sommes dans l’entre-deux guerres, le mythe du Surhomme n’infuse pas qu’en Allemagne. Seaton pourrait s’en sortir assez bien dans la réalité alternative du Maître du Haut-Château, je pourrais même lui trouver une parenté avec le Feric Jaggar de Rêve de fer. Mais c’est l’Amérique, la Destinée Manifeste a ceci de particulier qu’elle porte l’idéologie du Sauveur Blanc, tout en prétérition : « je n’avais pas envisagé de prendre un rôle actif dans la conduite des affaires de ce système, (…) mais j’ai décidé de prendre le contrôle de tout ce système et je vous laisse le choix, collaborer avec moi ou être privés de tous moyens d’agression » (sous-entendu anéantissement total).
On a beau dépeindre DuQuesne comme un homme cupide, sans foi ni loi, Seaton ne s’encombre pas plus de morale. Il faut voir le peu d’émotion que provoque la mort de celui qu’il torture : « pauvre diable, il a claqué…, cependant ça nous rend la tâche plus facile ». Les antagonistes partagent des valeurs proprement américaines. Si DuQuesne dit « mon propre monde qui est d’ores et déjà ma propriété privée », il n’est pas loin de la loi Stand-your-Ground de 2005 à laquelle souscrirait Seaton sans hésiter. Ces similarités ont certainement ceci de gênant que ces personnages nous ressemblent, aussi exceptionnels soient-ils. Ce sont des enragés, des acharnés, des types vénères, qui nous renvoient une image pas si déformée de nous-mêmes(6).
J’achève ce tableau de l’homme parfait par le sexisme qui émaille les récits de « Doc » Smith. S’il faut garder en tête que l’histoire a presque un siècle, on ne peut s’empêcher de bondir chaque fois que Seaton appelle sa femme « ma petite », la rabaisse ou lui coupe carrément le sifflet. Ainsi, quand il lui demande de narrer la cosmogonie osnomienne, Dottie s’acquitte assez bien de sa tâche jusqu’à ce qu’il l’interrompe en plein milieu de sa phrase : « c’est assez, notre adorable rouquine connaît parfaitement sa leçon » (il parle de sa femme, qui est dans la même pièce !) et il explique lui-même ce qu’elle n’a pas pu finir d’exposer. Le mansplaining à son meilleur. Et même si cela prête à rire tant Seaton est ridicule dans son masculinisme, il faut se rappeler que tout ça est au premier degré. « Doc » Smith ne brille pas davantage par son élégance quand il réécrit le premier Skylark en 1958, en supprimant toutes les parties créées par Lee Garby. Un vrai manque de classe consistant à invisibiliser une femme et à s’arroger tout le crédit de cette œuvre dont ils étaient co-auteurs(7).
Malgré tous ses travers, Skylark III est un grand récit d’aventures spatiales, du space opera avant même que le genre soit inventé. « Doc » Smith se déchaîne et invente mille merveilles. Outre l’éducateur dont nous avons parlé, il faut citer la visioplaque, les machines-outils osnomiennes (des robots industriels), le rayon de tantième magnitude(8), les univers-îles, et le moteur spatio-annihilateur des Fenachrones qui anticipe le warp-drive d’Alcubierre jusque dans la manière qu’il a d’agir sur chaque molécule autour du vaisseau. Il y a aussi les cristaux jumeaux synchronisés des Norlaminiens, une autre espèce extraterrestre qui semble avoir trouvé une application à l’intrication quantique, et les proto-ordinateurs de Rovol (« une machine qui ressemblait un peu à une calculatrice géante et extrêmement complexe »)(9). Et les intuitions scientifiques de « Doc » Smith : l’éditeur nous apprend qu’il pressent cinq ans à l’avance les expériences de Fermi qui conduiront à la fission nucléaire.
La force de l’auteur est de plonger ses personnages dans des situations inédites qu’il doit résoudre. Ainsi a-t-il l’obligation, à un moment donné de répondre à certaines contradictions. Il confie à Peg, l’épouse de Crane, le rôle de poser la question qui nous brûle les lèvres : pourquoi diable tous les êtres intelligents qu’ils croisent dans les coins les plus reculés des galaxies ressemblent-ils tous à des humains ? Que ce soient les Osnomiens, les Fenachrones, les Norlaminiens ou les habitants de Dasor, la forme bipède, deux-bras-deux-jambes, la tête en haut et le cul en bas, prévaut. Voilà Mansplainer-Seaton coincé dans les cordes ! Eh bien non ! Comme dirait le docteur Helmut Perchu, il a explication : « l’Homme est la plus haute forme de vie sur Terre… du moins selon notre opinion et pour ce que nous en savons » (humble Destinée Manifeste), donc s’ils rencontrent des planètes avec des conditions d’habitabilité similaires à la Terre, alors il est normal que la forme de vie la plus évoluée leur ressemble. CQFD sur un air de La Calva et Arcusa.
Parmi ces formes de vies, la rencontre des hommes-marsouins de Dasor est la plus incroyable décrite jusqu’ici. Du premier contact en orbite jusqu’à la plongée dans leur monde-océan, on voudrait presque voir tout ça sur grand écran. Leur système de transport urbain est d’ailleurs fascinant : six tubes convoient cinq mille personnes à la minute, parfois vingt tubes sur les secteurs les plus fréquentés, pour une traversée de la cité en moins de dix minutes. Et tout ça tourne à merveille, car le trafic est contrôlé par des machines avec des systèmes de déviation et de gestion des fortes charges.
Il ne manque au peuple de Dasor que l’énergie pour se développer davantage, ce que Seaton leur pourvoira. Il y a une évolution depuis The Skylark of Space, très colonial dans sa rencontre avec les peuples premiers. Ici, ils ont affaire à une civilisation déjà avancée, le visiteur ne leur apporte qu’une modernisation de leurs technologies, de la même manière que l’Amérique a inondé l’Europe de ses biens de consommation. Aujourd’hui, on penserait aux missions de développement international qui apportent l’industrie tels des Prométhées aux pays pauvres. Vous produisez votre électricité au charbon ? Passez au nucléaire !
Malgré tout, on suit cette histoire comme la précédente, accroché aux pages, secoué par les rebondissements qui surviennent à chaque paragraphe. Si ça finit mal, voire très mal, pour certains, on imagine bien que Seaton s’en sort sans une poussière sur ses godasses. Il a alors le temps d’envisager de retourner sur la première planète qu’ils ont visitée, et de l’explorer pacifiquement. Il le sent et le dit à Marty : dans ce monde en apparence inhabité, il pourrait se cacher « une forme de vie qui ferait retrousser les moustaches à ton grand-père. »
Au fait, qu’est-il arrivé à DuQuesne ?
📜 Notes :
(1) « Doc » Smith achève l’écriture du premier Skylark en 1919.
(2) « Il fallait le faire, bien sûr… c’était eux ou bien tout le reste de l’Univers. »
(3) En termes d’anticipation, l’éducateur a quelque chose qui annoncerait avec des décennies d’avance le cyberpunk (donwload par le transfert de connaissances, upload par l’enregistrement du cerveau sur bande magnétique, etc.), on peut penser aux programmes d’apprentissage rapide téléchargés par Neo dans Matrix pour apprendre les arts martiaux, par exemple.
(4) Le maître est-il responsable d’un mésusage des techniques qu’il a enseignées à son élève ? Oui s’il n’a pas fondé en raison la notion d’usage juste, mais a postulé une forme de justice à géométrie variable. Les Américains sont doués pour dire qu’ils tuent pour le bien ceux qui tuent pour le mal, sans se préoccuper du fait que tuer demeure la problématique centrale.
(5) Le côté entertainer-entrepreneur surdoué est un archétype américain, de Thomas Edison à Charles Branson, voire Trump.
(6) Ce « nous » désigne les mâles blancs de plus et moins de cinquante ans.
(7) Il faut saluer ici le travail éditorial de Jean-Marc Lofficier, qui ne s’est pas contenté de la version tronquée de 54, la seule connue en France sous le titre La Curée des Astres, mais a repris la version originale de 1928 avec Lee Garby, tout en laissant voir les ajouts et les coupes franches de « Doc » Smith.
(8) C’est l’ansible alors qu’Orson Scott Card n’est même pas né : communication instantanée, matérialisation, projection holographique, écoute les conversations, rembobine les événements passés…
(9) À cette occasion Seaton a une sortie qui m’a fait beaucoup rire et me l’a rendu un peu plus sympathique : « Wow ! On dirait un millefeuille de cauchemar imaginé par une meute de sténographes, de joueurs d’orgue et de vétérans de la radio ! »
(1) « Doc » Smith achève l’écriture du premier Skylark en 1919.
(2) « Il fallait le faire, bien sûr… c’était eux ou bien tout le reste de l’Univers. »
(3) En termes d’anticipation, l’éducateur a quelque chose qui annoncerait avec des décennies d’avance le cyberpunk (donwload par le transfert de connaissances, upload par l’enregistrement du cerveau sur bande magnétique, etc.), on peut penser aux programmes d’apprentissage rapide téléchargés par Neo dans Matrix pour apprendre les arts martiaux, par exemple.
(4) Le maître est-il responsable d’un mésusage des techniques qu’il a enseignées à son élève ? Oui s’il n’a pas fondé en raison la notion d’usage juste, mais a postulé une forme de justice à géométrie variable. Les Américains sont doués pour dire qu’ils tuent pour le bien ceux qui tuent pour le mal, sans se préoccuper du fait que tuer demeure la problématique centrale.
(5) Le côté entertainer-entrepreneur surdoué est un archétype américain, de Thomas Edison à Charles Branson, voire Trump.
(6) Ce « nous » désigne les mâles blancs de plus et moins de cinquante ans.
(7) Il faut saluer ici le travail éditorial de Jean-Marc Lofficier, qui ne s’est pas contenté de la version tronquée de 54, la seule connue en France sous le titre La Curée des Astres, mais a repris la version originale de 1928 avec Lee Garby, tout en laissant voir les ajouts et les coupes franches de « Doc » Smith.
(8) C’est l’ansible alors qu’Orson Scott Card n’est même pas né : communication instantanée, matérialisation, projection holographique, écoute les conversations, rembobine les événements passés…
(9) À cette occasion Seaton a une sortie qui m’a fait beaucoup rire et me l’a rendu un peu plus sympathique : « Wow ! On dirait un millefeuille de cauchemar imaginé par une meute de sténographes, de joueurs d’orgue et de vétérans de la radio ! »
Le Skylark de Valeron (Skylark 2)
Sous le regard d’horreur impuissante du Valeronien, cette peau singulière s’étira localement en un pseudopode vaporeux, et un énorme œil cyclopéen germa. Plus qu’un œil, c’était un organe spécialisé pour un sens particulier que les Humains n’ont jamais possédé,
Edward Elmer "Doc" Smith (1890-1965) est, à juste titre, considéré comme l’un des pères du "space opera" aux côtés de Edmond Hamilton et de Jack Williamson.
Surtout connu en France pour sa saga des "Fulgur" (Lensmen), Smith est également l’auteur d’une autre série, celle des "Skylark", dont le premier tome fut rédigé en 1919, mais publié seulement en 1928 dans les pages du célèbre magazine Amazing Stories.
Les Skylark, c’est l’histoire de l’inventeur Richard Ballinger Seaton qui, après avoir découvert le secret de la libération contrôlée de l’énergie nucléaire, part avec sa fiancée et ses amis à la conquête de l’espace à bord d’un astronef nommé Skylark. Mais outre les complots de son diabolique rival, le Dr. DuQuesne, Seaton devra également déjouer ceux de maléfiques races extra-terrestres visant la conquête de l’Univers.
Ce volume présente le troisième roman, jusqu’ici inédit, de la saga, traduit par Martine Blond, et accompagné d’une préface de “Doc” Smith en personne !
Sommaire :
- Introduction : Comment j'écrivis mes space operas par E.E. "Doc" Smith (traduit par J.-M. Lofficier)
- Le Skylark de Valeron (traduit par Martine Blond)
Skylark of Valeron @ 1973 Pyramid Books | Illustration de couverture @ Ed Emshwiller
Analyse de l'oeuvre
📘 Le Skylark de Valeron (Skylark of Valeron, 1934)
Petit moment de pause dans la cavalcade de nos cow boys, « Doc » Smith prononce une conférence en 1940 à la Convention Mondiale de la SF de Chicago, intitulée Comment j’ai écrit mes spaces operas. Après avoir rendu hommage à ses pairs (Campbell, Heinlein, Lovecraft, Van Vogt, et même Catherine L. Moore, une femme !), il s’attelle à la difficile tâche d’analyser de quoi sont faites ses histoires. Très vite, il se positionne en retrait des cracheurs de lignes qui ne produisent que des récits d’aventures pour « ceux dont le crâne semble uniquement destiné à séparer leurs deux oreilles », et revendique de faire œuvre de littérature.
Puis il délivre ses conseils en matière d’écriture : « outre l’action, une bonne histoire doit également contenir de la profondeur et présenter une atmosphère afin de conférer au récit de l’authenticité et de la vraisemblance. » Bien construire ses personnages est également crucial, tout comme soigner ses descriptions et instiller une visée philosophique.
Ce qui est marquant dans cet exposé, c’est la défense des partis pris de l’auteur, quel qu’il soit. Tous sont injustement taxés de « verbiage » et méritent qu’on s’attarde à les relire, à faire confiance à des développements qui semblent superflus mais servent un but précis, et à tenter de capter ce qui se passe entre les lignes(1). Ce passage est touchant : « certains auteurs réussissent mieux que d’autres. Il existe des artistes médiocres, des tâcherons de la littérature. En fait, je me demande parfois si un artiste, quel qu’il soit, parvient jamais à réaliser le tableau parfait qu’il souhaitait composer initialement. » Outre la justesse du propos, il est rare que les auteurs soient désignés comme des artistes.
La suite détaille la méthode de travail de « Doc » Smith sur la série Lensman, et ce qu’il doit à ses nombreux bêta-lecteurs (parmi lesquels un certain Robert Heinlein). Au final, il faut retenir que « l’écriture est un travail exaltant ».
Nous repartons donc dans l’espace, en compagnie de Marc DuQuesne. À la fin de l’épisode précédent, il s’est fait passer pour mort mais il continue de poursuivre son but : détruire Richard Seaton, et conquérir le monde(2). Les premiers chapitres narrent ses exploits pour récupérer la puissance des Fenachrones vaincus, tandis que son rival a autre chose en tête.
En effet, après avoir élevé son intelligence au contact des extraterrestres qu’il a déjà rencontrés, il maîtrise désormais des notions de quatrième, cinquième et sixième magnitude, des domaines de référence physiques que les simples terriens ne peuvent pas saisir. Pour un esprit aussi développé, la nouvelle frontière est de dénicher les purs intellects, des êtres « certainement extragalactiques, et très probablement extra-universels(3) ».
Pour cette nouvelle aventure, nos héros repoussent encore les limites et plongent une fois de plus dans l’inconnu : « ils dérivaient dans le domaine inconnu qu’était l’hyperespace. Du temps, ils savaient seulement qu’il était désespérément distordu ; de l’espace, qu’il était hideusement méconnaissable ; de la matière, qu’elle n’obéissait à aucune des lois familières. Ils dérivaient. Et dérivaient. Peut-être en vain. Hors de toute durée… Sans but… Sans fin… »
Cette fois, ils atteignent la Quatrième Dimension, perdant au passage leur vaisseau spatial, le Skylark III, dont la construction épique avait occupé une bonne partie de l’histoire précédente. L’évolution de leurs modes de transport est à l’image de l’ascension de leur créateur. Au départ, il s’agit d’une sphère toute simple, plus petite que la Géode du Parc de la Villette, mais dotée déjà de tout le confort moderne. L’engin rappelle celui des Premiers hommes dans la Lune de H.G. Wells. Dans le deuxième opus, Seaton doit presque enfanter dans la douleur l’instrument qui lui permettra d’anéantir les Fenachrones : avec l’aide de la technologie très poussée des Norlaminiens, il forge une lentille tel Eitri extrayant Stormbreaker du creuset de Nidavellir(4). Ça semble exagéré, dit comme ça, mais le processus requiert autant d’énergie à son auteur qu’à son personnage. « Doc » Smith déploie avec talent les étapes nécessaires à la création d’une énième merveille. Le nouveau Skylark est un vaisseau effilé de huit kilomètres de long, si grand qu’il peut accueillir l’ancien modèle dans ses soutes, et même plusieurs navettes de toutes tailles(5). Mais le bolide est perdu dès le début de l’histoire, il faudra attendre bien plus tard pour que Seaton fasse encore mieux avec encore moins : le nouveau Skylark de Valeron(6) aura la taille d’un planétoïde, assez spacieux pour reproduire en son sein le quartier d'origine des Seaton et des Crane, à Washington.
Seaton se surpasse dans cette aventure(7), jusqu’à atteindre un statut cosmique, toutes les nations de l’Univers le sacrent Stellarque suprême et lui délèguent les pleins pouvoirs au plus fort de la bataille. On ne va pas revenir sur ce qu’il a d’antipathique(8), mais saluer d’abord une forme de détente du personnage, enfin capable d’auto-dérision : « Chance est mon deuxième prénom… je pourrais tomber dans une fosse à purin et ressortir couvert de talc en sentant la violette ! ». Il devient une sorte de Captain America, formant un vrai team up à la mode Avengers (les Norlaminiens, Dunark le premier allié, Urvan, Sacner Carfon de la planète Dasor).
Pour une fois, il réussit à ne pas faire de carnage, ce qui est un exploit. Car le combat mené ici est dantesque, avec un nombre et une puissance d’ennemis jamais égalés : les Fenachrones impitoyables, les purs intellects intangibles, et DuQuesne gonflé à bloc.
Ce dernier a réalisé un gros coup. Il récupère les « armes super-scientifiques » des Fenachrones, et trompe les Norlaminiens qui lui transmettent le même degré de connaissances que Seaton. Voilà une mise à jour qui les met presque à égalité. Mais Blackie est prudent, et prépare la suite. Pendant que Dick est occupé ailleurs, il devient maître de la Terre. On y retrouve Brookings, patron de la World Steel Corporation, la « pieuvre industrielle » qui avait financé les premiers méfaits du chimiste. Les rencontres se font toujours au café Perkins, qu’on rêverait de fréquenter pour y côtoyer tous ces malfrats.
DuQuesne est incontestablement le personnage le plus fascinant de la saga. Certes, c’est un dictateur, les valeurs démocratiques ne l’étouffent pas, mais il a une certaine classe, et le monde se porterait mieux sous le joug d’un Blackie, plutôt que ravagé par les fous que nous subissons depuis le siècle dernier.
Son discours de politique générale, adressé à tous les Terriens en même temps (le motif du hacking global de tous les médias par le vilain qui sera repris très souvent dans les histoires de super-héros), est incroyable de modernité : « j’ai longtemps cherché un moyen d’en finir avec la stupidité des actuels gouvernements nationaux. J’ai étudié les possibilités d’éradiquer une fois pour toutes la guerre et les horreurs qui l’accompagnent… ». Il développe les politiques économiques contra-cycliques théorisées depuis peu par Kondratiev, mais il combat aussi l’intolérance, le racisme, et contraint tout le monde au désarmement mondial. Son objectif est le plein emploi, la baisse du temps de travail, la hausse des salaires, le crime à taux zéro. « La révolution que je vais accomplir ne nuira à personne, hormis aux parasites du corps politique ». C’est la fin de toute guerre, la prospérité pour le commerce et l’industrie. En moins de trente jours.
N’en déplaise à ce bourgeois de Seaton et son pote milliardaire, bouffis de clichés tels que le cuisinier japonais et la reproduction de leurs villas dans leur gros vaisseau comme d’autres ont des « gens de maison » et roulent en 4x4, je vote Blackie.
Je ne dévoilerai pas la manière dont tout ceci s’achève, mais je terminerai sur le passage qui a le plus retenu mon attention, une séquence dans laquelle ni Seaton ni DuQuesne ne sont présents : l’invasion de Valeron par les Chlorans. Il est aisé de s’attacher au jeune héros de cet épisode, Siblin, tant on peut se projeter dans sa situation. Ses ancêtres avaient une civilisation très avancée, mais une catastrophe a tout détruit. Ils n’ont eu d’autre choix que sauver ce qu’ils pouvaient à la fin de leur monde : une poignée de savants et des jeunes gens purs, chargés de refaire surface et créer un monde meilleur(9). Siblin hérite des erreurs du passé, il incarne l’humanité future faisant face à une entité supérieure. Nous n’avions pas rencontré ce cas de figure, jusqu’ici, car Seaton se hissait systématiquement à la hauteur de ses ennemis. Ici, les habitants de la planète Valeron sont ce qui se rapproche le plus de nous, Terriens impuissants. L’homomorphisme qui parcourt la saga est ici résolu dans une nouvelle tension : Siblin de Valeron face à l’empereur des Chlorans offre les plus belles pages de ce récit. La description de l’amiboïde ouvre enfin une réelle étrangeté, à tel point que le narrateur lui-même bégaie : « son attention fut attirée au milieu de la salle où, reposant dans une vasque métallique lourdement renforcée, sur un support bas extrêmement robuste, un… une chose inconnue lui apparut. »
Le tableau de l’empereur oblige « Doc » Smith à redoubler d’efforts pour le cerner(10), mais il faut se rendre à l’évidence, la théorie de Seaton selon laquelle la forme humaine est le marqueur universel de l’intelligence est battue en brèche : « la créature était consciente et vivante ».
Et ce n’est pas fini, la scène d’horreur et de fascination se prolonge. Du cerveau énorme baignant dans une gelée jusqu’à l’œil cyclopéen émergeant d’un « pseudopode vaporeux » et doué de talents psis. C’est incontestablement un être supérieur, cruel et surpuissant. Il fallait au moins ça pour alimenter la légende du Stellarque Seaton, un énième ennemi réputé imbattable. Y parviendra-t-il ?
Petit moment de pause dans la cavalcade de nos cow boys, « Doc » Smith prononce une conférence en 1940 à la Convention Mondiale de la SF de Chicago, intitulée Comment j’ai écrit mes spaces operas. Après avoir rendu hommage à ses pairs (Campbell, Heinlein, Lovecraft, Van Vogt, et même Catherine L. Moore, une femme !), il s’attelle à la difficile tâche d’analyser de quoi sont faites ses histoires. Très vite, il se positionne en retrait des cracheurs de lignes qui ne produisent que des récits d’aventures pour « ceux dont le crâne semble uniquement destiné à séparer leurs deux oreilles », et revendique de faire œuvre de littérature.
Puis il délivre ses conseils en matière d’écriture : « outre l’action, une bonne histoire doit également contenir de la profondeur et présenter une atmosphère afin de conférer au récit de l’authenticité et de la vraisemblance. » Bien construire ses personnages est également crucial, tout comme soigner ses descriptions et instiller une visée philosophique.
Ce qui est marquant dans cet exposé, c’est la défense des partis pris de l’auteur, quel qu’il soit. Tous sont injustement taxés de « verbiage » et méritent qu’on s’attarde à les relire, à faire confiance à des développements qui semblent superflus mais servent un but précis, et à tenter de capter ce qui se passe entre les lignes(1). Ce passage est touchant : « certains auteurs réussissent mieux que d’autres. Il existe des artistes médiocres, des tâcherons de la littérature. En fait, je me demande parfois si un artiste, quel qu’il soit, parvient jamais à réaliser le tableau parfait qu’il souhaitait composer initialement. » Outre la justesse du propos, il est rare que les auteurs soient désignés comme des artistes.
La suite détaille la méthode de travail de « Doc » Smith sur la série Lensman, et ce qu’il doit à ses nombreux bêta-lecteurs (parmi lesquels un certain Robert Heinlein). Au final, il faut retenir que « l’écriture est un travail exaltant ».
Nous repartons donc dans l’espace, en compagnie de Marc DuQuesne. À la fin de l’épisode précédent, il s’est fait passer pour mort mais il continue de poursuivre son but : détruire Richard Seaton, et conquérir le monde(2). Les premiers chapitres narrent ses exploits pour récupérer la puissance des Fenachrones vaincus, tandis que son rival a autre chose en tête.
En effet, après avoir élevé son intelligence au contact des extraterrestres qu’il a déjà rencontrés, il maîtrise désormais des notions de quatrième, cinquième et sixième magnitude, des domaines de référence physiques que les simples terriens ne peuvent pas saisir. Pour un esprit aussi développé, la nouvelle frontière est de dénicher les purs intellects, des êtres « certainement extragalactiques, et très probablement extra-universels(3) ».
Pour cette nouvelle aventure, nos héros repoussent encore les limites et plongent une fois de plus dans l’inconnu : « ils dérivaient dans le domaine inconnu qu’était l’hyperespace. Du temps, ils savaient seulement qu’il était désespérément distordu ; de l’espace, qu’il était hideusement méconnaissable ; de la matière, qu’elle n’obéissait à aucune des lois familières. Ils dérivaient. Et dérivaient. Peut-être en vain. Hors de toute durée… Sans but… Sans fin… »
Cette fois, ils atteignent la Quatrième Dimension, perdant au passage leur vaisseau spatial, le Skylark III, dont la construction épique avait occupé une bonne partie de l’histoire précédente. L’évolution de leurs modes de transport est à l’image de l’ascension de leur créateur. Au départ, il s’agit d’une sphère toute simple, plus petite que la Géode du Parc de la Villette, mais dotée déjà de tout le confort moderne. L’engin rappelle celui des Premiers hommes dans la Lune de H.G. Wells. Dans le deuxième opus, Seaton doit presque enfanter dans la douleur l’instrument qui lui permettra d’anéantir les Fenachrones : avec l’aide de la technologie très poussée des Norlaminiens, il forge une lentille tel Eitri extrayant Stormbreaker du creuset de Nidavellir(4). Ça semble exagéré, dit comme ça, mais le processus requiert autant d’énergie à son auteur qu’à son personnage. « Doc » Smith déploie avec talent les étapes nécessaires à la création d’une énième merveille. Le nouveau Skylark est un vaisseau effilé de huit kilomètres de long, si grand qu’il peut accueillir l’ancien modèle dans ses soutes, et même plusieurs navettes de toutes tailles(5). Mais le bolide est perdu dès le début de l’histoire, il faudra attendre bien plus tard pour que Seaton fasse encore mieux avec encore moins : le nouveau Skylark de Valeron(6) aura la taille d’un planétoïde, assez spacieux pour reproduire en son sein le quartier d'origine des Seaton et des Crane, à Washington.
Seaton se surpasse dans cette aventure(7), jusqu’à atteindre un statut cosmique, toutes les nations de l’Univers le sacrent Stellarque suprême et lui délèguent les pleins pouvoirs au plus fort de la bataille. On ne va pas revenir sur ce qu’il a d’antipathique(8), mais saluer d’abord une forme de détente du personnage, enfin capable d’auto-dérision : « Chance est mon deuxième prénom… je pourrais tomber dans une fosse à purin et ressortir couvert de talc en sentant la violette ! ». Il devient une sorte de Captain America, formant un vrai team up à la mode Avengers (les Norlaminiens, Dunark le premier allié, Urvan, Sacner Carfon de la planète Dasor).
Pour une fois, il réussit à ne pas faire de carnage, ce qui est un exploit. Car le combat mené ici est dantesque, avec un nombre et une puissance d’ennemis jamais égalés : les Fenachrones impitoyables, les purs intellects intangibles, et DuQuesne gonflé à bloc.
Ce dernier a réalisé un gros coup. Il récupère les « armes super-scientifiques » des Fenachrones, et trompe les Norlaminiens qui lui transmettent le même degré de connaissances que Seaton. Voilà une mise à jour qui les met presque à égalité. Mais Blackie est prudent, et prépare la suite. Pendant que Dick est occupé ailleurs, il devient maître de la Terre. On y retrouve Brookings, patron de la World Steel Corporation, la « pieuvre industrielle » qui avait financé les premiers méfaits du chimiste. Les rencontres se font toujours au café Perkins, qu’on rêverait de fréquenter pour y côtoyer tous ces malfrats.
DuQuesne est incontestablement le personnage le plus fascinant de la saga. Certes, c’est un dictateur, les valeurs démocratiques ne l’étouffent pas, mais il a une certaine classe, et le monde se porterait mieux sous le joug d’un Blackie, plutôt que ravagé par les fous que nous subissons depuis le siècle dernier.
Son discours de politique générale, adressé à tous les Terriens en même temps (le motif du hacking global de tous les médias par le vilain qui sera repris très souvent dans les histoires de super-héros), est incroyable de modernité : « j’ai longtemps cherché un moyen d’en finir avec la stupidité des actuels gouvernements nationaux. J’ai étudié les possibilités d’éradiquer une fois pour toutes la guerre et les horreurs qui l’accompagnent… ». Il développe les politiques économiques contra-cycliques théorisées depuis peu par Kondratiev, mais il combat aussi l’intolérance, le racisme, et contraint tout le monde au désarmement mondial. Son objectif est le plein emploi, la baisse du temps de travail, la hausse des salaires, le crime à taux zéro. « La révolution que je vais accomplir ne nuira à personne, hormis aux parasites du corps politique ». C’est la fin de toute guerre, la prospérité pour le commerce et l’industrie. En moins de trente jours.
N’en déplaise à ce bourgeois de Seaton et son pote milliardaire, bouffis de clichés tels que le cuisinier japonais et la reproduction de leurs villas dans leur gros vaisseau comme d’autres ont des « gens de maison » et roulent en 4x4, je vote Blackie.
Je ne dévoilerai pas la manière dont tout ceci s’achève, mais je terminerai sur le passage qui a le plus retenu mon attention, une séquence dans laquelle ni Seaton ni DuQuesne ne sont présents : l’invasion de Valeron par les Chlorans. Il est aisé de s’attacher au jeune héros de cet épisode, Siblin, tant on peut se projeter dans sa situation. Ses ancêtres avaient une civilisation très avancée, mais une catastrophe a tout détruit. Ils n’ont eu d’autre choix que sauver ce qu’ils pouvaient à la fin de leur monde : une poignée de savants et des jeunes gens purs, chargés de refaire surface et créer un monde meilleur(9). Siblin hérite des erreurs du passé, il incarne l’humanité future faisant face à une entité supérieure. Nous n’avions pas rencontré ce cas de figure, jusqu’ici, car Seaton se hissait systématiquement à la hauteur de ses ennemis. Ici, les habitants de la planète Valeron sont ce qui se rapproche le plus de nous, Terriens impuissants. L’homomorphisme qui parcourt la saga est ici résolu dans une nouvelle tension : Siblin de Valeron face à l’empereur des Chlorans offre les plus belles pages de ce récit. La description de l’amiboïde ouvre enfin une réelle étrangeté, à tel point que le narrateur lui-même bégaie : « son attention fut attirée au milieu de la salle où, reposant dans une vasque métallique lourdement renforcée, sur un support bas extrêmement robuste, un… une chose inconnue lui apparut. »
Le tableau de l’empereur oblige « Doc » Smith à redoubler d’efforts pour le cerner(10), mais il faut se rendre à l’évidence, la théorie de Seaton selon laquelle la forme humaine est le marqueur universel de l’intelligence est battue en brèche : « la créature était consciente et vivante ».
Et ce n’est pas fini, la scène d’horreur et de fascination se prolonge. Du cerveau énorme baignant dans une gelée jusqu’à l’œil cyclopéen émergeant d’un « pseudopode vaporeux » et doué de talents psis. C’est incontestablement un être supérieur, cruel et surpuissant. Il fallait au moins ça pour alimenter la légende du Stellarque Seaton, un énième ennemi réputé imbattable. Y parviendra-t-il ?
📜 Notes :
(1) Je confesse trouver insupportable la prose de Lovecraft, et « Doc » Smith reconnaît que certains le trouvent « verbeux », mais il défend avec énergie son confrère, « maître incontesté » dans l’art de créer une atmosphère.
(2) « Nous l’atomiserons aux quatre vents de l’éther. Et le monde – oui, tout ce que je pourrai vouloir dans la Galaxie – sera à moi ! » Ajoutez vous-même le rire démoniaque pour un effet Dolby surround !
(3) Nous nous éloignons plus vite que la lumière du Système Vert où vivent les Osnomiens, qualifié désormais d’« univers-île originel de notre Humanité. »
(4) Avengers, Infinity War.
(5) « À l’intérieur du Skylark, un dôme s’épanouit, chassant l’air, une section circulaire de la paroi multicouche disparut. Le fuseau spatial de Rovol [de la planète Norlamin] entra en planant ; derrière lui, la paroi fut à nouveau intacte. Le dôme se dilua, et le visiteur se posa en douceur dans l’étreinte d’un immense berceau d’atterrissage qui s’ajusta exactement à formidable masse effilée. »
(6) Le nom des différents vaisseaux qui se succèdent semble avoir été réfléchi par « Doc » Smith, puisqu’il fait dire à Dottie, qui a baptisé le premier modèle : « Skylark II [le jumeau du premier construit pour Dunark], c’était assez nul, mais j’ai accepté ; et en serrant toutes les dents à les déformer, j’ai réussi à ne pas rouspéter pour Skylark III, mais je ne vais certainement pas supporter Skylark IV. Bon sang, la seule idée de donner un tel nom à un engin aussi merveilleux, (…) comme si c’était juste le nouveau modèle d’une longue série de vedettes de course… »
(7) Il invente l’ordinateur quantique et un cerveau artificiel (« notre nouvelle intelligence artificielle ») pour manier une technologie devenue trop complexe, même pour lui.
(8) Il faut noter quand même qu’il se défoule de plus en plus sur la pauvre Dottie : « doucement, fillette, tout va bien… » ; « tu feras mieux carrière comme reine de beauté que comme physicienne, ma chérie » ; « j’ai pensé, ma chérie, et si tu crois que ce n’est pas un dur travail, tu devrais essayer un jour ».
(9) Achtung, on retrouve ici des relents eugénistes de l’époque : « Car le nouveau peuple avait été forgé dans l’adversité. Dans sa lignée, il n’y avait ni tare ni faiblesse physique ou morale, toutes les impuretés avaient été consumées par les feux de la catastrophe cosmique qui avait failli oblitérer toute vie sur la planète. »
(10) « Ce n’était en rien un solide, ni un liquide, ni même une gelée, même s’il semblait partager certaines propriétés des trois. Il était en partie d’une transparence boueuse, en partie d’un verdâtre translucide, en partie d'une opacité trouble. » L’alien est défini par ce qu’il n’est pas, et il faut recourir à un chiasme pour exprimer ne serait-ce que sa densité.
Skylark DuQuesne (Skylark 3)
DuQuesne savait exactement où se situait la galaxie DW-427-LU, le péril mortel qu'elle abritait, et de quelle manière inciter Seaton à mettre le cap sur cette galaxie. Il avait trouvé le moyen d’éliminer son rival de toujours et toute son équipe, puis de s'emparer du Skylark de Valeron. Et, cerise sur le gâteau, il savait comment masquer ses traces !
Edward Elmer « Doc » Smith (1890-1965) est, à juste titre, considéré comme l’un des pères du « Space Opera » aux côtés d’Edmond Hamilton et de Jack Williamson.
Surtout connu en France pour sa saga des « Fulgurs » (« Lensmen »), Smith est également l’auteur d’une autre série, celle des « Skylark », dont le premier tome fut rédigé en 1919 mais publié seulement en 1928 dans les pages du célèbre magazine Amazing Stories.
Ce volume présente le quatrième et dernier roman de cette série, jusqu’ici inédit en version française, traduit par Martine Blond et accompagné d’une introduction de Jean-Michel Archaimbault.
Écrit et publié dans la première moitié des années 60, donc près de 30 ans après le troisième volet, « Skylark DuQuesne » se déroule dans la continuité directe de l’action antérieure tout en se révélant parsemé de détails et de connotations très « sixties ». Flamboyant fleuron du grand « Space Opera » classique, ce véritable bouquet final enchaîne péripéties, surprises et coups de théâtre tout en privilégiant l’évolution spectaculaire de « Blackie » DuQuesne, anti-héros à très forte potentialité, jusqu’à lui faire éclipser les personnages positifs de la saga.
Skylark DuQuesne @ 1973 Pyramid Books | Illustration de couverture @ Jack Gaughan
Analyse de l'oeuvre
📘 Skylark DuQuesne (Skylark DuQuesne, 1965)
Il faut lire l’introduction de Jean-Michel Archaimbault à cet ultime volet, intitulée « Impossible n’est pas « Doc » Smith ». Notre camarade galionaute remet en contexte cette dernière aventure de Seaton et compagnie, mise en chantier presque trente ans après Skylark of Valeron, une saga unique dans l’œuvre de « Doc » Smith. L’ancien chimiste est alors connu principalement pour la série des Lensmen. En quelques pages, nous voyons défiler les moments forts des tomes précédents, les failles aussi, et certains échos qu’on peut trouver dans d’autres récits de « Doc » Smith, et sa postérité. Jean-Michel peut alors dérouler la chronologie d’une autre série qui lui tient à cœur, Perry Rhodan. On y découvre également que la Force des Jedi a peut-être été puisée dans cette histoire (le terme même de « Force » est littéralement utilisé dans le texte de Doc Smith), ainsi qu’une forme de Talent qui confine à la magie(1). Et l’on pense aux noms qui émaillent l’univers de Star Wars : les midichloriens viendraient-ils de la civilisation des Chlorans ? Et que dire de ces aliens humanoïdes à tête de poisson comme l’Amiral Ackbar ? Et ces amibes aussi répugnantes que Jabba le Hutt ? Mais ce préambule est surtout l’annonce du retour de Marc DuQuesne, « Blackie’s back », celui qui a d’ores et déjà conquis le titre, dans une forme de réhabilitation.
Une forme seulement. Car Marc DuQuesne ne renonce jamais, ou presque, à ses ambitions : détruire Seaton et régner sur l’Univers. Précédemment, il s’était retrouvé désincarné, transformé en pur esprit, enfermé dans une stase temporelle avec d’autres entités intellectuelles puissantes, et projeté plus vite que la lumière au plus profond du cosmos. C’était un fameux exploit qu’avait cru réaliser Richard Seaton. Nenni ! Les purs esprits se sont joués de lui, ont fait croire qu’ils se faisaient avoir, pour mieux le berner. « Zéro pointé pour moi ! » s’écrie le héros dès le premier chapitre.
Mais il est déjà occupé par un autre sujet : la condition des Jelmi, des humains d’un lointain système, « à des millions de parsecs de la Terre, (…), près de la Bordure Arbitraire du Premier Univers », réduits en esclavage par les Llurdi, une antique espèce d’extraterrestres, ni humanoïdes malgré la bipédie, ni chauve-souris malgré leurs ailes nues, ni chats malgré « d’énormes yeux à pupilles verticales », ni même simiesques malgré leurs queues puissantes. Les deux camps en présence peuvent rappeler l’affrontement des premiers Américains avec leurs tuteurs anglais. Seaton envisage avec une certaine ironie qu’il puisse en découler une « Déclaration d’Indépendance ornée d’une bannière étoilée ». Plus tard dans le récit, il sera question de résistance et de collabos, car « Doc » Smith a participé à l’effort de guerre entre 1941 et 1945, certains moments de l’Histoire ne vous lâchent pas.
Parmi les esclaves, un petit groupe d’individus plus malins que les autres parvient à s’enfuir et à développer de nouvelles technologies (un authentique « bidule », que « Doc » ne s’embarrasse pas trop à expliciter(2) tout en voyageant à bord de leur vaisseau. Si je vous dis que le leader est un jeune homme dans la force de l’âge, flanqué de sa promise aussi belle qu’intelligente, ne pensez-vous pas à quelqu’un ?
C’est donc le retour d’un schéma bien connu de cette saga : un peuple autochtone en lutte pour sa liberté, des antagonistes cré-cré méchants, et Seaton qui débarque pour les sauver. Si « Doc » Smith se renouvelle, explore de nouvelles formes en multipliant les fils narratifs, entre Seaton, DuQuesne et les Jelmi, on retrouve les confrontations titanesques, et les démonstrations de force mentale. Ceci a l’avantage de remettre un peu Seaton à égalité avec les autres personnages. Il n’est presque plus appelé le Stellarque, mais seulement Seaton de Tellus, et ses prouesses sont égalées par Blackie et les Jelmi. Même la fin, attention spoiler, est une répétition du tome 2 : Seaton empêché, il ne reste que DuQuesne pour faire la sale besogne (mais avec quelle classe !)(3). Même s’il reste un cliché ambulant, Seaton apparaît plus humain, confronté à des éléments qui le dépassent.
Il faudrait s’attarder sur les noms choisis par l’auteur. DuQuesne se fait appeler Vance, diminutif de Sevance, par les Jelmi, référence bienvenue ou fortuite à un maître de la magie en SF et qui commençait à l’époque de l’écriture du recueil à collectionner les prix littéraires. Seaton joue également à se cacher derrière une fausse identité(4), Ky-El Mokak le Sauvage(5), et tous ceux qu’il croise à Ray-See-Nee ont des noms farfelus : de Prenk(6), le chef de la résistance, à Kay-Lee la belle psi au déhanché outrageux (d’après Dottie), en passant par les Skylarkiens qui se font appeler Lo-Fi et Hi-Fi. Même la fusillade dans les bureaux de l’administration extraterrestre a un air de parodie, et pourrait être intitulée « Du rififi chez les gratte-papier ».
Dans le chapitre « Révolution industrielle », on apprend ce que Seaton et Crane, son copain richissime, ont apporté à l’économie mondiale en offrant de l’énergie abondante et pas chère, comme le pétrole dans l’Amérique du XXe siècle : un bourgeonnement de multimilliardaires, une forme de chaos dans le prolongement du capitalisme sauvage, alors que DuQuesne garantissait paix et stabilité. Chaque compagnie développe « sa propre planète de type terrestre, pour en faire un monde civilisé ou simplement l’exploiter à son gré » par la persuasion, les groupes de pression, et la corruption. « Siège d’une frénésie encore jamais vue, la Terre ressemblait donc à un asile d’aliénés à l’échelle céleste ». On sent que l’auteur a évolué avec son temps, il porte un regard distancié, parfois ironique, sur l’occident, tout en gardant un optimisme très américain : « on ne sait avec certitude s’il est commun qu’une planète de type terrestre devienne inapte à entretenir la vie humaine avant que son soleil se mue en nova, ou non. Et cela n’importe guère ; car bien avant ce genre d’événement, la population humaine en question aura mis au point une propulsion supraliminique et disposera de dizaines ou de centaines de planètes de type terrestre où la vie même inférieure ne s’est pas encore développée ».
Quelques clichés ont la vie dure. L’épouse de Shiro, japonaise comme lui (pas de métissage chez « Doc » Smith) est appelée « Fleur de Lotus », elle est petite et fine, « l’air d’une poupée vivante ». De son côté, Dottie subit toujours les remarques de son cher mari : « tu es la technicienne en chef de la cuisine, ma chérie, à toi de jouer ! » et offre des manteaux de fourrure à ses homologues alien first ladies. Malgré tout, l’égalité femmes-hommes semble effleurer à de nombreuses reprises les personnages : Sitar, la femme de Drasnik, combat à ses côtés, DuQuesne partage toutes ses connaissances avec Stéphanie « Canon » qu’il considère comme son égale en intelligence et en force de caractère.
« Doc » Smith laisse plus de place au mystère, à travers le « bidule », mais aussi la magie des Jelmi, ou encore les origines de la vie, se livrant à une véritable théorie de la panspermie : « tout ce que nous savons de la vie, c’est qu’il s’agit d’une force de liaison, d’une immense puissance, et que sa source (…) réside dans les spores vivantes qui dérivent dans le vide de l’espace ». De même pour la force de la pensée : « parce que la vitesse de la pensée, sinon absolument infinie, est du moins transfinie, non mesurable pour l’Homme ». Ou encore l’univers de Gunther, déjà mentionné dans The Galaxy Primes : « une anomalie fondamentale, (…) un champ aspatial et atemporel au sein duquel se situent tous les opérateurs reliés par le réseau psionique, de sorte que les distances n’entrent pas en ligne de compte ». Pourtant, ces explications foutraques produisent de l’émerveillement, comme la cavorite des Temps Modernes, le rayon Gamma de Bruce Banner, ou le Cosmos de Saint Seya.
Il faut terminer cette longue lecture par celui qui nous a pousser à lire jusqu’à la dernière page : « grand et puissamment charpenté ; avec une épaisse chevelure légèrement ondulée d’un intense noir brillant. Les yeux, d’une nuance un rien plus claire, étaient surmontés d’épais sourcils noirs qui se rejoignaient au-dessus de son nez aquilin finement ciselé. Son ombrageux visage, quoique vraiment bronzé, semblait presque pâle comparé à la noirceur de la barbe drue, qui ressortait toujours même après un rasage de près. »
La trajectoire de Blackie ressemble à celle du Don Juan Tenorio de Zorilla, poursuivant sans cesse un objectif d’assouvissement personnel, avec un certain succès, mais qui infléchit son parcours in extremis. Flamboyant jusqu’au bout, il se bouffe presque à lui seul toute une galaxie de Chlorans, les mâles alpha sont aux fraises, il embarque donc avec lui les femmes psi, et Dottie et Margaret, et mène le projet Rho à son terme. Vainqueur, il revient auprès de Stéphanie, vantard comme jamais, mais gentleman, et lui propose d’aller se faire leur empire à eux, sur la Bordure Arbitraire, et fonder une civilisation où il n’y aura pas de citoyens de second ordre.
❓ J’achève avec une question à l’adresse de Jean-Michel Archaimbault : page 251, Mergon s’adresse au Llanzlan, et lui dit qu’ils vont mettre des « spatiandres » pour venir le voir. Je saisis bien qu’il s’agit d’un scaphandre spatial, mais j’ai tapé le mot sur Google, et je ne trouve que deux occurrences : une enquête du Commissaire Grosset (Le Spatiandre Percé) et la fiche de lecture du n°162 d’un certain Perry Rhodan. Alors, voici ma double question : quel est le mot employé par « Doc » Smith dans la VO ? Et si ce n’est pas quelque chose comme « spatiander », peux-tu nous dire comment Martine Blond en est arrivée à cette traduction ?
Il faut lire l’introduction de Jean-Michel Archaimbault à cet ultime volet, intitulée « Impossible n’est pas « Doc » Smith ». Notre camarade galionaute remet en contexte cette dernière aventure de Seaton et compagnie, mise en chantier presque trente ans après Skylark of Valeron, une saga unique dans l’œuvre de « Doc » Smith. L’ancien chimiste est alors connu principalement pour la série des Lensmen. En quelques pages, nous voyons défiler les moments forts des tomes précédents, les failles aussi, et certains échos qu’on peut trouver dans d’autres récits de « Doc » Smith, et sa postérité. Jean-Michel peut alors dérouler la chronologie d’une autre série qui lui tient à cœur, Perry Rhodan. On y découvre également que la Force des Jedi a peut-être été puisée dans cette histoire (le terme même de « Force » est littéralement utilisé dans le texte de Doc Smith), ainsi qu’une forme de Talent qui confine à la magie(1). Et l’on pense aux noms qui émaillent l’univers de Star Wars : les midichloriens viendraient-ils de la civilisation des Chlorans ? Et que dire de ces aliens humanoïdes à tête de poisson comme l’Amiral Ackbar ? Et ces amibes aussi répugnantes que Jabba le Hutt ? Mais ce préambule est surtout l’annonce du retour de Marc DuQuesne, « Blackie’s back », celui qui a d’ores et déjà conquis le titre, dans une forme de réhabilitation.
Une forme seulement. Car Marc DuQuesne ne renonce jamais, ou presque, à ses ambitions : détruire Seaton et régner sur l’Univers. Précédemment, il s’était retrouvé désincarné, transformé en pur esprit, enfermé dans une stase temporelle avec d’autres entités intellectuelles puissantes, et projeté plus vite que la lumière au plus profond du cosmos. C’était un fameux exploit qu’avait cru réaliser Richard Seaton. Nenni ! Les purs esprits se sont joués de lui, ont fait croire qu’ils se faisaient avoir, pour mieux le berner. « Zéro pointé pour moi ! » s’écrie le héros dès le premier chapitre.
Mais il est déjà occupé par un autre sujet : la condition des Jelmi, des humains d’un lointain système, « à des millions de parsecs de la Terre, (…), près de la Bordure Arbitraire du Premier Univers », réduits en esclavage par les Llurdi, une antique espèce d’extraterrestres, ni humanoïdes malgré la bipédie, ni chauve-souris malgré leurs ailes nues, ni chats malgré « d’énormes yeux à pupilles verticales », ni même simiesques malgré leurs queues puissantes. Les deux camps en présence peuvent rappeler l’affrontement des premiers Américains avec leurs tuteurs anglais. Seaton envisage avec une certaine ironie qu’il puisse en découler une « Déclaration d’Indépendance ornée d’une bannière étoilée ». Plus tard dans le récit, il sera question de résistance et de collabos, car « Doc » Smith a participé à l’effort de guerre entre 1941 et 1945, certains moments de l’Histoire ne vous lâchent pas.
Parmi les esclaves, un petit groupe d’individus plus malins que les autres parvient à s’enfuir et à développer de nouvelles technologies (un authentique « bidule », que « Doc » ne s’embarrasse pas trop à expliciter(2) tout en voyageant à bord de leur vaisseau. Si je vous dis que le leader est un jeune homme dans la force de l’âge, flanqué de sa promise aussi belle qu’intelligente, ne pensez-vous pas à quelqu’un ?
C’est donc le retour d’un schéma bien connu de cette saga : un peuple autochtone en lutte pour sa liberté, des antagonistes cré-cré méchants, et Seaton qui débarque pour les sauver. Si « Doc » Smith se renouvelle, explore de nouvelles formes en multipliant les fils narratifs, entre Seaton, DuQuesne et les Jelmi, on retrouve les confrontations titanesques, et les démonstrations de force mentale. Ceci a l’avantage de remettre un peu Seaton à égalité avec les autres personnages. Il n’est presque plus appelé le Stellarque, mais seulement Seaton de Tellus, et ses prouesses sont égalées par Blackie et les Jelmi. Même la fin, attention spoiler, est une répétition du tome 2 : Seaton empêché, il ne reste que DuQuesne pour faire la sale besogne (mais avec quelle classe !)(3). Même s’il reste un cliché ambulant, Seaton apparaît plus humain, confronté à des éléments qui le dépassent.
Il faudrait s’attarder sur les noms choisis par l’auteur. DuQuesne se fait appeler Vance, diminutif de Sevance, par les Jelmi, référence bienvenue ou fortuite à un maître de la magie en SF et qui commençait à l’époque de l’écriture du recueil à collectionner les prix littéraires. Seaton joue également à se cacher derrière une fausse identité(4), Ky-El Mokak le Sauvage(5), et tous ceux qu’il croise à Ray-See-Nee ont des noms farfelus : de Prenk(6), le chef de la résistance, à Kay-Lee la belle psi au déhanché outrageux (d’après Dottie), en passant par les Skylarkiens qui se font appeler Lo-Fi et Hi-Fi. Même la fusillade dans les bureaux de l’administration extraterrestre a un air de parodie, et pourrait être intitulée « Du rififi chez les gratte-papier ».
Dans le chapitre « Révolution industrielle », on apprend ce que Seaton et Crane, son copain richissime, ont apporté à l’économie mondiale en offrant de l’énergie abondante et pas chère, comme le pétrole dans l’Amérique du XXe siècle : un bourgeonnement de multimilliardaires, une forme de chaos dans le prolongement du capitalisme sauvage, alors que DuQuesne garantissait paix et stabilité. Chaque compagnie développe « sa propre planète de type terrestre, pour en faire un monde civilisé ou simplement l’exploiter à son gré » par la persuasion, les groupes de pression, et la corruption. « Siège d’une frénésie encore jamais vue, la Terre ressemblait donc à un asile d’aliénés à l’échelle céleste ». On sent que l’auteur a évolué avec son temps, il porte un regard distancié, parfois ironique, sur l’occident, tout en gardant un optimisme très américain : « on ne sait avec certitude s’il est commun qu’une planète de type terrestre devienne inapte à entretenir la vie humaine avant que son soleil se mue en nova, ou non. Et cela n’importe guère ; car bien avant ce genre d’événement, la population humaine en question aura mis au point une propulsion supraliminique et disposera de dizaines ou de centaines de planètes de type terrestre où la vie même inférieure ne s’est pas encore développée ».
Quelques clichés ont la vie dure. L’épouse de Shiro, japonaise comme lui (pas de métissage chez « Doc » Smith) est appelée « Fleur de Lotus », elle est petite et fine, « l’air d’une poupée vivante ». De son côté, Dottie subit toujours les remarques de son cher mari : « tu es la technicienne en chef de la cuisine, ma chérie, à toi de jouer ! » et offre des manteaux de fourrure à ses homologues alien first ladies. Malgré tout, l’égalité femmes-hommes semble effleurer à de nombreuses reprises les personnages : Sitar, la femme de Drasnik, combat à ses côtés, DuQuesne partage toutes ses connaissances avec Stéphanie « Canon » qu’il considère comme son égale en intelligence et en force de caractère.
« Doc » Smith laisse plus de place au mystère, à travers le « bidule », mais aussi la magie des Jelmi, ou encore les origines de la vie, se livrant à une véritable théorie de la panspermie : « tout ce que nous savons de la vie, c’est qu’il s’agit d’une force de liaison, d’une immense puissance, et que sa source (…) réside dans les spores vivantes qui dérivent dans le vide de l’espace ». De même pour la force de la pensée : « parce que la vitesse de la pensée, sinon absolument infinie, est du moins transfinie, non mesurable pour l’Homme ». Ou encore l’univers de Gunther, déjà mentionné dans The Galaxy Primes : « une anomalie fondamentale, (…) un champ aspatial et atemporel au sein duquel se situent tous les opérateurs reliés par le réseau psionique, de sorte que les distances n’entrent pas en ligne de compte ». Pourtant, ces explications foutraques produisent de l’émerveillement, comme la cavorite des Temps Modernes, le rayon Gamma de Bruce Banner, ou le Cosmos de Saint Seya.
Il faut terminer cette longue lecture par celui qui nous a pousser à lire jusqu’à la dernière page : « grand et puissamment charpenté ; avec une épaisse chevelure légèrement ondulée d’un intense noir brillant. Les yeux, d’une nuance un rien plus claire, étaient surmontés d’épais sourcils noirs qui se rejoignaient au-dessus de son nez aquilin finement ciselé. Son ombrageux visage, quoique vraiment bronzé, semblait presque pâle comparé à la noirceur de la barbe drue, qui ressortait toujours même après un rasage de près. »
La trajectoire de Blackie ressemble à celle du Don Juan Tenorio de Zorilla, poursuivant sans cesse un objectif d’assouvissement personnel, avec un certain succès, mais qui infléchit son parcours in extremis. Flamboyant jusqu’au bout, il se bouffe presque à lui seul toute une galaxie de Chlorans, les mâles alpha sont aux fraises, il embarque donc avec lui les femmes psi, et Dottie et Margaret, et mène le projet Rho à son terme. Vainqueur, il revient auprès de Stéphanie, vantard comme jamais, mais gentleman, et lui propose d’aller se faire leur empire à eux, sur la Bordure Arbitraire, et fonder une civilisation où il n’y aura pas de citoyens de second ordre.
❓ J’achève avec une question à l’adresse de Jean-Michel Archaimbault : page 251, Mergon s’adresse au Llanzlan, et lui dit qu’ils vont mettre des « spatiandres » pour venir le voir. Je saisis bien qu’il s’agit d’un scaphandre spatial, mais j’ai tapé le mot sur Google, et je ne trouve que deux occurrences : une enquête du Commissaire Grosset (Le Spatiandre Percé) et la fiche de lecture du n°162 d’un certain Perry Rhodan. Alors, voici ma double question : quel est le mot employé par « Doc » Smith dans la VO ? Et si ce n’est pas quelque chose comme « spatiander », peux-tu nous dire comment Martine Blond en est arrivée à cette traduction ?
👉 Réponse de Jean-Michel Archaimbault :
Le terme utilisé par Smith est « air-suits », Martine Blond l'avait traduit par « scaphandres », c'est moi qui ai fait le remplacement par « spatiandres » qui apparaît très souvent dans la V.F. de Perry Rhodan et me semble plus « spatio-futuriste ».
Par contre, c'est Jean-Marc Lofficier qui, en référence à Perry Rhodan, a choisi de restituer « Overlord » par « Stellarque ». Ce que j'ai chaleureusement applaudi et approuvé, évidemment !
Fin 2015 ou début 2016, Jean-Marc m'a confié la tâche de relecture-correction de la traduction de la saga (le vieux texte de l'édition Rayon Fantastique de 1954 du premier volet, sa traduction des passages de la version Pulp supprimés par Smith dans l'édition livre, mais qu'il voulait réintégrer à la nouvelle édition Rivière Blanche pour redonner l'intégralité initiale du roman, puis les traductions de Martine Blond pour les trois autres volets). Connaissant le travail que j'avais effectué sur la V.F. de Perry Rhodan à partir de 1997, il souhaitait que j'assure la cohérence terminologique de toute la saga Skylark, que je « crédibilise » au mieux les extrapolations et inventions scientifiques, que je lisse également toutes les aspérités des traductions très – trop – littérales un peu faites « au kilomètre » par Martine – notamment celles liées au style pas toujours très relevé de Smith et à ses accumulations de tournures familières devenant vite lassantes pour le lecteur. J'ai donc essayé de remplir au mieux le contrat avec, comme objectif personnel, de rendre les textes aussi lisibles et attractifs que possible pour des lecteurs d'aujourd'hui, a priori plus exigeants que ceux des Pulps américains il y a un siècle. J'ai en particulier tenu à ce que le dernier volet, plus récemment écrit, puisse être apprécié à sa juste valeur et révèle DuQuesne comme étant le personnage le plus intéressant, le plus évolutif et le moins monolithique de tous. En synthèse finale, il y a donc une certaine part de moi-même dans l'intégrale française des Skylark.
📜 Notes :
(1) « Dans le continuum espace-temps strictement matériel – le plan où nous vivons, nous, êtres humains dénués du Talent, et que nos amis sémanticiens voudraient nous faire admettre comme le seul possédant une réalité –, la carte n’est pas le territoire. (…) En revanche, dans le domaine propre au Talent, nommé psionique par certains érudits, magie ou sorcellerie par les railleurs, la carte est – résolument ! – le territoire. » Une phrase digne d’un Yoda, et qui pourrait expliquer que la lointaine Galaxie d’il y a fort longtemps est sur un plan de réalité pas si éloigné du nôtre.
(2) Jean-Michel le souligne en introduction, l’auteur ne s’échine plus autant qu’avant à élaborer certaines excentricités fondées scientifiquement. Déjà avec la Quatrième Dimension, tout était hyper et ça n’expliquait rien (hypertemps, hypergravité, hypermatière). Ici, la navigation en dehors de la Terre se fait à l’universel : « cinq degrés à l’est du sud universel », sans même savoir quels seraient les pôles permettant de déterminer ces points cardinaux.
(3) Dans Skylark III, c’est Dunark qui appuyait sur le bouton de la solution finale.
(4) La supercherie n’opère pas, les Terriens se font repérer facilement : « cette habitude de fumer (…), personne, hormis les Terriens, ne se brûle les poumons avec de la fumée ! »
(5) Émissaire de l’entité universelle et fictive « Humanité Triomphante, sans nation ni planète de rattachement ».
(6) Proximité phonétique de prank, qui veut dire canular…
(1) « Dans le continuum espace-temps strictement matériel – le plan où nous vivons, nous, êtres humains dénués du Talent, et que nos amis sémanticiens voudraient nous faire admettre comme le seul possédant une réalité –, la carte n’est pas le territoire. (…) En revanche, dans le domaine propre au Talent, nommé psionique par certains érudits, magie ou sorcellerie par les railleurs, la carte est – résolument ! – le territoire. » Une phrase digne d’un Yoda, et qui pourrait expliquer que la lointaine Galaxie d’il y a fort longtemps est sur un plan de réalité pas si éloigné du nôtre.
(2) Jean-Michel le souligne en introduction, l’auteur ne s’échine plus autant qu’avant à élaborer certaines excentricités fondées scientifiquement. Déjà avec la Quatrième Dimension, tout était hyper et ça n’expliquait rien (hypertemps, hypergravité, hypermatière). Ici, la navigation en dehors de la Terre se fait à l’universel : « cinq degrés à l’est du sud universel », sans même savoir quels seraient les pôles permettant de déterminer ces points cardinaux.
(3) Dans Skylark III, c’est Dunark qui appuyait sur le bouton de la solution finale.
(4) La supercherie n’opère pas, les Terriens se font repérer facilement : « cette habitude de fumer (…), personne, hormis les Terriens, ne se brûle les poumons avec de la fumée ! »
(5) Émissaire de l’entité universelle et fictive « Humanité Triomphante, sans nation ni planète de rattachement ».
(6) Proximité phonétique de prank, qui veut dire canular…
Illustrations
Skylark of Valeron, illustration @ 1963 Ed Emshwiller | Skylark DuQuesne, illustration @ 1966 Jack Gaughan
La Curée des Astres @ 1954 Le Rayon Fantastique, première édition française du premier roman, illustration de couverture @ André Troy | E. E. "Doc" Smith à la 16e convention mondiale de SF, SoLAcon (29.08.1958-01.09.1958), photo @ Karen Anderson