Réédition Ex Nihilo | Photo @ Georges Bormand, édition privée
Quelque part, au large des côtes du Chili, vit une peuplade aux mœurs étranges. Des hommes oubliés ? Des mutants ? Des bêtes ? Ils forment une société vouée aux cultes de la laideur, de la violence et de l'inceste. Ce sont les Crétins. Une expédition scientifique, dirigée par le professeur Baber, se donne pour mission de les étudier. Mais — est-ce le climat ou la contagion ? — les observateurs se crétinisent à leur tour...
Fiche de lecture
Achevé le 21 mars 1943, Valcrétin est, sans doute, le dernier ouvrage écrit par Régis Messac, qui fut arrêté par la police allemande peu de temps après, le 10 mai 1943 et déporté au Struthof puis à Gross-Rosen. Sa trace se perd en 1945 au cours des marches dites « de la mort ».
Cet ultime roman couronne une œuvre multiforme qui comporte des essais, de la poésie, des critiques, de la correspondance et, bien sûr, pour les amateurs de SF que nous sommes, des romans mémorables comme Quinzinzinzili ou La cité des asphyxiés, pour ne citer que les plus célèbres. Ces romans, contemporains des œuvres d'Orwell ou d'Huxley, sont des satires impitoyables moquant les dérives et les excès de nos sociétés. Il est intéressant de noter qu'à cette époque les maîtres de la SF anglo-saxonne, lorsqu'ils traitaient un thème pessimiste comme la fin du monde, ne manquaient pas, une fois la catastrophe passée, de dépeindre des lendemains enchantés. Rien de tout cela chez Régis Messac qui, dans Quinzinzinzili, n'envisage pas pour l'homme d'avenir radieux après l'apocalypse.
Cette amertume, ou ce désespoir, habite les pages de Valcrétin. Ici, si une expédition scientifique aborde une île abritant une population qui relève de la fiction, nous sommes plus en utopie qu'en science-fiction. Le professeur Baber décide de conduire une mission savante dans cette île, située au large des côtes du Chili, pour étudier la tribu qui y réside. Celle-ci aurait évolué – ou régressé – à l'écart de la civilisation occidentale. Ses découvreurs décrivent ses membres comme des crétins arriérés. Baber voit l'occasion d'appliquer en grandeur nature ses travaux visant justement à combattre le crétinisme.
L'île que lui et ses compagnons abordent est tout simplement sinistre, battue par les vents et la pluie, cernée de falaises abruptes, inhospitalière, ne recelant qu'une végétation rachitique. Le décor est posé et plombé. Nos scientifiques vont vite tomber sur les Crétins, et ils ne vont pas être déçus ! Messac a forcé le trait et dépeint des êtres difformes, incarnant toutes les tares tant physiques que morales qui peuvent accabler des hommes ou des femmes. Maigres, goitreux, repoussants, idiots, se vautrant dans leurs fientes, gloutons, incestueux... Un vrai catalogue des perversions et débilités imaginables ! Les Crétins sont dépeints comme plus repoussants que des verrats dans leurs fange, mais offrent un terrain d'expérimentation idéal pour le professeur Baber qui entend bien en profiter...
Lui et son assistant se saisissent d'un individu et entreprennent de le faire évoluer. Le nom du spécimen est Peignouf (comprenez Pignouf). Mais quelque chose cloche. Peignouf, malgré de spectaculaires progrès, (il ne lape plus l'eau dans les mares mais boit dans un verre, il parvient à formuler des idées...) ne peut renier ses racines, même s'il est rejeté par ses frères et sœurs crasseux et baveux. Pire encore, au fil du temps, les scientifiques et les matelots qui les accompagnent semblent perdre leurs repères et sombrer dans une forme larvée de crétinisme.
Nous sommes bien en utopie. Cette fable s'inscrit dans le sillage d'un Voltaire ou d'un Swift. Les Crétins sont immondes à nos yeux mais normaux aux leurs. Il y a plusieurs niveaux de lecture pour cet ouvrage. On peut y voir une critique acerbe des effets désastreux qu'exerce une civilisation lorsqu’elle use de la voie de la contrainte sur une autre. On peut également y relever une dénonciation sans concession de la bêtise humaine, travers dont Régis Messac fut victime de la part de l'administration tout au long de sa carrière professionnelle. Enfin il y a un aspect essentiel qui est celui du bonheur, c'est à dire de l'espérance en la capacité de l'homme à se tourner vers la lumière plutôt que vers l'ombre. Les Crétins n'ont nullement envie de changer et ce qui nous paraît être un enfer est pour eux un mode de vie ordinaire, par lequel ils éprouvent une forme de plaisir qui nous paraît absurde et débilitante. Mais où est la vérité ?
Publié trente ans après sa rédaction, Valcrétin est un pamphlet implacable, le regard affûté d'un homme que désespérait ses semblables.
Cet ultime roman couronne une œuvre multiforme qui comporte des essais, de la poésie, des critiques, de la correspondance et, bien sûr, pour les amateurs de SF que nous sommes, des romans mémorables comme Quinzinzinzili ou La cité des asphyxiés, pour ne citer que les plus célèbres. Ces romans, contemporains des œuvres d'Orwell ou d'Huxley, sont des satires impitoyables moquant les dérives et les excès de nos sociétés. Il est intéressant de noter qu'à cette époque les maîtres de la SF anglo-saxonne, lorsqu'ils traitaient un thème pessimiste comme la fin du monde, ne manquaient pas, une fois la catastrophe passée, de dépeindre des lendemains enchantés. Rien de tout cela chez Régis Messac qui, dans Quinzinzinzili, n'envisage pas pour l'homme d'avenir radieux après l'apocalypse.
Cette amertume, ou ce désespoir, habite les pages de Valcrétin. Ici, si une expédition scientifique aborde une île abritant une population qui relève de la fiction, nous sommes plus en utopie qu'en science-fiction. Le professeur Baber décide de conduire une mission savante dans cette île, située au large des côtes du Chili, pour étudier la tribu qui y réside. Celle-ci aurait évolué – ou régressé – à l'écart de la civilisation occidentale. Ses découvreurs décrivent ses membres comme des crétins arriérés. Baber voit l'occasion d'appliquer en grandeur nature ses travaux visant justement à combattre le crétinisme.
L'île que lui et ses compagnons abordent est tout simplement sinistre, battue par les vents et la pluie, cernée de falaises abruptes, inhospitalière, ne recelant qu'une végétation rachitique. Le décor est posé et plombé. Nos scientifiques vont vite tomber sur les Crétins, et ils ne vont pas être déçus ! Messac a forcé le trait et dépeint des êtres difformes, incarnant toutes les tares tant physiques que morales qui peuvent accabler des hommes ou des femmes. Maigres, goitreux, repoussants, idiots, se vautrant dans leurs fientes, gloutons, incestueux... Un vrai catalogue des perversions et débilités imaginables ! Les Crétins sont dépeints comme plus repoussants que des verrats dans leurs fange, mais offrent un terrain d'expérimentation idéal pour le professeur Baber qui entend bien en profiter...
Lui et son assistant se saisissent d'un individu et entreprennent de le faire évoluer. Le nom du spécimen est Peignouf (comprenez Pignouf). Mais quelque chose cloche. Peignouf, malgré de spectaculaires progrès, (il ne lape plus l'eau dans les mares mais boit dans un verre, il parvient à formuler des idées...) ne peut renier ses racines, même s'il est rejeté par ses frères et sœurs crasseux et baveux. Pire encore, au fil du temps, les scientifiques et les matelots qui les accompagnent semblent perdre leurs repères et sombrer dans une forme larvée de crétinisme.
Nous sommes bien en utopie. Cette fable s'inscrit dans le sillage d'un Voltaire ou d'un Swift. Les Crétins sont immondes à nos yeux mais normaux aux leurs. Il y a plusieurs niveaux de lecture pour cet ouvrage. On peut y voir une critique acerbe des effets désastreux qu'exerce une civilisation lorsqu’elle use de la voie de la contrainte sur une autre. On peut également y relever une dénonciation sans concession de la bêtise humaine, travers dont Régis Messac fut victime de la part de l'administration tout au long de sa carrière professionnelle. Enfin il y a un aspect essentiel qui est celui du bonheur, c'est à dire de l'espérance en la capacité de l'homme à se tourner vers la lumière plutôt que vers l'ombre. Les Crétins n'ont nullement envie de changer et ce qui nous paraît être un enfer est pour eux un mode de vie ordinaire, par lequel ils éprouvent une forme de plaisir qui nous paraît absurde et débilitante. Mais où est la vérité ?
Publié trente ans après sa rédaction, Valcrétin est un pamphlet implacable, le regard affûté d'un homme que désespérait ses semblables.